Caractéristiques
- Titre : La Vague
- Titre original : La Ola
- Réalisateur(s) : Sebastián Lelio
- Avec : Daniela López, Lola Bravo, Avril Aurora et Paulina Cortés.
- Distributeur : Metropolitan FilmExport
- Genre : Comédie dramatique, Comédie musicale
- Pays : Chili
- Durée : 129 minutes
- Date de sortie : 5 novembre 2025
- Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
- Note du critique : 7/10 par 1 critique
Présenté dans la section Cannes Première au Festival de Cannes 2025, La Vague (La Ola en version originale) marque le retour du réalisateur chilien Sebastián Lelio. Cinéaste déjà reconnu sur la scène internationale, il s’était imposé avec Gloria puis avait conquis Hollywood grâce à Une femme fantastique, récompensé par l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.
Une comédie musicale féministe au cœur du Chili en révolte
Printemps 2018. Alors qu’une vague de manifestations féministes déferle sur le Chili, Julia, étudiante en musique, rejoint le mouvement de son université pour dénoncer les abus et le harcèlement qui minent la vie des étudiantes. Peu à peu, elle trouve la force de confier un souvenir personnel douloureux. Ce témoignage, inattendu et bouleversant, fait d’elle une figure centrale du mouvement, et transforme sa quête identitaire en moteur d’une mobilisation plus vaste. D’histoire intime, le récit s’élargit à une société toute entière, bousculée par la parole des femmes et les secousses d’une jeunesse en révolte.
Dès l’ouverture, La Vague s’affirme comme une œuvre musicale. Les étudiants de la faculté d’arts transforment leur colère en chant et en chorégraphies collectives. Percussions, cuivres et souffles jaillissent de la moindre scène, donnant à la contestation une dimension organique et rythmée. Difficile de ne pas penser à Emilia Perez, autre comédie musicale féministe récemment révélée à Cannes, tant les deux films partagent la volonté de faire du chant un vecteur politique. Pourtant, Sebastián Lelio trouve sa propre voie : il brouille la frontière entre musique diégétique et extra-diégétique, et fait évoluer la présence musicale au fil du récit. Rare au début, elle s’intensifie jusqu’à envahir le dernier acte, où elle devient le langage même du collectif. Magnifiquement filmées, ces scènes expriment toute la vitalité du mouvement et emportent le spectateur dans leur énergie incandescente.

Entre fulgurances visuelles et excès formels
La force du film tient d’abord à sa mise en scène, d’une inventivité constante. Sebastián Lelio joue sur les lumières et les contrastes, comme dans la séquence introductive de boîte de nuit où les ombres découpent les silhouettes sur fond de couleurs saturées. Julia, avec son rouge à lèvres écarlate et son chewing-gum bleu, devient un véritable motif visuel, point de repère constant dans cette effervescence. La caméra est toujours en mouvement, et les plongées, plans d’ensemble, travellings ou plans-séquences donnent au récit une fluidité et une énergie communicative. Certaines fulgurances marquent durablement, notamment les scènes dansées, d’une intensité jubilatoire, ou ces visions fantasmées de Julia où les hommes apparaissent comme des prédateurs grotesques et grimaçants, traduction outrancière mais percutante de son ressenti.
Toutefois, cette folie a également ses limites. Par instants, l’ensemble vire à la cacophonie, tant les morceaux chantés s’accumulent dans la deuxième partie du film. Après une première moitié relativement mesurée, leur enchaînement soudain finit par fatiguer, malgré l’apport d’une dimension onirique indéniable. Certains gimmicks deviennent un peu répétitifs, à l’image des bulles de chewing-gum de Julia, et le trait se fait parfois trop appuyé. Hommes réduits à des monstres caricaturaux, couleurs criardes et outrances assumées… Le dernier acte accélère encore le tempo, basculant dans une frénésie qui provoque autant le rire que la lassitude.

Un cri de révolte puissant mais inégal
Au cœur du film, la puissance tient à ce collectif féminin. Julia, incarnée par Daniela López, entraîne avec elle Rafa (Lola Bravo), Luna (Avril Aurora) et Tamara (Paulina Cortès), camarades de lutte et de scène. Ensemble, elles redonnent chair aux mobilisations étudiantes chiliennes de 2018, quand des milliers de jeunes femmes dénonçaient le harcèlement et les violences sexuelles restées impunies dans leurs universités. La voix devient alors l’arme principale de ce combat, et se fait tantôt témoignage intime, tantôt chant de colère ou cri de révolte. Certaines séquences, dépouillées de musique, laissent place aux paroles brutes des victimes, rappelant combien dénoncer reste difficile dans une société patriarcale. Les étudiantes masquées de rouge forment un corps solidaire, symbole visuel fort d’une lutte pacifique et artistique.
Ce cri, aussi puissant soit-il, n’est pas exempt de maladresses. Le récit est parfois décousu et multiplie les tableaux musicaux au détriment d’une véritable dynamique dramatique. Les paroles, trop explicatives, basculent parfois dans un premier degré qui affaiblit l’émotion. Quant à la fin, dans sa démesure jubilatoire, elle accentue cette impression de surenchère. En se concentrant progressivement sur Julia, le film délaisse en partie l’élan collectif initial, et ses héroïnes demeurent davantage des symboles que des personnages incarnés. La Vague frappe par la force de son message mais perd un peu de sa nuance en se faisant pamphlet aussi vibrant que maladroit.
Œuvre hybride et audacieuse, La Vague impressionne par son énergie musicale et son souffle collectif, tout en se perdant parfois dans ses excès formels et sa surenchère militante. Si Sebastián Lelio signe un film imparfait, il n’en demeure pas moins une proposition singulière, vibrante et nécessaire, qui rappelle combien l’art peut devenir un espace de lutte et de libération.




