[Critique] Deux Procureurs : Entre peur, pouvoir et absurdité kafkaïenne

Caractéristiques

  • Titre : Deux Procureurs
  • Titre original : Zwei Staatsanwälte
  • Réalisateur(s) : Sergei Loznitsa
  • Scénariste(s) : Sergei Loznitsa
  • Avec : Aleksandr Kuznetsov, Alexander Filippenko, Anatoli Beliy, Andris Keišs, Vytautas Kaniušonis
  • Distributeur : Pyramide Distribution
  • Genre : Drame, Historique
  • Pays : France, Allemagne, Pays-Bas, Lettonie, Roumanie, Lituanie
  • Durée : 118 minutes
  • Date de sortie : 5 novembre 2025
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 6/10

Nouveau long-métrage écrit et réalisé par Sergei Loznitsa (L’Invasion, Mr. Landsbergis), Deux Procureurs, sélection officielle du Festival de Cannes 2025, se déroule en Union Soviétique en 1937. Des milliers de lettres de détenus accusés à tort par le régime sont brûlées dans une cellule de prison. Contre toute attente, l’une d’entre elles arrive à destination, sur le bureau du procureur local fraîchement nommé, Alexander Kornev.

Il se démène pour rencontrer le prisonnier, victime d’agents de la police secrète, la NKVD. Bolchévique chevronné et intègre, le jeune procureur croit à un dysfonctionnement. Sa quête de justice le conduira jusqu’au bureau du procureur-général à Moscou. A l’heure des grandes purges staliniennes, c’est la plongée d’un homme dans un régime totalitaire qui ne dit pas son nom.

Premiers signes d’un système oppressant

Deux Procureurs s’ouvre sur la porte d’une prison. Nous découvrons rapidement la vie d’un détenu chargé de brûler des papiers qu’il n’est pas censé lire. Mais une lettre attire son attention. Plus tard, nous suivons un jeune procureur, Alexander Kornev (incarné par l’excellent Aleksandr Kuznetsov), qui se rend dans cette même prison afin de rencontrer un prisonnier. Très vite, il se heurte aux responsables de l’établissement, bien décidés à lui cacher ce qui s’y déroule réellement.

Après de longues insistances, Kornev parvient enfin à obtenir un entretien avec le détenu, qui lui raconte son histoire. Cette première partie illustre parfaitement les méthodes du NKVD (ancêtre du KGB), y compris contre les citoyens fidèles au régime. Elle montre comment l’institution manipule et profite de sa position, établissant un parallèle évident avec la Russie actuelle et sa manière de traiter ses opposants politiques.

image Aleksandr Kuznetsov deux procureurs
Copyright Pyramide Distribution

Dans les rouages du pouvoir

La seconde partie suit le jeune procureur dans sa tentative d’obtenir un rendez-vous avec le procureur général, afin de lui rapporter ce qu’il a appris. Il se confronte alors à la lourdeur de la bureaucratie soviétique, composée de personnages qui ressemblent davantage à des figurants — ou à des pions — qu’à de véritables décideurs. C’est là que survient la fameuse discussion entre les deux procureurs : Kornev expose son ressenti et décrit le fonctionnement du système. Cette séquence, très explicative, se révèle passionnante. Elle démonte pièce par pièce un système fondé sur la peur, l’extorsion d’aveux, la torture et le mensonge : une dictature qui ne dit pas son nom. Là encore, la métaphore avec la Russie contemporaine saute aux yeux.

Une autre scène renforce ce parallèle, lorsqu’un ancien combattant mutilé raconte son histoire et sa rencontre avec Lénine. Si son récit peut sembler amusant à écouter, il illustre surtout l’abandon des individus par un système censé les protéger, y compris ceux qui se sont sacrifiés pour lui. Si la métaphore fonctionne bien, la dernière partie du film déçoit quelque peu. Dès le moment où Kornev prend le train pour rentrer chez lui, la conclusion devient prévisible, et les vingt dernières minutes en pâtissent.

image Anatoliy Belyy deux procureurs
Copyright Pyramide Distribution

Entre rigueur et lenteur

Mais le véritable défaut de Deux Procureurs réside dans son rythme : aussi pertinent que soit son discours, le film peut faire décrocher. Certains plans très longs visent à souligner l’absurdité du système, mais l’effet finit par devenir répétitif. On aurait facilement pu retirer une quinzaine de minutes pour obtenir un récit plus fluide et mieux rythmé. Sur le reste du plan technique, Sergei Loznitsa livre un travail très maîtrisé. Le choix du format 4/3 (1.33:1) enferme d’emblée le personnage de Kornev dans une prison visuelle.

Le cadre, rigoureux et sans mouvement, traduit parfaitement la rigidité du système : simple, mais redoutablement efficace. La reconstitution des années 1930 en URSS est également remarquable, que ce soit dans les costumes ou les décors, d’un réalisme saisissant. Enfin, la musique se fait rare — seulement deux ou trois interventions — mais chacune vient renforcer un moment clé du récit.

Avec Deux Procureurs, Sergei Loznitsa signe un film kafkaïen dans sa mise en scène comme dans son propos : un monde où la bureaucratie écrase l’individu, où les rouages administratifs broient toute vérité et où la peur devient l’arme principale d’un système corrompu. Si son rythme peut décourager par moments, le film s’impose comme une métaphore implacable, reliant hier et aujourd’hui dans une démonstration d’une froide clarté. Une plongée kafkaïenne dans l’absurdité soviétique qui résonne avec l’autoritarisme d’aujourd’hui.

Article écrit par

Adore le cinéma en général, que ce soit les gros blockbusters ou les plus petits films, les séries TV et les jeux vidéo. Il réalise de nombreux tests de blu-ray et films en UHD 4K et couvre l'actualité cinématographique en salles.

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