[Débat] Puy du Fou, Histoire et idéologie : attention danger ?

Parc à thèmes le plus populaire en France juste derrière les deux parcs Disneyland et le parc Astérix, le Puy du Fou a battu en septembre 2023 son record de l’année 2022 en dépassant les 2,5 millions de visiteurs, sachant que le parc a terminé sa saison 2023 début novembre. Un succès fou, en grande partie dû à la qualité de ses spectacles et à son ambiance médiévale immersive.

la compétition de chevaux dans le secret de la lance au Puy du Fou
La compétition de chevaux dans Le secret de la lance avant que la Guerre de Cent Ans éclate. © Culturellement Vôtre

Les spectacles donnent-t-il une vision biaisée de l’Histoire ? Polémique au long cours

Cependant, les polémiques entourent le parc, fondé par Philippe De Villiers, qui créa la Cinéscénie en 1978 avant d’ouvrir le parc en 1989. Parmi elles, le traitement des spectacles ancrés dans une période historique, qui est accusé d’être inexact et orienté, avec une mise en avant très forte du catholicisme – d’une certaine idée du catholicisme, du moins. C’est notamment ce que dénonce l’essai Le Puy du Faux, écrit par de jeunes historiens, dont le travail a été vilipendé par le clan De Villiers et ses soutiens. D’autres historiens, plus mesurés, mettent en avant le fait que le Puy du Fou est un parc d’attractions et que les spectateurs ne viennent pas y chercher la précision ou véracité historique et se laissent davantage impressionner par les grands spectacles qui leur sont offerts. [à ce propos, lire l’article-débat intégrant différents avis d’historiens sur le site Lavie.fr]

Dans notre article sur les spectacles du parc, nous avons déjà vu quels points pouvaient être sujets à caution ou à réserve, tant au niveau du fond que d’un strict point de vue narratif, les éléments historiques et/ou religieux n’étant pas toujours clairement compréhensibles dans Les vikings ou encore Le secret de la lance, par exemple. S’il y a bel et bien, en filigrane, un discours idéologique inscrit dans certains d’entre eux, celui-ci étant souvent très maladroitement scénarisé, il est plus qu’improbable que quiconque ne partageant pas déjà ces idées ressorte du parc “endoctriné”.

le drakkar et le village du spectacle les vikings au puy du fou
Le drakkar du spectacle Les Vikings et le village fortifié inspiré des véritables abords du château au XIème siècle. © Culturellement Vôtre

Romancer l’Histoire : œuvre de sensibilisation ou de manipulation ?

Néanmoins, si la dimension fantasmagorique et légendaire est mise en avant dans un certain nombre de spectacles (Les Vikings et Le secret de la Lance, Le Bal des Oiseaux Fantômes…) et que, pour éviter les querelles d’historiens, Philippe et Nicolas De Villiers (qui écrivent ensemble les spectacles aujourd’hui) disent faire de la fiction et donner une représentation artistique et fantasmagorique de l’histoire de France en se basant sur l’imaginaire collectif du peuple français, la question de la représentation de l’Histoire peut malgré tout légitimement se poser sur certains points. En effet, qu’est-ce que l’imaginaire collectif d’un peuple ? Et comment distingue-t-on celui-ci de l’imaginaire personnel d’un homme qui s’inspire de figures historiques ?

Il est vrai que la fiction permet souvent de sensibiliser plus facilement la jeunesse ou le grand public à l’Histoire et d’humaniser des événements et des figures appartenant à un passé parfois fort lointain. Les choses paraissent ainsi plus vivantes, palpables, on retient mieux les choses parce qu’on peut s’identifier aux différents protagonistes et, que la fiction présentée soit assez fidèle à la réalité ou bien plus romancée, celle-ci peut servir de porte et faire naître un intérêt qui poussera de nombreuses personnes à davantage se renseigner, lire des livres ou regarder des documentaires sur ces sujets afin d’en apprendre plus. Cela est vrai des films, des romans comme du spectacle vivant.

Sur le principe, il s’agit donc d’une très bonne chose et on voit mal comment on pourrait reprocher à des parents d’emmener leurs enfants au parc pour qu’ils puissent s’extasier sur les cascades à cheval, les combats à l’épée et effets pyrotechniques, le donjon qui s’avance… Et ce d’autant plus qu’ils ne retiendront pas la dimension religieuse, déjà peu compréhensible pour les adultes lors d’une première vision (voir la résurrection de Saint Philibert dans Les Vikings, incompréhensible comme telle dans la version actuelle), à l’exception du Signe du Triomphe, suffisamment explicite dans son propos comme dans sa narration.

sculpture de croix vendéenne chez un artisan du puy du fou
Sculpture de croix vendéenne chez un artisan du Puy du Fou. © Culturellement Vôtre

Le parc et les guerres de Vendée

Cependant, le parc présente aussi un spectacle comme Le Dernier Panache (au titre déjà héroïque en soi) qui, lui, se veut juste et réaliste sur la figure de Charrette et des guerres de Vendée, au cours desquelles environ 170 000 Vendéens furent en effet massacrés par les Colonnes Infernales. Or, que voit-on au cours de ce spectacle de 35 mn ? Des républicains laïcards et athées massacrant des paysans pieux et attachés aux traditions se battant aux côtés des nobles afin d’imposer le progrès. Il n’est pas dit que certains de ces républicains dénoncèrent les horreurs perpétrées par les Colonnes Infernales, ni que les ordres officiels demandaient d’évacuer la population ne s’opposant pas à la révolution – des ordres qui ne furent pas respectés par une partie des Colonnes Infernales en raison d’une désorganisation avérée et de guerres intestines entre généraux. Tout aussi horribles aient été les véritables ordres demandant d’appliquer la politique de la terre brûlée pour tuer la rébellion qui avait pris de l’ampleur dans la région, il n’empêche que cette période historique complexe est ici ramenée à une lutte idéologique très grossièrement schématisée afin de prendre le spectateur par les sentiments.

Et c’est justement ce recours à la schématisation pour provoquer une émotion brute chez le spectateur qui peut prêter à discussion. Il n’y a en effet aucun mal à romancer des faits historiques… si tant est que ce parti pris, qu’il soit artistique et/ou idéologique, soit présenté comme tel de manière suffisamment claire. Bien sûr, on pourra arguer que l’Histoire telle que nous la connaissons et telle qu’elle est enseignée est aussi le fruit d’un travail d’interprétation et est rarement neutre à 100%. Néanmoins, la recherche historique demande une véritable discipline et ne consiste pas (et heureusement !) à simplement prêcher pour sa chapelle et à s’appuyer sur des faits pour en donner une interprétation biaisée. Elle tient compte que chaque période ou événement est le fruit d’un ensemble de circonstances complexes qui ne sauraient être résumées de manière simpliste.

Susciter l’émotion… au détriment de l’esprit critique ?

Le problème, lorsqu’on est face à une vision politique et religieuse de l’Histoire, c’est que l’émotion et l’empathie que l’on peut ressentir face à certains événements violents ou tragiques peuvent être instrumentalisés pour faire passer des messages simplistes et réducteurs de manière plus sérieuse sur des sujets ô combien complexes. Comment ne pas s’émouvoir du sort de gens modestes massacrés en pleine rue pour leurs convictions ou leur refus d’obtempérer ?

Il n’y a bien sûr rien de mal à ça ni dans le fait de reconnaître que la Vendée fut durablement meurtrie par ces massacres. La lecture des archives historiques (certaines comportant les témoignages des républicains eux-mêmes) est en effet assez difficile et il serait quelque peu compliqué de trouver juste le fait que des femmes et enfants aient pu être jetés vivants dans des fours à pain en pleine rue, par exemple, ce qui est avéré et ne tient pas de la propagande.

Cependant, si l’on s’en tient au spectacle de 35 mn des De Villiers, même en considérant qu’il est forcément incomplet et simplifie nécessairement des choses, on pourrait être tentés de penser que le concept même de République se base sur une intolérance fondamentale à la religion et aux traditions puisque le spectacle met en avant très clairement cette dimension sans la moindre nuance. Dans cette optique, le progrès cherche à effacer, éradiquer, l’héritage culturel et historique passé, dont l’influence se fait encore sentir. Et là, on sort du simple spectacle pour rentrer dans une guerre idéologique, même si, encore une fois, des visiteurs insensibles à ces idées auront peu de chances d’y adhérer à la sortie à la simple vision de ce spectacle.

fausses affiches médiévales au village de fort rognou au puy du fou
Quelques-unes des fausses affiches visibles au village médiéval Fort Rognou à l’entrée du parc. © Culturellement Vôtre

Un traitement médiatique clivant

Ce genre de polémique a contribué à créer un certain clivage dans le traitement médiatique du parc. Parler du Puy du Fou, est-ce faire le jeu de l’extrême droite/de la droite identitaire quand on est un média ? Voire : est-ce connoté de se rendre au Puy du Fou ? Quand bien même le public, majoritairement familial, est en réalité assez hétéroclite et que les nombreux bénévoles, artistes, artisans etc. œuvrant au sein du parc n’ont pour la plupart pas grand chose à voir avec le combat politique de De Villiers (qui défend bien sûr ces idées au-delà de l’enceinte du parc) et sont davantage là pour l’aventure collective que cela représente…

brasier fort rognou puy du fou
© Culturellement Vôtre

Là où la situation par rapport à la vision défendue par De Villiers, y compris à travers certains spectacles du parc, est encore plus compliquée, c’est qu’il y a aujourd’hui une méconnaissance grandissante de la religion et de l’Histoire de la part d’une partie du public et que les références à la religion chrétienne (au catholicisme notamment, mais pas que) sont de plus en plus perçues par le grand public athée comme des bigoteries, voire comme un truc de droite ou d’extrême droite, un fort sentiment anti-clérical demeurant en France. Sentiment qui peut être (en partie) renforcé par la vision qui se dégage des médias, quel que soit le bord politique.

Alors que, bien entendu, il existe différents courants du christianisme (et même différents types d’évangélisme !), beaucoup n’ayant que peu de choses à voir avec les mouvements très rigoristes et puritains qui font régulièrement parler d’eux et s’offusquent de la décadence de la civilisation occidentale. Les croyants et chrétiens pratiquants lambda, qui ne prennent pas tout pour parole d’évangile et ne rejettent pas forcément les personnes d’autres cultures ou confessions ou aux modes de vie différents, peuvent avoir l’impression d’être ainsi mal représentés et considérés au sein de l’opinion publique… Et cela peut donner lieu à une grogne, voire une colère plus ancrée sur laquelle des figures politiques peuvent ainsi plus facilement capitaliser pour qu’une bascule puisse s’opérer.

combat de gladiateurs du spectacle le signe du triomphe au puy du fou
Combat de gladiateurs du spectacle Le signe du triomphe. © Culturellement Vôtre

Attention à la stigmatisation à outrance…

Critiquer le parc du Puy du Fou, voire tout ce qui est lié à l’histoire des lieux, en le réduisant de manière caricaturale à un truc d’extrême droite visité par des fachos, faisant ainsi fi de tout l’héritage culturel et historique de la région et du nombre de talents et personnes de tous horizons impliqués dans son fonctionnement (ou tout simplement en ignorant le fait que beaucoup de visiteurs sont principalement attirés par la promesse de grands spectacles et d’une immersion médiévale et font abstraction de la dimension idéologique), c’est en réalité prendre le risque de renforcer l’idéologie contre laquelle on dit lutter et faire involontairement le jeu de figures comme Philippe De Villiers l’homme politique, qui voit dans ces attaques répétées, présentées comme des persécutions, la justification de ses convictions et la justesse de son combat politique et idéologique.

les casques de gladiateurs utilisés pour le spectacle le signe du triomphe au Puy du Fou
La loge costumes des acteurs du spectacle Le signe du triomphe au Puy du Fou. © Culturellement Vôtre

Le tout en faisant un procès d’intention à de nombreuses personnes qui n’ont rien demandé, et pourraient légitimement se sentir prises à partie. Si l’on est en droit de questionner le roman national défendu par De Villiers dans la lignée d’Eric Zemmour (et qui est loin d’être neutre), il y a peu de chances de parvenir à parler à tous ceux qui pourraient éventuellement se laisser convaincre de cette manière-là. Stigmatiser idéologiquement les gens a plutôt pour effet de renforcer leur mécontentement !

les livres de philippe de villiers en vitrine de l'hôtel les îles de clovis au puy du fou
Les livres de Philippe de Villiers en vitrine de l’hôtel les Iles de Clovis au Puy du Fou. © Culturellement Vôtre

De plus, même si le parc du Puy du Fou est né au départ de la vision d’un homme et de son énergie, la dimension collective de cette aventure, source de fierté pour les bénévoles, mais aussi au niveau régional et au-delà, lui a permis de dépasser la famille De Villiers et de prendre en partie son indépendance dans l’esprit des gens. En fonction de ce que l’on vient y chercher, on pourra donc en avoir une idée différente… Même si la figure politique qu’il est voudrait nous faire croire que le succès du parc est le signe d’une adhésion à sa vision de la France, il est surtout le signe d’une appétence pour une immersion dans des décors médiévaux, pour une ambiance historique et pour de grands spectacles dans une ambiance familiale. Et ce, même si les livres exposés en vitrine de la boutique des hôtels ou l’allumage automatique de la télé dans les chambres sur la chaîne du Puy du Fou et Philippe De Villiers nous présentant les différents spectacles, nous rappelle fermement qui dirige le parc si jamais nous l’avions oublié !

la fontaine du monde imaginaire de la fontaine au puy du fou
Les jardins des Mondes imaginaires de La Fontaine. © Culturellement Vôtre

Un exemple français unique jusque dans ses paradoxes

Cela ne retire rien au fait que la double casquette de De Villiers en tant que fondateur du parc/scénariste principal des spectacles et homme politique ne peut pas être éludée et qu’il serait bien difficile, pour ne pas dire impossible, de séparer les deux. Quelles que soient ses convictions personnelles, on ne saurait dédouaner l’homme politique de sa responsabilité dans les polémiques idéologiques entourant les lieux.

les oies spectacle signe du triomphe le puy du fou
© Culturellement Vôtre

Au final, il serait injuste de faire abstraction de la maestria des spectacles et de l’émerveillement que l’on peut ressentir à certains moments donnés de cette immersion au Puy du Fou, de l’admiration face à l’implication des bénévoles et du tissu local, du soin porté aux décors, aux hôtels etc., de même qu’il est impossible de faire tout à fait abstraction de la dimension polémique et idéologique qui, même sans se pencher sur le parcours ou les propos de Philippe De Villiers, peut à certains moments provoquer gêne, surprise, rires ou confusion face à certains monologues, punchlines ou retournements narratifs.

Ces deux dimensions sont inextricables et participent aussi de l’expérience. Bien sûr, on ne peut s’empêcher d’imaginer ce que pourrait être le parc, qui propose déjà une belle expérience, avec une narration plus travaillée, subtile et neutre idéologiquement. Après tout, il n’est pas impossible d’imaginer des spectacles d’inspiration historique rendant hommage à l’histoire de France, à la culture française et même reconnaissant l’importance du christianisme au sein de celle-ci sans pour autant verser dans l’excès et la simplification à outrance.

C’est là que réside toute la difficulté pour traiter de cet exemple français unique en son genre… mais aussi ce qui le rend passionnant puisqu’il cristallise à lui seul beaucoup de problématiques de ces dernières décennies sur notre héritage culturel, historique et ce qui constitue ou peut constituer l’imaginaire collectif du peuple français.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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