Comme nous l’avons vu dans l’article Enquêter sur le monde, Blue Velvet met en scène un homme (spectateur-détective et double du cinéaste), deux femmes, l’une brune et l’autre blonde et une oreille comme pont entre les deux ou plutôt comme point d’entrée… Car le mystère qui happe le héros, dans le fond, n’est autre que le Mystère Féminin, et Blue Velvet se donne en fin de compte plus à voir comme la réflexion tortueuse et torturée d’un homme sur l’amour qu’un film policier à suspense. C’est ce qui en fait sa grande force et les personnes qui peineront à s’intéresser à cette dimension risquent donc de rester à côté du film.
La blonde et la brune
Reprenant un paradigme classique cher au cinéma hollywoodien, David Lynch oppose ainsi la douce et blonde Sandy, fille du détective Williams et jeune fille (trop) bien sous tous rapports à la ténébreuse Dorothy Vallens, mystérieuse, sensuelle, mais victime d’abus sexuels et au bord de la folie. Si on retrouvait déjà cette opposition dans Eraserhead avec la petite-amie du héros d’un côté et sa séduisante voisine de l’autre, c’est véritablement à partir de Blue Velvet que cet antagonisme/parallèle prend toute sa dimension puisque ces deux pôles symbolisés par deux femmes est ici ce qui structure le film. Et évidemment, celui-ci joue également sur les couleurs chatoyantes et un glamour de surface qui touche au fétichisme (chevelures, perruques, maquillage, tenues, etc.) et que l’on retrouvera dans Twin Peaks, Lost Highway et Mulholland Drive.
C’est ainsi que l’allure d’Isabella Rossellini dans le film a beaucoup marqué les esprits, y compris dans le domaine de la mode, alors même que le cinéaste s’attache à déconstruire véritablement l’image de femme fatale que se donne la chanteuse, qui n’a rien d’une femme forte et vénéneuse et n’est pas vraiment glamour, en fin de compte. C’est là un point essentiel à ne pas oublier : le cinéaste et son actrice ne voulaient pas que les scènes de sexe violentes du film soient perçues comme excitantes mais au contraire dérangeantes. Cette femme que Jeffrey observe depuis son placard est après tout une femme violée et séquestrée, traumatisée au point qu’elle a en partie accepté son sort et reproduit le comportement pervers de son agresseur avec le héros pour tenter de l’exciter, pensant qu’il doit aimer ça.
Dorothy Vallens: le paradoxe de la femme-objet
La sexualité et la nudité de la jeune femme ne nous sont donc pas montrées comme attirantes : lorsqu’elle se déshabille, on voit les défauts de son corps et plus le film avance, plus celui-ci s’apparenterait presque à un cadavre ou un morceau de chair fraîche. Dans le documentaire de l’édition collector, “The Mysteries of Love”, l’actrice avoue qu’elle avait regardé pas mal de photographies de carcasses de vaches et de tableaux de Francis Bacon et qu’elle avait interprété Dorothy comme une jolie poupée cassée. Son interprétation est en effet saisissante, souvent effrayante et les scènes sexuelles, notamment celles où apparaît Frank, sont en ce sens particulièrement dérangeantes et mettront plus d’un spectateur mal à l’aise… ce qui était clairement le but recherché, mais sans la moindre condescendance.
Il est étrange de penser, au vu des partis pris du film, que des féministes américaines aient violemment protesté contre celui-ci au moment de sa sortie, le taxant de misogynie. Comme il est assez ironique, en fin de compte, que le film ait propulsé Isabella Rossellini comme un véritable sex-symbol subversif des années 80 (même si elle était déjà très connue en tant que top-model), Madonna allant même jusqu’à l’inviter à participer à son livre de photos érotiques/porno-soft Sex pour poser à ses côtés sur des clichés suggestifs. Bien qu’il s’attache toujours à gratter le vernis des apparences et soit considéré comme un cinéaste culte peu accessible au grand public, force est de constater que Lynch a le chic pour soigner l’apparence de ses personnages féminins au point que leur glamour éclipse leur ambiguïté fondamentale dans l’imagination populaire.
Mais l’accès de Rossellini au rang d’icône sensuelle suite à ce film est en fin de compte comparable à ce qui s’est passé pour Rita Hayworth, à jamais Gilda pour le public alors même que le film éponyme de Charles Vidor traite avant tout de la manière dont une femme est victime des projections machistes des hommes qui l’entourent, qui cherchent à faire d’elle une femme-objet par tous les moyens car sa sensualité les menace. La scène du “strip-tease” dans le club, où l’héroïne retire son gant, est en fait une scène d’humiiation, un acte désespéré pour attiser la jalousie de son mari qui l’a emprisonnée pour la punir de sa sensualité tout en la contraignant à se donner en spectacle tous les soirs. Plus qu’une démonstration de puissance sexuelle féminine (comme semble pourtant l’attester son assurance espiègle), il s’agit avant tout d’un aveu d’impuissance de la part d’une femme qui signifie ainsi à son mari qu’elle n’a plus qu’à se comporter en pute puisque c’est tout ce qu’il veut voir en elle. Ce parallèle avec l’icône tragique Rita Hayworth (dont la vie personnelle comportait de nombreux points communs avec son personnage phare) sera d’ailleurs explicitement utilisé par Lynch dans Mulholland Drive au travers du double-personnage Rita/Camilla…
“The Mysteries of Love” ou le mystère féminin
Le personnage interprété par Laura Dern, Sandy, est à priori une ingénue dans toute sa splendeur : naïve, douce et souriante à l’excès au point d’en être souvent irritante, rêvant du prince charmant et de milliers de rouges-gorges chassant les ténèbres à la manière d’une princesse Disney… Cependant, comme souvent chez Lynch, il ne faut pas s’arrêter aux apparences et la blonde est en fait une femme fatale qui s’ignore, en faisant le personnage le plus ambigu et mystérieux du film alors même qu’on est portés à penser que celui-ci serait plutôt Dorothy. Vers le milieu du film, alors qu’ils se trouvent au café Chez Arlene où le jeune homme vient de révéler à l’adolescente sa dernière escapade nocturne, celle-ci lui demande: “Tu aimes les mystères à ce point?”… Ce à quoi il lui répond tout de go: “Oui. Tu es un mystère. Je t’apprécies vraiment beaucoup” avant de l’embrasser fougueusement. Une déclaration, décalée de prime abord, qui n’a cependant rien d’étonnant.
Le film est en effet structuré autour de la rencontre entre Jeffrey et Sandy et l’évolution de leur relation. Après avoir fait sa macabre découverte, le jeune homme décide le soir-même d’aller recueillir des informations sur l’enquête en cours en rendant visite au détective Williams chez lui. En allant prévenir sa mère qu’il sort, il descend un long escalier plongé dans l’obscurité (filmé bien entendu en contre-plongée) tel un tunnel l’engloutissant, sa silhouette se découpant dans l’embrasure éclairée de la porte… Ce couloir peut également être vu comme un utérus : la mère et la tante sont après tout les deux premiers personnages féminins que le héros voit dans le film et ce désir inconscient de rejoindre le ventre maternel sera illustré, de manière ô combien perverse, par Frank Booth hurlant: “Mommy! Baby wants to fuck!” avant d’enfouir sa tête dans l’entrejambe de Dorothy couchée au sol. Juste après, alors que Jeffrey marche dans la rue en direction de la maison du détective, un gros plan de l’oreille apparaît par le biais d’un fondu qui enchaîne le héros à celle-ci. La caméra plonge dans l’oreille, entraînant un fondu au noir… dont on sort par l’entremise d’une porte ouverte par la mère de Sandy.
Le cinéaste coupe ensuite directement sur un portrait de la jeune fille filmé en gros plan sur le bureau de son père tandis que Jeffrey et lui discutent. Avant même qu’elle n’apparaisse en chair et en os à l’écran quelques minutes plus tard, elle est déjà une image, tout comme la femme fatale. Sauf qu’ici, elle serait plutôt celle de la gentille fille vertueuse à son papa. La caméra s’éloigne alors de la photographie par un lent travelling arrière qui permet de cadrer les deux hommes assis.
Ces différents plans annoncent ainsi la rencontre avec Sandy et soulignent son importance pour la suite du film, mais ils annoncent surtout que le véritable mystère au cœur de celui-ci ne tient pas tant à cette fameuse oreille coupée qu’à une double figure féminine, femme fatale et ingénue, révélant en cela que Blue Velvet sera centré sur le rapport de Jeffrey à ce mystère féminin.
Ce qui est redoublé par le plan où la caméra effectue un travelling arrière sur la photo de la jeune fille, qui nous sera présentée dans la séquence suivante comme une femme fatale de par son apparition donc, puis comme une ingénue. Non seulement le déplacement vers l’arrière implique une mise à distance, mais au même moment, le père de Sandy déclare au jeune homme (à propos de l’oreille) : « Tu dois être curieux d’en savoir plus. Mais je dois te demander de ne parler de ça à personne et de ne pas poser de questions », ce qui bien évidemment créé un double-sens par la mise en scène. Double-sens qui sera repris les fois suivantes où le héros viendra chez les Williams, non plus pour parler de l’oreille, mais pour venir chercher Sandy, avec la permission du père à chaque fois. La dernière fois où il entre seul dans la demeure, pour révéler tout ce qu’il sait sur l’affaire, le père de la jeune fille demande, sur le ton de l’avertissement, si cette dernière est mêlée d’une quelconque manière à tout ça et, bouclant pour ainsi dire la boucle, la caméra révèle la présence de celle-ci dans les escaliers en train de les écouter et effectue un travelling avant sur son visage se tordant et exprimant une vive panique.
Femme fatale ou ingénue?
Des différentes scènes d’apparition de personnages féminins dans la filmographie de David Lynch, celle de Sandy est la plus troublante car elle nous présente celle-ci en tant que femme fatale à part entière par la mise en scène morcelée, jouant sur le regard, le hors champ et l’attente comme jamais (dans Twin Peaks, Lost Highway et Mulholland Drive ces scènes d’apparition, certes morcelées, sont néanmoins bien plus simples et directes) tout en donnant à la jeune fille tous les attributs physiques de l’ingénue du mélodrame : frêle silhouette, robe-chemisier rose pastel toute simple et très sage – du moins en apparence – qui n’est pas sans rappeler le gilet de Betty dans MD, chevelure blonde ramenée en arrière par une simple barrette, presque pas de maquillage… Des attributs qui ne seront plus par la suite simplement physiques mais également psychologiques, l’adolescente faisant preuve d’un romantisme fleur bleue qui fait plus que flirter avec le cliché de petite fille naïve rêvant du prince charmant (ce qui est illustré de manière éloquente par le récit exalté de son rêve où des milliers de rouge-gorges volent dans le ciel et remplacent les ténèbres par une lumière éblouissante).
Il est fréquent chez le cinéaste que l’ingénue se révèle moins innocente qu’elle en ait l’air, empruntant à certains moments des attributs à la femme fatale. Cependant, cette dualité de l’ingénue n’apparaît jamais dès son apparition et s’effectue de manière progressive. Dans Blue Velvet, on assiste à l’inverse, l’aspect « femme fatale » de Sandy s’estompant nettement au-delà de cette séquence d’introduction pour céder la place à Dorothy Vallens, dont elle devient dès lors l’opposé.
Tout juste sorti de la maison des Williams, Jeffrey emprunte l’allée centrale pour rejoindre la rue. Nous le voyons au sein d’un plan frontal de la maison, en demi-ensemble, filmé depuis l’autre bout de l’allée. Les bords sombres du cadre nous permettent tout juste de distinguer une pelouse avec des arbres sur la droite tandis que le cadre est coupé sur la gauche de façon à ce que nous ne puissions pas voir ce qui s’y trouve… et c’est évidemment de cette direction que s’élève une voix grave et sensuelle, hors champ.« C’est toi qui a trouvé l’oreille ? » entend-on. Le regard du jeune homme s’oriente alors sur la gauche, contre-champ : le plan est complètement noir et le restera pendant des secondes, avant que ce qui semble être les feuilles d’un saule pleureur ne s’agitent et laissent apparaître progressivement la blonde jeune fille, dont le visage se révèle à la lumière, en plan rapproché poitrine en même temps que la musique s’élève, atteignant son paroxysme une fois complètement sortie de l’ombre.Jouant fortement sur la mise en scène du regard et le hors champ, cette scène d’apparition est par ailleurs tout à fait irréelle : avec la lumière venant des immenses fenêtres de la maison, il paraît invraisemblable que la jeune fille demeure à ce point invisible, confondue dans les ténèbres. Il ne semble pas non plus possible qu’elle se soit trouvée au fond du jardin étant donné que la voix entendue hors champ était clairement proche.
Sandy sort littéralement de la nuit, apparition divine volant à la rescousse du héros pour lui révéler de précieux indices qu’il n’a pu obtenir, telle la « bonne marraine la fée » de Cendrillon qui apparaît par magie au moment où la jeune fille se sent démunie de ne pas être parvenue à se rendre au bal. Elle apparaît aussi un peu comme la Belle au Bois Dormant du film de Disney telle qu’elle se révèle au regard énamouré du prince: les saules pleureurs d’où elle émerge rappellent grandement les arbres de la forêt du dessin animé et la musique à ce moment-là ressemble beaucoup à celle du thème principal de celui-ci, composé par Tchaïkovski, ce qui, bien entendu, cadre avec le côté sentimental bon enfant du personnage. Sauf que son rôle, alors sous l’influence de la femme fatale, demeure bien plus ambigu.
L’ingénue tentatrice
Jouant ouvertement le jeu du mystère et de la séduction, l’adolescente de Blue Velvet met du temps avant de répondre au jeune homme, qui lui demandait comment elle était au courant, le toisant de son regard avant de lâcher un lapidaire « Je le sais, c’est tout. » Elle l’invite alors d’un regard à la suivre dans la rue et continuera sa ronde séductrice : lorsqu’il lui demande si elle sait quelque chose sur l’affaire, elle dit, d’un air faussement innocent en l’espace de quelques secondes : « Pas grand chose. J’ai entendu des choses… Ma chambre est au-dessus du bureau de mon père » avant de lui révéler tout ce qu’elle a entendu. Alors qu’ils remontent la rue le long d’un chemin bordé d’arbres, la lumière des lampadaires éclaire partiellement la jeune fille et c’est là qu’un détail de sa tenue vestimentaire apparaît : elle ne porte pas de soutien-gorge et ses tétons pointent clairement sous le corsage de sa robe, ce qui, là encore, entre en contradiction totale avec l’ingénue traditionnelle des mélodrames, sage et asexuée.Lorsqu’ils se trouvent sur Lincoln Street en face de l’immeuble de Dorothy Vallens, au moment de partir, elle tourne le dos à Jeffrey et nous voyons que l’arrière de sa robe n’est pas fermé mais forme un petit dos nu, un détail qui la sexualise un peu plus par le biais de cette tenue d’apparence si sage. Elle diffère ainsi nettement de l’ingénue du mélodrame ou de la « good woman » du film noir, que Janey Place distinguait de la femme fatale en ces termes : «La femme fatale du film noir possède quelque chose qui fait défaut à son innocente consoeur : l’accès à sa propre sexualité (et par là-même à celle des hommes) et le pouvoir qui en découle. » (Janey Place, “Women in Film Noir” in (dir.) E. Ann Kaplan, Women in Film Noir, Londres, Éditions BFI, édition révisée et augmentée, 1998 (édition originale 1978), p. 49)
Bien que Sandy ne soit plus vraiment sexualisée par la suite, semblant donc rentrer dans les limites établies par la caractérisation de l’ingénue, il ne faut pas oublier que, par le biais de Jeffrey, qui lui raconte ses découvertes au sujet de Dorothy, elle a accès à cette dimension de la femme fatale.
Sexe par procuration
Sandy a beau ignorer la liaison qu’entretient le jeune homme avec la chanteuse de Blue Velvet, elle est toutefois parfaitement consciente de l’attirance et de la fascination qu’il éprouve à l’égard de la brune. L’évidente curiosité qu’elle manifeste envers celle-ci et le plaisir qu’elle prend à ces confidences malgré ses recommandations de prudence montrent qu’elle est moins innocente qu’elle en a l’air. Les comptes-rendus que Jeffrey lui fait lorsqu’ils se retrouvent scellent leur union amoureuse, qui est loin d’être aussi platonique qu’on pourrait le penser et que ce qui a été suggéré par certains auteurs et critiques, tel Michel Chion, qui relève pourtant dans son livre consacré au cinéaste « qu’il y a un axe Sandy/Dorothy qui incite à voir les deux femmes comme n’en faisant qu’une ». Cependant, il interprète les deux femmes comme symbolisant chacune une image maternelle, l’une asexuée et l’autre sexuée (la traditionnelle dichotomie de la Vierge et la « Pute »), ce qui est vrai au départ, mais ne semble pas percevoir l’ambivalence sexuelle de Sandy et de sa relation à Jeffrey. Il déclare ainsi à ce sujet : « rien que de très chaste en effet entre les deux jeunes gens, pas la moindre esquisse de sexe. » (Michel Chion, David Lynch, Paris, Éditions de l’Etoile/Cahiers du Cinéma, collection « Auteurs », nouvelle édition augmentée, Paris, 2001, pp. 109-111)
En réalité, il ne semble pas exagéré de dire que Jeffrey et Sandy entretiennent des rapports sexuels par procuration. D’ailleurs, c’est bien à Sandy que Jeffrey confie qu’elle est un mystère pour lui. De plus, lorsqu’elle lui demande d’un ton accusateur, après avoir assisté à la performance de Dorothy au cabaret où elle se produit, s’il est « un détective ou un pervers », il lui répond d’un ton enjôleur : « A toi de le découvrir ! » C’est avant toute chose par l’entremise de la jeune fille qu’il explore ses pulsions puisque, comme elle ne cesse d’ailleurs de le lui répéter, c’est elle qui l’a « entraîné là-dedans. »Elle a donc bien un rôle de tentatrice et d’initiatrice, ce qui était déjà explicite lors de leur rencontre. Elle n’en a certes pas tout à fait conscience mais, bien qu’elle ne le maîtrise pas, elle a donc bel et bien accès à cette dimension charnelle qui est interdite à l’ingénue. Comme Jeffrey, elle a une position de spectatrice/voyeuse, mais à un niveau plus distancié puisqu’elle ne voit rien directement : le jeune homme, dissimulé dans le placard de la femme fatale, lui sert d’yeux et lui rapporte oralement ce dont il a été témoin. A l’image du spectateur de cinéma, elle se contente simplement de jouir du spectacle en restant à l’abri (du moins le croit-elle) dans son univers quotidien « sain ».
Blue Velvet, film empruntant aussi bien au film noir qu’au mélodrame hollywoodien, comporte ainsi deux femmes fatales : l’une, ingénue, est une dark lady qui s’ignore tandis que l’autre, plus évidente, n’en demeure pas moins un être brisé et une femme en détresse, qui éclaire de sa noirceur la relation amoureuse naissante entre les héros Sandy et Jeffrey. La simple dichotomie de la Vierge et la Pute disparaît chez Lynch au profit de figures plus complexes. C’est par leur entremise que le jeune homme rentre dans un monde de mystères et explore ses pulsions, mais aussi son rapport à l’amour. Blue Velvet est en fin de compte l’histoire d’une initiation sexuelle et sentimentale, un rêve éveillé dominé par deux figures féminines symbolisant ensemble l’éternel Mystère Féminin qui intrigue et fait tant peur aux hommes. Comme dans Lost Highway ou Mulholland Drive, cela n’est alors pas un hasard si la structure même du film joue sur cette dualité fondamentale qui est au coeur même du cinéma de Lynch et se trouve toujours incarné par une double figure féminine.
Article revu et corrigé pour Ouvre les Yeux en 2015. Une première version a été publiée sur CulturELLEment Vôtre le 2 novembre 2010. Rapatrié le 2 décembre 2017.
Cet article sur les femmes dans le film Blue Velvet fait partie du dossier consacré au réalisateur David Lynch, qui comprend des analyses de ses films.