[Critique Série] Merteuil : Vengeance, pouvoir et sensualité

Caractéristiques

  • Titre : Merteuil
  • Créé par : Jean-Baptiste Delafon
  • Avec : Anamaria Vartolomei, Diane Kruger, Vincent Lacoste, Lucas Bravo, Noée Abita...
  • Saison : 1
  • Année(s) de diffusion : 2025
  • Diffusion françaisee : HBO Max
  • Note : 6/10

On ne compte plus les adaptations des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, du classique de Stephen Frears (1988) au remake moderne Sexe Intentions (1998). Avec Merteuil, HBO Max s’empare à son tour du mythe et choisit la voie de la réinvention : une origin story consacrée à la jeunesse d’Isabelle de Merteuil, avant qu’elle ne devienne la redoutable marquise.

Créée par Jean-Baptiste Delafon (Baron Noir, Une amie dévouée) et réalisée par Jessica Palud (Revenir, Maria), cette ambitieuse fresque historique en six épisodes, disponible dès le 14 novembre à raison d’un épisode par semaine, nous plonge au siècle des Lumières, dans un Paris libertin où pouvoir, séduction et vengeance se livrent un duel aussi fiévreux que raffiné.

Réécriture au féminin

Pour être l’héroïne de sa propre vie, Isabelle de Merteuil doit d’abord briser celle des autres. Orpheline sans fortune, séduite puis trahie par le vicomte de Valmont, la jeune femme entame une lente ascension sociale, mue par un désir de vengeance. Guidée par la sulfureuse Madame de Rosemonde (Diane Kruger), elle apprend à manier les armes du pouvoir et du plaisir pour s’imposer dans un monde d’hommes. Au fil des épisodes, son apprentissage la mène des bas-fonds libertins à la cour de Louis XV, jusqu’à devenir la marquise de Merteuil, stratège du désir et virtuose du mensonge. Anamaria Vartolomei prête son intensité fière et contenue à cette héroïne blessée, tandis que Vincent Lacoste campe un Valmont séducteur et nonchalant. Fidèle à l’esprit épistolaire de Laclos, la série accorde une place importante à l’écrit, avec des lettres échangées ou lues en voix off.

Ce que Merteuil propose de neuf, c’est une relecture résolument féminine. Jean-Baptiste Delafon et Jessica Palud transforment la manipulatrice cynique en héroïne tragique : une jeune femme humiliée, violentée, qui s’éduque pour reprendre la main sur sa destinée. La série assume presque un ton de revenge movie, où le sexe devient un outil de domination et d’émancipation. Isabelle n’est plus seulement une prédatrice, mais une victime d’un système patriarcal brutal, cherchant à survivre dans un univers d’hommes qui l’écrasent. Contrairement au roman épistolaire, les intrigants ne sont d’ailleurs pas toujours punis pour leur immoralité. Ils s’affranchissent souvent des règles d’un monde qui ne leur laissait aucune place.

copyright HBO mAX

Une esthétique somptueuse et un casting de prestige

Dès son superbe générique, porté par la musique envoûtante de Woodkid, Merteuil impose une signature visuelle forte. Des peintures aux personnages dénudés se succèdent au rythme d’une partition baroque modernisée, entre clavecins et pulsations électroniques. Ce mélange d’ancien et de contemporain traverse toute la série, qui marie rigueur historique et liberté esthétique. Mais c’est surtout la beauté plastique de l’ensemble qui séduit d’emblée. Les décors fastueux de Florian Sanson et les costumes somptueux de Pascaline Chavanne confèrent à chaque scène une sensualité picturale. Un très beau travail des lumières met en valeur l’ensemble et  accompagne l’évolution d’Isabelle, des teintes pastel de l’innocence aux tonalités sombres de la domination.

Autour d’Anamaria Vartolomei, magnétique, s’articule un casting d’une belle cohérence : Vincent Lacoste campe un Valmont désinvolte, Lucas Bravo distille un flegme raffiné mais cruel en comte de Gercourt, tandis que Noée Abita incarne une Madame de Tourvel toute de douceur et de retenue. Fantine Harduin, Samuel Kircher et Sandrine Blancke complètent une distribution soignée, à la diction claire et maîtrisée. Si les dialogues adoptent un registre soutenu, ils demeurent toujours compréhensibles et fluides. La direction d’acteurs, précise, permet de dépasser la théâtralité du texte, même si certaines scènes conservent une pointe d’artifice.

copyright Caroline Dubois

Charmes et limites des jeux de pouvoir

Dans Merteuil, la séduction n’est plus un simple divertissement aristocratique ; c’est un instrument social. La série plonge dans les coulisses d’un Paris libertin où lettres, chantages et alliances mouvantes orchestrent les destins. Le désir devient arme politique et la passion un terrain d’affrontement. Merteuil explore les contradictions intérieures de ses protagonistes : ambitions contrariées, sacrifices intimes, quête de liberté dans un monde où les femmes n’en ont aucune. Jessica Palud filme cette tension avec un regard résolument féminin, oscillant entre fascination et lucidité. Pourtant, si l’on admire la mécanique des intrigues, on peine parfois à ressentir une réelle empathie. Ces personnages blessés semblent toujours jouer un rôle, masqués derrière leurs propres mensonges, et peinent à susciter l’attachement.

Avec sa sensualité explicite, ses étreintes filmées avec un soin esthétique, et ses cliffhangers de fin d’épisodes, Merteuil assume pleinement son érotisme et son rythme feuilletonnant. Mais cette intensité, aussi séduisante soit-elle, s’accompagne d’un certain déséquilibre : les dialogues, parfois trop emphatiques, brident le rythme, tandis que le  ton démonstratif affaiblit la tension dramatique. Les personnages, constamment écartelés entre deux pôles – ingénuité et calcul pour Merteuil, cynisme et romantisme pour Valmont – incarnent une belle idée d’ambiguïté que la série peine toutefois à rendre pleinement satisfaisante. Anamaria Vartolomei, d’une justesse souvent admirable, navigue entre douceur et dureté sans toujours trouver l’équilibre, et Vincent Lacoste, lui aussi, semble chercher la nuance entre le charme et la cruauté.

En somme, Merteuil séduit par son ambition, son esthétique somptueuse et son regard féministe sur un classique intemporel. Mais si la série brille par ses images et ses idées, l’ambiguïté des personnages, au cœur de l’intrigue, n’est pas toujours exploitée avec réussite. Un plaisir visuel et historique, qui ne parvient pas toujours à convaincre pleinement sur le plan émotionnel.

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucie Lesourd aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles.

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