Caractéristiques
- Titre : Quiet Life
- Réalisateur(s) : Alexandros Avranas
- Avec : Chulpan Khamatova, Grigory Dobrygin, Naomi Lamp, Miroslava Pashutina....
- Distributeur : Wild Bunch Distribution
- Genre : Drame
- Pays : France, Grèce, Estonie, Suède, Allemagne, Finlande
- Durée : 99 minutes
- Date de sortie : 1er janvier 2025
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- Note du critique : 7/10 par 1 critique
Après Without (2009), Miss Violence (2013), ayant obtenu le Lion d’argent du meilleur réalisateur à la 70è Mostra de Venise, et Love me not (2017), le réalisateur grec Alexandros Avranas revient avec un tout nouveau film, Quiet Life, présenté en Sélection Officielle à la Mostra de Venise 2024, et inspiré d’un mystérieux syndrome reconnu aujourd’hui comme une véritable pathologie.
A la découverte du syndrome de résignation
Lorsque Sergei (Grigory Dobrygin) et Natalia (Chulpan Khamatova) sont contraints de quitter leur Russie natale avec leurs deux filles, Alina (Naomi Lamp) et Katja (Miroslava Pashutina), ils se réfugient en Suède pour demander l’asile politique. Lorsque celui-ci est rejeté, Katja sombre dans un coma mystérieux, plongeant ses parents et sa sœur dans l’angoisse la plus totale…
Alexandros Avranas choisit avec Quiet Life de mettre en lumière un phénomène médical encore méconnu, observé depuis deux décennies en Suède, et appelé le syndrome de résignation. Il s’agit d’un trouble plongeant certains enfants réfugiés dans un état catatonique, accablés par des années de peur et de traumatisme. Le réalisateur s’est beaucoup documenté sur le sujet, rencontrant les deux plus grands spécialistes du syndrome : les docteurs Elisabeth Hultcrantz et Karl Sallin. Reconnu officiellement comme une maladie en 2014, le syndrome de résignation est donc un mécanisme de protection post-traumatique face à la peur de devoir repartir dans son pays d’origine.
Portrait d’une réalité sociale glaçante et austère
Afin de mettre en scène ce sujet dramatique, le réalisateur choisit une approche sociale, mettant au centre de son film cette famille détruite par la peur, et devant faire face à la stigmatisation et à la froideur des institutions. A travers le personnage de Sergei, l’on assiste au déclassement social d’un intellectuel, contraint, dans son pays d’accueil, à faire des ménages, tandis que la famille entière perd sa maison, ses amis et sa liberté.
Quiet Life s’inspire de la réalité, mais le long-métrage a également valeur de parabole et oscille entre ultra réalisme d’une froideur radicale et dimension étrange et dystopique. Ce style austère s’incarne à travers des décors aseptisés, des couleurs ternes et des espaces impersonnels et lisses, reflets d’une bureaucratie sans empathie à l’égard des réfugiés et de leurs besoins. Aucune place pour la vie dans ces longs couloirs moroses où le silence est de mise, et l’on en vient à regretter l’excessivité de certains personnages et situations – on pense notamment aux médecins affichant un sourire désincarné et proposant une thérapie absurde pour guérir Katja – car la mise en scène d’Avranas s’avère bien plus convaincante dans sa glaçante sobriété que dans la surenchère d’un message trop appuyé.
Une réalisation et un casting très convaincants
Dans Quiet Life, austérité rime avec silence, et le casting parvient à combiner la difficile tâche d’exprimer des émotions avec le moins de dialogues possibles. Chulpan Khamatova, grande star de théâtre et de cinéma en Russie (Goodbye, Lenin !, La Fièvre de Petrov), interprète une mère déchirée entre l’inquiétude pour ses filles et la loyauté envers l’engagement de son mari, tandis que les deux très jeunes actrices s’avèrent très talentueuses dans ces rôles mutiques difficiles. Le sentiment de dépaysement s’incarne à merveille dans l’alternance des différentes langues – russe, suédois, anglais – et le film remet habilement en question la place de la Suède, souvent dépeinte comme une société idéale et un modèle d’intégration, alors qu’elle peine comme les autres à gérer la question migratoire.
La mise en scène d’Alexandros Avranas appuie avec justesse le message de son film, avec un travail habile du cadre et de la symétrie, et une belle photographie. Le jeu sur les couleurs est constant, les nombreuses nuances de gris contrastant, par exemple, fortement avec les écriteaux rouges d’interdictions présents dans la maison d’accueil de la famille. Le réalisateur alterne les plans larges, pour symboliser l’ampleur du phénomène du syndrome de résignation, ou au contraire l’insignifiance d’un personnage dans son environnement, et les plans serrés pour le représenter pris au piège. La musique, souvent intradiégétique, est, la plupart du temps classique ou lyrique, incarnant encore cette idée de perfection guindée, tandis que la musique pop n’apparait que lorsque Natalia et Sergei tentent de reconquérir leur liberté.
Dans le contexte actuel de guerre omniprésente, qui précipite des millions de réfugiés sur les routes, Quiet Life est un film qui interroge avec intelligence la crise migratoire et les conséquences psychologiques dévastatrices de l’exil, ainsi que les ravages de la censure et des politiques autoritaires. S’il manque parfois de subtilité, il propose une approche originale de son sujet, oscillant entre réalisme social et parabole dystopique.