Caractéristiques
- Titre : Kika
- Réalisateur(s) : Alexe Poukine
- Scénariste(s) : Alexe Poukine et Thomas Van Zuylen
- Avec : Manon Clavel, Makita Samba, Anaël Snoek, Thomas Coumans, Bernard Blancan, Suzanne Elbaz, Kadija Leclère...
- Distributeur : Condor Distribution
- Genre : Comédie dramatique
- Pays : Belgique, France
- Durée : 12 novembre 2025
- Date de sortie : 12 novembre 2025
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- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Réalisatrice française installée en Belgique, Alexe Poukine était jusque-là connue pour ses documentaires sur des sujets forts comme Sauve qui peut sur le travail des soignants à l’hôpital et Sans frapper sur les violences sexuelles. Kika (à ne pas confondre avec le film d’Almodóvar) est son premier long-métrage de fiction. Un film résolument contemporain, à la dimension sociale toujours forte puisqu’il suit une jeune assistante sociale belge qui perd subitement son compagnon alors qu’elle est enceinte et se retrouve du jour au lendemain mère célibataire endettée jusqu’au cou.
Après avoir entendu une bénéficiaire lui parler de ses activités pour essayer de joindre les deux bouts, Kika va peu à peu découvrir le monde de la prostitution et les pratiques BDSM en compagnie d’autres femmes alors qu’elle tente de faire son deuil et de garder la tête hors de l’eau.
Une comédie dramatique sur la prostitution sans voyeurisme ni misérabilisme
Alors, disons-le tout de suite : Kika n’est probablement pas un film pour tout le monde mais, si vous en avez marre des drames sociaux misérabilistes sur le sujet où les femmes sont soit de pauvres victimes exploitées et condamnées à un triste sort avec des conséquences souvent tragiques, soit des personnages complètement vénaux et borderline, sachez que vous devriez apprécier la proposition d’Alexe Poukine.
Son film propose un portrait de femme dans toute sa complexité, touchante sans jamais paraître pathétique et son interprète, Manon Clavel, au charisme magnétique, porte son histoire avec beaucoup d’énergie. Ni vulgaire ni éthérée comme c’est souvent le cas dans nombre de films hollywoodiens, elle incarne une femme d’aujourd’hui, battante, un peu paumée, mais qui prend les choses à bras le corps. Présenté d’une autre manière ou avec une autre actrice, le film aurait pu ne pas fonctionner mais pourtant, on croit tout de suite à l’histoire de Kika. Il faut dire que l’enchaînement des événements, mais aussi le cheminement, qui va mener Kika vers la prostitution se fait de manière progressive.
Le scénario fait également la part belle à l’humour dans les dialogues, très bien écrits sans jamais paraître artificiels dans la bouche des acteurs, ce qui permet de relâcher quelque peu la pression sans pour autant minimiser ou trivialiser la situation de l’héroïne ni des travailleuses du sexe en général. Alexe Poukine ne cherche jamais à enjoliver, pas plus qu’elle ne cherche à choquer avec des scènes choc ou voyeuristes. Après tout, le film n’en décrit pas moins une réalité sociale fort compliquée et cela est perceptible dès le départ, que ce soit à travers la situation des bénéficiaires ou la dimension purement pragmatique, au-delà du drame personnel qui la frappe, de la situation de Kika, qui bascule du jour au lendemain à cause des frais funéraires qu’elle a dû assurer seule.
Les travailleuses du sexe qui l’entourent l’accompagnent (au-delà des « ficelles du métier ») et lui apportent un soutien là où ses parents n’arrivent pas véritablement à l’aider ni à l’atteindre.
Représentation de la prostitution et ses pratiques en Belgique : entre empathie, réalisme et humour
En ce qui concerne la représentation du milieu de la prostitution et de ses pratiques, le film ne va pas trop dans le glauque, mais se veut là aussi réaliste. De la même manière que la réalisatrice s’est documentée sur le métier d’assistante sociale (en réalisant un stage, de même que Manon Clavel), elle s’est également documentée sur le milieu de la prostitution en Belgique (où elle est légale, rappelons-le) pendant 4 ans et a collaboré sur le scénario avec une domina. Là aussi, l’humour (même noir) permet de faire passer pas mal de choses et l’on se rend également vite compte que les travailleuses du sexe doivent être capables d’en avoir pour prendre du recul sur les situations auxquelles elles sont confrontées.
Les choses les plus glauques (de type scato, par exemple) ne donnent jamais lieu à des images sordides, mais davantage à des échanges assez décalés avec les clients… ou, encore, à une émotion inattendue au détour d’une scène à la fois forte et dérangeante où Kika et l’une de ses collègues doivent rentrer dans le fantasme d’un homme en couche culotte qui veut jouer au bébé et dont on devine sans trop de mal, en creux, le genre de trauma à l’origine de ce fantasme, ce qui, in fine, l’humanise alors que, au début de la scène, on aurait été plus enclins, comme Kika, à le juger.
A cet égard, on sent une véritable volonté de présenter les clients dans toute leur variété (âge, milieu social, personnalité et demandes) et de les humaniser. Bien que Kika rentre dans le milieu pour des raisons purement pragmatiques (et s’abstient donc de juger car il lui faut de l’argent), le film en lui-même se veut sans discours culpabilisant ni moralisateur, que ce soit à l’égard des clients (tous des hommes) ou des travailleuses du sexe, qui ne sont jamais rabaissées à l’image, ni vues comme des filles perdues ou des « putes au grand cœur » – ce qui est aussi un travers récurrent du cinéma français.
La réalisation d’Alexe Poukine, elle, est à la fois brute et réaliste. La caméra reste souvent au plus près de son héroïne. Cependant, elle n’opte pas pour autant pour une approche « documentaire » et il y a également une certaine stylisation, qui ne cherche jamais l’effet facile. Les cadrages sont travaillés et permettent toujours de convoquer l’émotion la plus juste, la photographie de qualité, esthétique mais jamais « esthétisante ».
Si tu tombes sept fois, toujours se relever…
Mais Kika, c’est aussi l’histoire d’un deuil, celui d’une histoire d’amour belle et inespérée qui s’arrête brutalement au décès du compagnon de la jeune femme, qui n’a pas le loisir de faire une pause pour laisser libre cours à son chagrin, qui ne se l’autorise pas. A ce titre, une scène vers la fin du film, qui commence de manière forte, douloureuse et dérangeante (filmée en plans très rapprochés) se révélera émotionnellement puissante et cathartique pour le personnage, lui permettant de lâcher enfin ses émotions contenues.
Il y a cette idée que le personnage a besoin d’amour, de douceur et de réconfort, mais que ce n’est qu’après s’être écroulée au sol qu’elle parviendra enfin à baisser son armure et à sortir de sa posture de guerrière que rien ne saurait atteindre. Il s’agit aussi et peut-être même avant tout d’un film sur une reconstruction, et c’est sans doute ça qui rend le film aussi touchant et aussi marquant.
Kika est donc une excellente surprise dans le paysage du cinéma franco-belge, un film qui nous prend au dépourvu, presque par surprise, en n’allant jamais dans la direction attendue. Ni comédie sur la prostitution ni tragédie ni mélodrame, il s’agit d’une œuvre dont le seul véritable coup de poing s’avère être au final émotionnel. Une émotion qui nous prend là encore à revers.






