Caractéristiques
- Titre : La chambre d’à côté
- Réalisateur(s) : Pedro Almodóvar
- Scénariste(s) : Pedro Almodóvar (d'après l'oeuvre de Sigrid Nunez)
- Avec : Tilda Swinton, Julianne Moore, John Turturro, Alessandro Nivola, Victoria Luengo...
- Distributeur : Pathé Films
- Genre : Drame
- Pays : Espagne
- Durée : 1h47
- Date de sortie : 8 janvier 2025
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- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Adapté d’un roman très récent de Sigrid Nunez (Quel est donc ton tourment ?), La chambre d’à côté est le premier long-métrage de Pedro Almodóvar, tourné exclusivement en anglais avec un casting anglo-saxon. Tilda Swinton et Julianne Moore se font face au sein d’une histoire sur l’accompagnement de fin de vie et l’euthanasie.
Le personnage incarné par la première, Martha, reporter atteinte d’un cancer incurable, contacte la seconde, Ingrid, une vieille amie qu’elle n’a pas vue depuis longtemps, afin de lui annoncer sa maladie et lui demander de l’accompagner en vacances. Un séjour apaisant au cours duquel un jour, sans prévenir, elle prendra une pilule mortelle afin de partir dignement. Tout ce que son amie devra faire, à part être présente pour elle durant ce séjour, c’est d’occuper la chambre d’à côté (la chambre du bas finalement) afin qu’elle sache qu’elle n’est pas seule au moment où elle accomplira son geste.
Un drame doux et pudique sur le rapport à la mort
Sobre et pudique, bien plus épuré dans sa forme que bon nombre des précédents métrages du cinéaste espagnol, La chambre d’à côté prend, esthétiquement, les codes du mélodrame hollywoodien classique qu’il admire et qui l’inspire depuis longtemps (en l’adaptant bien sûr à sa manière). Cela se ressent par l’atmosphère ouatée du métrage, qui passe notamment par la photographie de toute beauté d’Eduard Grau (Boy Erased, A Single Man) et des couleurs oscillant entre teintes douces et apaisantes et des toucbes de couleurs vives qui donnent immédiatement, par contraste, un effet « Technicolor », comme les lèvres rouges de Martha à la fin du film. Ce rouge si cher à Almodóvar et qui est ici synonyme de vie et de passion, même à l’approche de la mort.
Connaissant le réalisateur et son œuvre, et notamment certains twists de ses films les plus célèbres (Tout sur ma mère, La mauvaise éducation…), on s’attend presque, jusqu’à un certain point de l’intrigue, à un procédé similaire : Martha cacherait-elle un secret à Ingrid ? Ingrid va-t-elle tomber dans un piège pour une raison que l’on découvrirait à la toute fin ? Or, il n’en est rien. Ce drame tout en finesse et sensibilité est simple en soi d’un point de vue narratif et brille avant tout par la manière dont il aborde la question de la mort (qu’il s’agisse de la sienne ou de celle d’un proche) et des craintes qu’elle suscite.
Martha a peur au début, fait le point sur sa vie, fait la paix avec ses regrets et ses manquements, recherche l’amitié d’Ingrid et souhaite profiter pleinement et sereinement de ses derniers jours. Ingrid quant à elle, autrice très angoissée par la mort de nature, doit faire face à un maelstrom d’émotions contradictoires, entre son empathie pour Martha, son angoisse de la perdre et du moment fatidique où elle trouvera la porte de sa chambre close…
Tilda Swinton et Julianne Moore au sommet de leur art
Il s’agit véritablement d’un film d’actrices… Ce qui, évidemment, est un élément récurrent au sein de la filmographie du cinéaste, qui les idolâtre et a su les magnifier, mais aussi les montrer dans tous leurs états. Mais c’est sans doute encore plus le cas ici au sens où très peu de choses nous distraient de ce face à face de très haut niveau entre une Tilda Swinton et une Julianne Moore au sommet de leur art.
Le cinéaste privilégie les gros plans et plans rapprochés sur ces deux femmes d’âge mûr dont le visage exprime toute la richesse, la complexité et la profondeur de sentiments unissant leurs personnages. La fantaisie et l’extravagance du personnage de Martha fait écho à celle d’Almodóvar et imprègne par petites touches La chambre d’à côté. Cela se manifeste avant tout par des répliques humoristiques autour de la mort que le personnage lance à une Ingrid angoissée afin de dédramatiser, et à ses réactions suite à un quiproquo, par exemple. Le cinéaste ne voulait manifestement pas réaliser un film dur et sombre autour de la fin de vie et le métrage s’avère ainsi doux, tendre et lumineux. Le passage de Martha de l’autre côté est retranscrit symboliquement à l’image de manière simple et puissante par l’évolution de la manière dont elle est filmée par le cinéaste. Ces partis pris tout en retenue imprègnent le film d’une véritable poésie.
Enfin, La chambre d’à côté est également, ouvertement, un plaidoyer pour le droit de mourir dignement selon son choix et ses conditions. Si Martha fait le choix de mettre fin à ses jours en étant en pleine possession de ses facultés de discernement et non pas sur un coup de tête, l’illégalité de l’euthanasie la pousse à prendre des risques afin de se procurer la pilule létale sur le marché noir, et à anticiper la manière de réaliser son geste de manière à ce que son amie ne soit pas inquiétée par la police puisque, en de pareilles circonstances, l’entourage proche est souvent suspecté de complicité, ce qui peut dans certains cas donner lieu à des peines de prison. L’une des scènes vers la fin du film rappelle cet état de fait et précise ouvertement, si besoin était, la pensée et position d’Almodóvar à ce sujet.
La chambre d’à côté est donc une excellente surprise de la part de Pedro Almodóvar. Un film débarrassé des délicieux excès d’une partie de sa filmographie, mais qui conserve néanmoins la substance de son œuvre et célèbre la vie (et la force de vie émanant des femmes) à travers un somptueux face à face d’actrices qui s’avèrent drôles et émouvantes et font passer un millier de nuances dans leur jeu, même lorsqu’elles ne parlent pas. Le sujet de la mort et de la fin de vie est traité avec pudeur et sensibilité, et un refus catégorique de céder aux sirènes du désespoir. Un film doux et lumineux, qui ne tombe jamais dans la facilité du pathos tire-larmes.
