Caractéristiques

- Titre : Connemara
- Réalisateur(s) : Alex Lutz
- Scénariste(s) : Alex Lutz, Amélia Guyader
- Avec : Mélanie Thierry, Bastien Bouillon, Jacques Gamblin, Clémentine Célarié et Grégory Montel.
- Distributeur : StudioCanal
- Genre : Drame
- Pays : France
- Durée : 115 minutes
- Date de sortie : 10 septembre 2025
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- Note du critique : 7/10 par 1 critique
Deux ans après Une nuit et sept après l’inoubliable Guy, Alex Lutz revient derrière la caméra avec Connemara, présenté en avant-première dans la section Cannes Première au Festival de Cannes 2025. Une plongée sensible dans les blessures silencieuses de la quarantaine, inspirée par le roman éponyme de Nicolas Mathieu, auteur déjà couronné du Goncourt en 2018 pour Leurs Enfants après eux, lui aussi adapté cette année sur grand écran.
Rencontre tardive de quarantenaires cabossés
Issue d’un milieu modeste, Hélène (Mélanie Thierry) avait tourné le dos à ses racines vosgiennes pour s’inventer une autre vie, parisienne et ambitieuse. Mais à quarante ans passés, un burn-out brutal la renvoie là d’où elle vient, à Épinal, où elle retrouve Christophe Marchal, le beau et populaire hockeyeur de ses années lycée. Ce synopsis vous dit quelque chose ? C’est normal, car il rappelle fortement celui de Partir un jour, film d’ouverture du festival de Cannes, avec le même Bastien Bouillon en tête d’affiche. Mais les ressemblances entre le long-métrage d’Alex Lutz et celui d’Amélie Bonnin s’arrêtent là.
Hélène et Christophe sont deux êtres blessés par la vie, l’une cherchant à échapper à un quotidien étouffant et l’autre tentant de retrouver une place dans une équipe sportive et dans la vie de son fils, depuis son divorce. Il y a, dans leur histoire naissante, une forme de besoin plus que de désir : un besoin de réconfort, de reconnaissance. Ils ne sont pas faits pour s’aimer, mais ils le font quand même, parce que leurs failles se répondent. Mélanie Thierry et Bastien Bouillon incarnent ce lien avec justesse. Leur jeu repose autant sur les silences que sur les dialogues. Les scènes d’intimité, filmées avec pudeur et intensité, capturent la vulnérabilité de corps qui hésitent, se découvrent et se réconfortent. Alex Lutz capte ces moments avec délicatesse, sans chercher à en faire trop. Et c’est sans doute là que le film touche le plus juste : dans cette façon de capter ces instants suspendus, ces tranches de vie pleines de douceur ou de douleur.

Fragments de vie et bouleversement intérieur
Comme le chaos intérieur qui ronge Hélène, la narration de Connemara épouse un désordre assumé, mais pas toujours maîtrisé. Dès les premières minutes, le spectateur peine à trouver ses repères. Qui est Christophe ? Que cherche-t-on à nous raconter ? Le récit alterne sans transition entre souvenirs flous et scènes du quotidien, dans un montage fragmenté qui déstabilise plus qu’il n’intrigue. Les voix off, plaquées sur des images sans lien direct, désorientent. Les plans s’enchaînent parfois de manière abrupte et la musique vient parasiter certaines séquences au lieu de les sublimer. À force de chercher à traduire le vacillement des personnages, Alex Lutz finit par perdre son fil narratif. La caméra tremble, colle aux visages, abuse du flou comme si la confusion émotionnelle devait forcément passer par une mise en scène brouillonne, et le projet, s’il est sincère dans sa volonté d’épouser les états d’âme de ses protagonistes, laisse une impression persistante d’inabouti.
Mélanie Thierry, toujours juste, incarne avec une intensité brute cette femme que la quarantaine a rattrapée de plein fouet. Même lorsque tout semble se remettre en place, elle ne parvient pas à être heureuse. Une douleur sourde l’habite, comme si quelque chose s’était irrémédiablement déréglé. Le film tente d’entrer dans cette psyché à vif, notamment à travers les séances de thérapie où Hélène se montre agressive, hermétique. Christophe traverse aussi une période de fracture : son divorce, la perspective de voir son fils lui échapper, le renvoient à sa propre impuissance. Mais là encore, ces tourments, pourtant universels, peinent à prendre chair dans un récit aussi épars. Connemara touche parfois juste, mais ses fulgurances restent isolées. À force de vouloir capter des fragments, le film finit par s’éparpiller, et le spectateur, tenu à distance, ne saisit qu’une mosaïque d’émotions, là où il aurait aimé un vrai récit.

Quand les rêves se heurtent au quotidien
Le film ne se contente pas d’une romance contrariée : il interroge le poids du quotidien, l’impossible seconde chance. Hélène veut croire qu’elle peut tout reconstruire, mais son retour à Epinal a un goût amer. Au travail, elle n’est pas prise au sérieux, dans sa vie privée, elle s’efface. C’est à peine si son mari et ses deux filles existent dans le récit, trois silhouettes fugaces d’un quotidien figé, auquel elle tente d’échapper sans en avoir les moyens. Le père de Christophe, très justement interprété par Jacques Gamblin, incarne un autre type de rupture avec le réel : celle, irréversible, de la mémoire qui s’efface. Le film tisse ainsi des liens subtils entre mémoire, désillusion et renoncements.
Connemara ambitionne aussi un discours social, mais peine à lui donner de l’ampleur. Hélène est une transfuge de classe qui a tenté l’ascension sociale à Paris, avant d’être ramenée chez elle comme par un mouvement inverse, presque une punition. Sa relation avec Christophe illustre bien cette difficulté : il y a entre eux une barrière invisible, faite de codes sociaux et de rêves incompatibles. Cependant, ce retour à l’origine aurait pu nourrir un vrai propos sur la fracture sociale et les préjugés, mais – à l’exception d’une scène de mariage très réussie où la célèbre chanson de Sardou agit comme un révélateur des jugements d’Hélène sur « ceux qui sont restés » – le film ne fait qu’effleurer son sujet. Là où Partir un jour embrassait pleinement la douleur du déclassement et le vertige identitaire qu’il engendre, Connemara capte parfois la gêne, le décalage, mais ne les explore jamais vraiment.
Connemara n’est pas un film raté, mais il est loin d’être pleinement abouti. Alex Lutz y capte avec pudeur des vies cabossées et des secondes chances vacillantes. Il épouse le chaos intérieur de ses personnages à travers une mise en scène fragmentée, souvent sensorielle, mais trop maniérée pour réellement émouvoir. À force de ne faire qu’esquisser son propos, le film finit par rester à mi-chemin : un regard mélancolique sur la quarantaine, riche en intentions, mais qui peine à convaincre totalement.