[Critique] Les Aigles de la République : entre audace politique et distance narrative

Caractéristiques

  • Titre : Les Aigles de la République
  • Réalisateur(s) : Tarik Saleh
  • Scénariste(s) : Tarik Saleh
  • Avec : Fares Fares, Lyna Khoudri, Zineb Triki, Amr Waked, Cherien Dabis...
  • Distributeur : Memento
  • Genre : Drame, Thriller
  • Pays : France, Suède, Danemark, Finlande, Allemagne
  • Durée : 129 minutes
  • Date de sortie : 12 novembre 2025
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 6/10

Après Le Caire confidentiel et La Conspiration du Caire, récompensé par le Prix du Scénario à Cannes en 2022, le cinéaste suédois Tarik Saleh poursuit son exploration de l’Égypte, terre d’origine de son père. Il retrouve son acteur fétiche, Fares Fares, pour Les Aigles de la République,  nouveau long-métrage où les coulisses du cinéma deviennent le théâtre d’un affrontement politique oppressant.

Une star face à la propagande

George Fahmy, comédien adulé et véritable icône du cinéma égyptien, se retrouve malgré lui happé dans les arcanes du pouvoir. Sommé d’endosser le rôle du président Al-Sissi dans une superproduction encadrée par l’armée, il comprend rapidement que le projet n’a rien d’anodin : il s’agit d’un film de propagande, conçu pour glorifier le régime. Loin de toute forme d’engagement politique, cet acteur habitué aux tapis rouges et aux mondanités découvre alors les menaces, les manipulations et les réseaux d’influence qui gravitent autour de lui.

Tarik Saleh, interdit de tournage en Égypte depuis Le Caire confidentiel, n’hésite pas à pointer du doigt le régime en plaçant son héros dans une situation de soumission volontaire. George Fahmy, surnommé le « Pharaon de l’écran », est une star vieillissante, riche et adulée, mais nonchalante et peu concernée par la politique. Père absent, mari séparé, amant volage, il préfère profiter de sa notoriété et d’une compagne bien plus jeune que lui (Lyna Khoudri) plutôt que de remettre en cause le système. Convaincu qu’en obéissant il peut obtenir des faveurs pour lui et ses proches, il s’accommode des exigences du pouvoir. Porté avec justesse par Fares Fares, le personnage reste pourtant difficile à aimer : trop égocentrique, trop distant, il peine à éveiller l’empathie du spectateur. C’est là l’une des limites majeures du film.

image fares fares les aigles de la republique
Copyright Yigit Eken

Entre thriller politique et drame intime

Avec ce postulat de départ alléchant – un acteur contraint de participer à un film de propagande – Tarik Saleh joue sur l’impression de danger latent et l’idée que chaque geste, chaque mot de George est scruté pour correspondre à l’image que le Président souhaite voir projetée à l’écran. La tension est présente, renforcée par une machination invisible qui ne se révèle que tardivement, donnant envie de revoir le film pour en déceler les indices. Pourtant, malgré ce climat oppressant et une scène de climax inattendue d’une grande brutalité, l’ensemble s’étire. Sur plus de deux heures, Les Aigles de la République oscille entre drame intime et thriller politique sans jamais vraiment trancher.

Si le rythme du récit laisse à désirer, la mise en scène témoigne en revanche d’un vrai savoir-faire. Tarik Saleh filme au plus près son personnage, multipliant les gros plans et les séquences en voiture ou derrière son épaule. La photographie, aux couleurs chaudes, confère une esthétique soignée, et l’on retient notamment un plan-séquence inspiré. Le réalisateur joue aussi sur la mise en abyme, mêlant scènes de tournage et extraits du film de propagande. La direction d’acteurs est précise, le scénario bien construit, et la musique d’Alexandre Desplat, discrète mais efficace, accompagne la tension sans jamais imposer de thème marquant. Tout cela contribue à une atmosphère travaillée, mais qui, malgré ses qualités techniques, peine parfois à captiver totalement.

Copyright Yigit Eken

Une charge politique incisive mais distante

Exilé de son pays d’origine et contraint de tourner en Turquie, Tarik Saleh n’hésite pas à livrer une critique frontale du régime égyptien. Les Aigles de la République dresse le portrait d’une société minée par l’autoritarisme, la peur et les réseaux d’influence, où être favorable aux droits de l’homme ou à la démocratie revient à passer pour antipatriote, accusation dont George se défend farouchement. La censure du cinéma est montrée de façon édifiante, les censeurs qualifiant les artistes de « dégénérés ». Les échanges de services, les menaces voilées et les protections temporaires traduisent la manière dont le pouvoir verrouille toute liberté de création. Mais si la charge politique est bien présente, le film souffre d’un manque d’incarnation : les personnages secondaires demeurent archétypaux et l’univers très masculin du récit laisse les figures féminines dans l’ombre, rarement approfondies. Ce déséquilibre contribue à maintenir le spectateur à distance, malgré quelques traits d’humour irrévérencieux.

En plaçant un acteur manipulé, devenu marionnette du pouvoir, Tarik Saleh interroge la fonction même du cinéma et de ceux qui le font vivre. À quel moment cesse-t-il d’être un outil de création pour devenir un instrument de propagande ? Le film montre comment le pouvoir instrumentalise les images pour façonner la mémoire collective, et pose la question du rôle des artistes dans ce processus. Pourtant, cette réflexion passionnante reste inachevée. En choisissant un héros nuancé mais peu attachant, Saleh invite plus à l’observation qu’à l’identification, et laisse le spectateur partagé entre fascination pour l’audace du propos et frustration face à l’absence d’émotion.

En définitive, Les Aigles de la République séduit par son ambition et son audace, mais déçoit par son incapacité à pleinement embarquer le spectateur. Tarik Saleh signe un film solide dans sa forme et percutant dans son propos, mais qui reste prisonnier de son rythme étiré et de son personnage principal trop distant. Ce troisième volet égyptien, entre fresque politique et drame intime, confirme le talent d’un cinéaste engagé, tout en laissant un goût d’inachevé.

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucie Lesourd aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles.

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