[Critique] Valeur sentimentale : Grand Prix cannois et catharsis familiale

Caractéristiques

  • Titre : Valeur sentimentale
  • Titre original : Sentimental Value
  • Réalisateur(s) : Joachim Trier
  • Scénariste(s) : Joachim Trier, Eskil Vogt
  • Avec : Renate Reinsve, Stellan Skarsgård, Inga Ibsdotter Lilleaas, Elle Fanning...
  • Distributeur : Memento
  • Genre : Comédie dramatique, Drame, Comédie
  • Pays : France, Norvège, Allemagne, Suède, Danemark
  • Durée : 133 minutes
  • Date de sortie : 20 août 2025
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 7/10

Trois ans après Julie (en 12 chapitres), qui avait révélé Renate Reinsve – Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2021 – Joachim Trier (Thelma) confirme son succès sur la Croisette avec Valeur sentimentale. Retrouvant son actrice fétiche, il décroche cette fois-ci le Grand Prix du Festival de Cannes 2025.

Mémoires et traumatismes familiaux

Lorsque Gustav Borg, cinéaste célèbre et père absent, surgit à l’enterrement de son ex-femme Sissel, l’équilibre fragile d’Agnès et Nora vacille. Les deux sœurs, brouillées avec lui depuis des années, voient ressurgir un passé douloureux. Gustav propose à Nora, actrice de théâtre, le rôle principal de son nouveau film, offre qu’elle rejette avec froideur. Il se tourne alors vers une jeune star hollywoodienne, Kate (Elle Fanning), et débute le tournage dans la maison familiale. Cette décision fait progressivement affleurer les cicatrices d’une enfance marquée par la violence conjugale, les non-dits, et le traumatisme d’un père tour à tour charismatique et destructeur.

Cœur symbolique de ce drame familial, la maison rouge de Sissel devient un personnage à part entière, chargé de souvenirs et d’émotions. Joachim Trier explore la mémoire des lieux à la manière du Here de Robert Zemeckis, avec une narration originale : une voix-off féminine, raconte en filigrane les fragments de vie passés entre ses murs, à travers différentes époques. Ce procédé, captivant dans les premières scènes, s’estompe ensuite, à regret. Agnès, historienne de formation, incarne également cette obsession du souvenir et ce besoin de transmission : elle enquête sur la vie de sa grand-mère, résistante torturée pendant la guerre et qui s’est par la suite suicidée, et semble hantée par cette mémoire familiale tragique. Dans Valeur sentimentale, les drames semblent se répéter de génération en génération, comme un cycle impossible à briser, et les figures féminines du film semblent toutes liées par une douleur ancienne qu’elles portent en silence, avec dignité.

image elle fanning valeur sentimentale
Copyright Kasper Tuxen

Le cinéma comme art de la guérison ?

Au cœur de Valeur sentimentale, Joachim Trier creuse le motif des relations intrafamiliales, et notamment père-fille, aussi complexes que douloureuses. Gustav Borg, séducteur vieillissant et ancien coureur de jupons, fascine autant qu’il exaspère. Son langage, centré sur lui-même, trahit un égoïsme profond et une incapacité à considérer les autres. Face à lui, Nora et Agnès cherchent encore, chacune à leur manière, à attirer son regard. Le réalisateur orchestre ces retrouvailles tardives comme un huis clos émotionnel. Les rancunes anciennes refont surface, les règlements de compte fusent. Il est question de liens brisés, de ceux qu’on tente de renouer et de ceux qu’on choisit délibérément de laisser mourir.

C’est dans les coulisses du théâtre que le film s’ouvre, avant de plonger dans une mise en abyme plus cinématographique. Le projet de Gustav devient un espace de projection intime, où l’art tente de panser les plaies du passé. Le processus d’acting devient alors le miroir d’une quête identitaire : Kate s’interroge sur son personnage, ce qu’elle incarne et ce que l’on attend d’elle, comme Nora tente de comprendre sa place dans le monde. Visuellement, Joachim Trier magnifie cette mise en abyme avec une très belle photographie, et des plans souvent en gros plans, frôlant les visages et en capturant chaque frémissement. Cependant, la beauté formelle du film n’est jamais gratuite : elle accompagne un questionnement sincère sur la possibilité de se comprendre et de se réparer, grâce à l’art.

image reinsve renate valeur sentimentale
Copyright Memento Distribution

Une mise en scène sensible mais trop contrôlée

Comme dans Julie (en 12 chapitres), Joachim Trier parvient à capter des instants de vie d’une rare justesse. Certaines scènes, d’apparence anodine, plongent dans l’intimité des personnages avec une grande délicatesse et Renate Reinsve – actrice rongée par le doute, entre trac paralysant et besoin de fuir sa propre vie – livre une performance d’une grande sensibilité. Le théâtre devient pour elle un refuge, à l’opposé du cinéma paternel, plus frontal et dominateur. Mais c’est dans la relation entre les deux sœurs que le film touche sans doute le plus juste. Agnès et Nora ont grandi ensemble, se sont soutenues dans les silences et les tempêtes. Leur complicité, portée par un duo d’actrices parfaitement accordé, insuffle une tendresse touchante au film.

Pourtant, malgré ces fulgurances émotionnelles, Valeur sentimentale peine parfois à emporter totalement le spectateur. La mise en scène, trop cérébrale par instants, crée une distance. Les ruptures brutales – notamment les transitions noires entre les séquences – viennent briser l’élan narratif et empêchent l’émotion de s’installer durablement. À force de vouloir tout analyser, Trier frôle parfois le didactisme, comme s’il décortiquait les sentiments au lieu de les laisser surgir. Un paradoxe pour une œuvre pourtant centrée sur l’expression des blessures et la quête de réparation.

Avec Valeur sentimentale, Joachim Trier livre donc une œuvre à la fois maîtrisée et profondément humaine, où les blessures intimes se rejouent dans le théâtre de la mémoire. Si la mise en scène, parfois trop cérébrale, freine l’élan émotionnel, le film brille par la justesse de son écriture, la beauté de sa photographie, et la force de ses interprètes. En interrogeant la possibilité de guérir par l’art, Trier signe un drame subtil et marquant, à la hauteur de son retour cannois.

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucie Lesourd aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles.

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