Caractéristiques

- Titre : The Ugly Stepsister
- Titre original : Den stygge stesøsteren
- Réalisateur(s) : Emilie Blichfeldt
- Scénariste(s) : Emilie Blichfeldt
- Avec : Lea Myren, Thea Sofie Loch Næss, Ane Dahl Torp, Flo Fagerli et Isac Calmroth
- Distributeur : ESC Films
- Genre : Comédie, Epouvante-horreur
- Pays : Norvège, Suède, Pologne, Danemark
- Durée : 105 minutes
- Date de sortie : 2 juillet 2025
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- Note du critique : 7/10 par 1 critique
Après avoir fait ses armes avec Sara’s Intimate Confessions – son projet de fin d’études remarqué à Locarno en 2018 puis à Clermont-Ferrand en 2019 – la cinéaste norvégienne Emilie Blichfeldt signe son premier long-métrage, The Ugly Stepsister, film audacieux à l’esthétique déjà très affirmée. Dans cette relecture aussi fascinante que dérangeante du conte de Cendrillon, la réalisatrice adopte un point de vue inédit : celui de la demi-sœur disgracieuse.
Une réécriture de conte viscérale
Dans le royaume fictif de Swedlandia, la jeune Elvira, affublée d’un appareil dentaire peu flatteur et de boucles anglaises trop serrées, nourrit un amour secret pour le Prince Juan. Mais dans une société où la beauté dicte les rapports sociaux, elle doit rivaliser avec d’innombrables prétendantes, à commencer par sa demi-sœur Agnès, d’une beauté insolente. Pour gagner le cœur du Prince au fameux bal royal, Elvira est prête à tout. Absolument tout…
Inspirée par la version crue des frères Grimm – où les demi-sœurs vont jusqu’à se mutiler les pieds pour entrer dans la pantoufle de vair – Emilie Blichfeldt interroge les injonctions à la beauté avec une radicalité assumée et donne de la profondeur à un personnage longtemps relégué au rang de faire-valoir. Entre empathie et malaise, la cinéaste établit une connexion viscérale entre Elvira et le spectateur, sans pour autant chercher à la transformer en héroïne parfaite et lumineuse. Le film est une réponse violente à l’image édulcorée des contes traditionnels et nous présente une jeune femme broyée par des normes de beauté inatteignables.
Paillettes et crinolines
Si l’esthétique convoque les éléments classiques du conte – château, calèches, filtres roses, scènes oniriques et danses en robes à crinoline – elle se délite peu à peu à mesure qu’Elvira sombre. L’univers de The Ugly Stepsister est un trompe-l’œil où les lumières scintillent sur des surfaces pourries. La mise en scène joue habilement avec ces contrastes : scènes clipesques au bal, caméra tourbillonnante, chorégraphies esthétiques et costumes baroques, immédiatement contrebalancés par des plans rapprochés sur la saleté, la sueur, les excès. Quant aux flous oniriques, aux jeux de cadre réfléchis et à la symétrie, ils renforcent subtilement le propos.
La photographie signée Marcel Zyskind appuie cette ambivalence entre féerie et cauchemar éveillé, tandis que la musique de John Erik Kaada, à base de sifflements inquiétants et de pop électro planante, accentue encore cette dissonance permanente. Côté casting, Lea Myren est très convaincante dans le rôle d’Elvira, tantôt touchante, tantôt effrayante. Thea Sofie Loch Næss incarne une Cendrillon charismatique mais tout en simplicité, tandis qu’Ane Dahl Torp compose une belle-mère aussi glaçante que grotesque.
« Beauty horror » et excès
Avec The Ugly Stepsister, Emilie Blichfeldt explore un sous-genre inédit : le « beauty horror », inspiré par le body horror de David Cronenberg. Dès la première scène de repas, le ton est donné : Otto humilie Elvira en lui jetant un gâteau au visage. Et ce n’est que le début d’une descente aux enfers particulièrement éprouvante. Le corps devient le lieu de toutes les souffrances et le film s’abandonne à une violence très frontale : chirurgie douloureuse, sang et fluides, membres mutilés ou en décomposition, vers grouillants et scènes sexuelles explicites… Pourtant, même au summum de sa métamorphose, Elvira ne parvient pas à atteindre la perfection rêvée. Quelque chose cloche toujours – mèche rebelle, peau tâchée – car il n’y a pas de perfection. Juste des corps contraints.
On pourra reprocher au film certains excès, car The Ugly Stepsister ne fait jamais dans la demi-mesure. Parfois caricatural, souvent répétitif, Emilie Blichfeldt martèle un message déjà limpide. Tous les hommes sont des figures libidineuses et grotesques et Elvira, rongée par la folie, dévore, les lèvres toujours salies et le regard de plus en plus hanté. En cherchant la sophistication, elle devient un monstre. Malgré tout, cette outrance est assumée et sert une intention claire : nous faire ressentir physiquement le malaise, l’épuisement que produit cette quête de perfection… Jusqu’à la nausée.
Avec The Ugly Stepsister, Emilie Blichfeldt signe donc une première œuvre marquante, parfois éprouvante, mais avant tout courageuse et viscérale. Avec une radicalité esthétique assumée, elle déconstruit le conte de fées tout en nous forçant à nous interroger sur notre propre rapport à l’image et à la norme.