Caractéristiques

- Titre : Partir un jour
- Réalisateur(s) : Amélie Bonnin
- Avec : Juliette Armanet, Bastien Bouillon, François Rollin, Tewfik Jallab et Dominique Blanc.
- Distributeur : Pathé Films
- Genre : Comédie dramatique
- Pays : France
- Durée : 98 minutes
- Date de sortie : 14 mai 2025
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- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Présenté en ouverture du Festival de Cannes 2025, Partir un jour est un choix étonnant car il s’agit d’un premier film. Amélie Bonnin y adapte son propre court-métrage, en inversant les rôles principaux. Là où Bastien Bouillon incarnait un romancier et Juliette Armanet une caissière de supermarché, le long-métrage redistribue les trajectoires. Cette fois, c’est la protagoniste – cheffe étoilée en devenir – qui revient dans sa région natale après des années d’absence, tandis que lui, mécanicien, n’a jamais quitté le Loir-et-Cher.
Entre nostalgie et karaoké collectif
Cécile Béguin, la quarantaine, fraîchement auréolée de sa victoire à Top Chef, s’apprête à ouvrir son propre restaurant. Femme déterminée et accomplie, il ne lui manque qu’un plat signature pour parfaire sa trajectoire de réussite. Le coup de fil qui l’arrache à ses cuisines est brutal : son père est victime d’un troisième infarctus. Revenant dans sa région natale où elle n’a pas remis les pieds depuis plus d’un an, elle retrouve L’Escale, la cantine routière familiale, et Raf, l’ami d’enfance qu’elle n’a jamais vraiment cessé d’aimer…
L’originalité du film réside dans son audace musicale. Ici, point de comédie musicale classique, mais un film-karaoké où les chansons surgissent comme autant de refrains populaires. L’esthétique est pop et les noms des acteurs en police rose bonbon défilent à l’écran comme des paroles à chanter à tue-tête. « Alors on danse » de Stromae ouvre le bal, avant que Delpech, Dalida, ou encore Yannick ne prennent le relais. La variété française devient un langage partagé, générationnel et affectif.
L’effet est touchant, souvent dissonant, car – exception faite de Juliette Armanet – les comédiens ne sont pas des chanteurs. Et tant mieux, puisque c’est dans ces fêlures vocales que se niche l’émotion. Le film joue avec notre mémoire collective. Il suffit d’un accord pour que la salle reconnaisse la chanson, l’époque, le souvenir associé. Et dans les moments chorégraphiés, le film atteint ses plus beaux sommets : ceux d’une joie simple, un peu kitsch, infiniment communicative.

Classes sociales et rancœurs enfouies
En poussant la porte de sa chambre d’enfant, Cécile ne retrouve pas seulement les murs d’un passé lointain, mais les traces d’une identité qu’elle a tenté de gommer. Son succès parisien dans la haute gastronomie s’accompagne d’un malaise latent face à ses origines modestes, et à ses parents qui ne parlent plus la même langue, ni culinaire, ni sociale. Son père, interprété avec une tendresse bourrue par François Rollin, se plait à lire à haute voix les critiques de sa fille dans Top Chef, où transparaît un mépris mal déguisé pour ce monde qu’elle a quitté. Il y a là toute la violence silencieuse des transfuges de classe, cette sensation de ne plus appartenir à aucun monde. Même la bande-son joue sur ce décalage, juxtaposant Dalida à K. Maro, dans un clash musical qui devient une métaphore sociale.
Partir un jour n’élude rien des tensions familiales et devient bientôt un film sur le regret. Regret des parents, d’abord, usés par une vie de service et de renoncements. Le père sent son restaurant lui glisser entre les doigts tandis que la mère (touchante Dominique Blanc), rêve d’Italie mais n’a jamais quitté le Loir-et-Cher. Quant à Cécile, elle porte en elle le regret d’un amour qui n’a jamais vraiment eu lieu. Avec Raf, les regards sont pleins de non-dits, de tendresse retenue. Le film aborde les petits échecs, les adieux qui n’en sont pas tout à fait, les routes que chacun aurait pu prendre, et observe ses personnages avec une bienveillance mélancolique.

Sincérité, justesse et maladresse d’un premier film
Il faut un peu de patience pour entrer dans Partir un jour. La mise en scène, très simple, manque parfois d’ampleur ou d’audace visuelle : une photographie sans éclat particulier, un cadre souvent fonctionnel, peu de compositions marquantes. Pourtant, à mesure que les chansons s’immiscent dans le quotidien, une ambiance chaleureuse s’installe, et le charme opère. Certaines séquences chantées, comme les incontournables « Femme like U » ou « Ces soirées-là », parviennent à créer une véritable jubilation collective. D’autres scènes, comme celle de la patinoire où les protagonistes rejouent un souvenir d’adolescence vingt ans plus tard, apportent une poésie discrète et touchante.
La force du film réside avant tout dans l’écriture juste, dans la tendresse portée aux personnages, et dans la chaleur humaine qu’il dégage. Bastien Bouillon, solaire et doux, s’éloigne de son rôle taciturne de La Nuit du 12. Juliette Armanet, quant à elle, surprend par sa retenue et la finesse de son jeu. Leur duo fonctionne à merveille, entre silences et étincelles discrètes. Le film choisit les gros plans, la proximité : un choix modeste mais payant, qui renforce l’intimité du récit. On ressort de Partir un jour avec le sourire, mais un sourire doux amer. Tout n’y est pas parfait, mais tout y est sincère. Le film touche à quelque chose d’universel : les relations familiales cabossées, les petites disputes pleines d’amour, les amitiés d’enfance inoubliables.
Pas vraiment une comédie romantique, pas tout à fait une comédie musicale, Partir un jour est à la croisée des genres. On en ressort avec des refrains en tête, des souvenirs en pagaille, et une tendre mélancolie au cœur. Un très joli premier long métrage, imparfait sans doute, mais profondément prometteur. Et si Amélie Bonnin ne révolutionne pas le cinéma, elle y apporte déjà une voix singulière, sensible et humaine qu’on a très envie de réentendre.