Caractéristiques

- Titre : Sorry, Baby
- Réalisateur(s) : Eva Victor
- Scénariste(s) : Eva Victor
- Avec : Eva Victor, Naomi Ackie, Lucas Hedges, John Carroll Lynch, Kelly McCormack...
- Distributeur : Wild Bunch
- Genre : Comédie dramatique
- Pays : Etats-Unis
- Durée : 1h44
- Date de sortie : 23 juillet 2025
- Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Premier long-métrage de l’actrice américaine Eva Victor (qui incarne également le rôle principal) en tant que réalisatrice et scénariste, Sorry, Baby raconte le long chemin vers la guérison d’une jeune femme victime d’un viol par son directeur de thèse, qui se reconstruit au fil des ans grâce au soutien indéfectible de sa meilleure amie.
Un premier film touchant, entre humour et gravité
Présenté au festival de Sundance aux États-Unis et à la Quinzaine des Cinéastes du Festival de Cannes cette année, ce premier film se révèle être une œuvre sensible et touchante, avec la juste dose d’humour pour contrebalancer la gravité du sujet, qui n’est pas tant le viol en lui-même (filmé avec distance et pudeur) que le traumatisme, qui contamine du jour au lendemain la vie d’Agnes alors qu’elle termine ses études et s’apprête à devenir professeur de littérature. La violence subie (pour laquelle son directeur de thèse ne paiera jamais) s’insinue dans son esprit, ne la lâche pas et rend les choses du quotidien difficiles.
La barrière entre extérieur et intérieur n’est plus étanche et la jeune femme essaie de faire face à ses angoisses comme elle peut, comme lorsqu’on la voit recouvrir la fenêtre de sa chambre de ses feuilles de thèse pour se rassurer et être sûre qu’on ne pourra pas l’observer depuis l’extérieur. Certains jours, elle reste prostrée sur le canapé dans son plaid et laisse sa meilleure amie s’occuper d’elle. La manière dont le corps médical ou universitaire réagit au viol qu’elle a subi, comme s’il s’agissait de quelque chose de regrettable mais banal, constitue une seconde violence, presque aussi forte que le viol en lui-même. Il s’agit sans doute là de l’un des aspects les plus cruels soulevé par le métrage.
Un chemin vers la résilience montré sous forme de tranches de vie
Au-delà de la représentation du traumatisme et de ses conséquences, Sorry, Baby est surtout un film où la vie s’infiltre de partout, même quand son héroïne ne l’y a pas invitée, la poussant à avancer malgré son mal-être. Le choix d’Eva Victor de représenter des tranches de vie du personnage sur plusieurs années consécutives, avec plusieurs allers-retours entre passé et présent, est pour beaucoup dans ce sentiment. Ce parti pris permet de ne pas rester focalisés sur l’événement traumatique et de voir le personnage d’Agnes évoluer dans différents environnements au fil du temps tout en gardant une dimension intimiste.
Un ton qui se retrouve également au sein de la réalisation, dans une veine réaliste, qui reste souvent au plus près de son héroïne tout en étant douce et chaleureuse pour contrebalancer, là aussi, la dureté du contexte et de la thématique abordée. Ces partis pris font que l’on se sent très vite en empathie avec le personnage. Surtout, en refusant de laisser Agnes suffoquer dans son mal être, le film lui laisse aussi suffisamment d’espace pour avancer petit à petit. Plusieurs personnages secondaires arrivent ainsi sans crier gare, presque par hasard, au sein du récit (un chaton, un jeune homme dont Agnes va se rapprocher…) et permettent à Agnes de sortir de son statut de victime, de redevenir actrice de sa vie. La manière dont sa relation avec Gavin (Lucas Hedges, excellent comme à son habitude) se développe est par exemple remplie de tendresse et la réalisation montre l’affection qui naît entre eux avec beaucoup de sensibilité et de pudeur, la jeune femme s’ouvrant de nouveau peu à peu à l’amour et à la sexualité.
La révélation d’une actrice et auteure de talent
Et puis, il y a l’humour des dialogues, lié à la personnalité d’Agnes, personnage aussi original qu’attachant montré comme autiste Asperger (même si le terme n’est jamais lâché) et qui a, dès le début, une manière bien à elle de voir les choses, à la fois pertinente et décalée. D’un naturel nerveux, le personnage s’excuse beaucoup et se lance volontiers dans des monologues pour gérer ses angoisses et son sentiment de culpabilité envers son entourage, à commencer par sa meilleure amie Lydie (Naomi Ackie), qui en vient parfois à s’oublier pour venir en aide à son amie – ce dont elle a bien conscience. L’humour d’Agnes fait sa force, mais aussi celle du film, tout entier porté par la performance solaire d’Eva Victor, qui a écrit le rôle pour elle-même et parvient à se diriger avec beaucoup de justesse – chose qu’il n’est pas toujours évident de parvenir à faire, et encore plus pour un premier film. Jusque-là, l’actrice s’était principalement illustrée à la télé (Billions) et dans des vidéos humoristiques virales diffusées sur les réseaux sociaux mais il est évident, au vu de sa performance ici, qu’elle a sans doute un très bel avenir au cinéma.
Le titre du film, Sorry, Baby, fait référence à la manière qu’a Agnes de toujours s’excuser et d’être perpétuellement désolée, mais résonne aussi comme une excuse face à la vie elle-même, souvent dure et chaotique, dont personne ne peut véritablement nous protéger malgré toute la meilleure volonté du monde. Dans une séquence émouvante vers la fin du film, la jeune femme prend dans les bras le bébé de sa meilleure amie et s’excuse qu’elle soit née dans un monde où tant de choses terribles pourront lui arriver… tout en lui assurant son soutien indéfectible.
Et au final, c’est sans doute cela qui touche le plus dans Sorry, Baby : la grande tendresse dont le film fait preuve envers ses personnages (et plus particulièrement envers son héroïne), confrontés à des situations difficiles et parfois fort cruelles dans leur « banalité » même. Face au chaos de l’existence, le film semble nous murmurer que l’antidote réside dans notre rapport à l’autre, dans notre rapport aux personnes que nous choisissons pour nous accompagner, qu’il s’agisse de faire une longue route ou un bout de chemin ensemble, et qui entrent parfois dans notre vie sans crier gare, presque par effraction, mais jamais par hasard et toujours en y étant les bienvenues. Réalisé et écrit avec humour et justesse, ce premier film est enfin la révélation, devant et derrière la caméra d’Eva Victor, actrice et auteure de grand talent dont on suivra attentivement la suite de la carrière.