Caractéristiques
- Titre : Miss Pérégrine et les enfants particuliers
- Titre original : Miss Peregrine's Home For Peculiar Children
- Réalisateur(s) : Tim Burton
- Avec : Eva Green, Asa Butterfield, Ella Purnell, Samuel L. Jackson, Allison Janney…
- Distributeur : 20th Century Fox France
- Genre : Aventure, Famille, Fantastique
- Pays : Etats-Unis, Belgique, Grande-Bretagne
- Durée : 123 minutes
- Date de sortie : 5 Octobre 2016
- Note du critique : 5/10 par 1 critique
Synopsis
À la mort de son grand-père, Jacob découvre les indices et l’existence d’un monde mystérieux qui le mène dans un lieu magique : la Maison de Miss Peregrine pour Enfants Particuliers. Mais le mystère et le danger s’amplifient quand il apprend à connaître les résidents, leurs étranges pouvoirs … et leurs puissants ennemis. Finalement, Jacob découvre que seule sa propre « particularité » peut sauver ses nouveaux amis.
Critique
Six ans après l’énorme succès au box-office de son Alice au pays des merveilles qui n’en reste pas moins très décrié, Tim Burton est de retour avec une adaptation de littérature jeunesse de grande envergure, fortement médiatisée depuis plusieurs mois. Miss Pérégrine et les enfants particuliers est donc l’adaptation du tome 1 de la saga de l’auteur américain Ransom Riggs, publié en 2011 aux États-Unis. L’univers des livres ayant été maintes fois qualifié de « burtonien » par les critiques, le choix de faire appel à Tim Burton lui-même pour cette transposition cinématographique semblait couler de source. Si on ne vous cachera pas qu’à Culturellement Vôtre, nous sommes très critiques envers le travail que le réalisateur a accompli depuis Sweeney Todd en 2007, nous avions pourtant envie de croire en ce nouveau film, basé sur un livre qui, sans être un chef d’oeuvre de la littérature fantastique jeunesse, possédait des thèmes et une intrigue intéressants, avec une dimension parfois très angoissante et quelques passages macabres gentiment gores. La traque des Juifs y était vue de manière fantasmatique, comme à travers les yeux d’un enfant terrifié, et l’auteur n’hésitait pas à convoquer l’influence de la littérature gothique victorienne qui, on le sait, a également inspiré Burton de manière non négligeable. On se prenait à rêver (ou du moins espérer) que le cinéaste parviendrait enfin à réconcilier l’aspect commercial de son oeuvre avec l’exigence et la folie de la partie la plus convaincante de sa filmographie au sein de ce film à gros budget, point sur lequel il avait échoué avec Alice.
Malheureusement, force est de constater que ce Miss Pérégrine et les enfants particuliers ne fera rien pour réconcilier les esprits chagrins avec le cinéaste chevelu, qui paraît bien blasé. Pour être tout à fait clairs, Tim Burton évacue presque entièrement la dimension sombre, angoissante et véritablement étrange du livre — bref, tout ce qui l’aurait intéressé autrefois — au profit d’une transposition très consensuelle, davantage destinée aux enfants ayant grandi avec les films du Monde de Narnia qu’aux adolescents ou adultes. Bien entendu, cela vient en partie du scénario de Jane Goldman en lui-même. Ceci dit, même si le script pose problème, il aurait été assez facile pour le réalisateur de pervertir un peu cet aspect très lisse pour lui insuffler quelque chose de plus inquiétant, ce qui ne semble guère l’avoir intéressé. Cela est d’autant plus regrettable que l’aspect merveilleux du film, privé de contraste suffisamment fort, peine à convaincre. Si au départ on se réjouit de retrouver des images directement inspirées de la mythologie ou de certains contes anciens, par exemple, on a tôt fait de déchanter en s’apercevant que Burton les vide de leur sens profond, de sorte que seul le côté « décorum » de cette succession de références subsiste. On a alors bien souvent l’impression de feuilleter un joli livre d’images aussi lisse que creux. La magie enchanteresse d’Edward aux mains d’argent ou Big Fish semble bien loin !
Une adaptation étrangement consensuelle
Car au fond, le cinéaste ne nous raconte pas grand chose tout au long de ces 2h de film. L’intrigue du roman a été réécrite en profondeur, notamment le dernier tiers, résolument différent dans sa version cinématographique, mais cela ne se fait guère à l’avantage de l’oeuvre. En multipliant les rebondissements et les scènes d’action fantastique lors de l’affrontement final avec le grand méchant interprété par Samuel L. Jackson, le scénario cherche à donner un rythme et un souffle que le film ne trouve jamais véritablement et Tim Burton en fait ouvertement trop, tout en donnant l’impression de s’ennuyer en filmant le tout. Les moments censés être émouvants font souvent mécaniques et artificiels, laissant le spectateur de marbre, à l’exception notable d’une scène avec Eva Green — la faute à des dialogues assez pauvres et parfois niais.
Les acteurs ont beau être convaincants, le traitement consensuel au possible des personnages plombe régulièrement leurs efforts. Jacob, le héros, assez intéressant dans le roman, est ainsi transformé en jeune Américain moyen très propre sur lui. Si cela avait donné lieu à un film du même acabit qu’un E.T. ou Les Goonies — Burton semblant lorgner, au départ, vers le cinéma US des années 80 — avec une réécriture intelligente de l’histoire originelle, cela n’aurait pas été un problème. Cependant, ce traitement du personnage nuit clairement à l’ensemble, puisque c’est la problématique même de l’intrigue qui est attaquée : le fait que le héros ne sache pas bien, de prime abord, s’il a imaginé les choses ou non, est très vite occulté, ainsi que l’angoisse qu’il ressent, qui imprégnait le roman d’une certaine noirceur avant même l’arrivée du personnage sur l’île. Le Jacob vu par Burton ne semble jamais plus perturbé que ça, qu’il assiste au décès de son grand-père ou se retrouve face à sa psy, et la colère ne semble pas faire partie de sa palette d’émotions. Difficile alors pour le spectateur de vraiment s’attacher à lui. La dimension angoissante de l’oeuvre de Ransom Riggs ainsi évacuée, le cinéaste ne retient que le côté vaguement cartoon des méchants, qu’il n’exploite pas vraiment non plus, comme s’il était sur pilote automatique.
Le style Tim Burton et ce qu’il en reste
Arrivés au générique de fin (avec une chanson originale interprétée par Florence + the Machine), le constat est amer : si le tout se laisse regarder et se révélera sans doute divertissant pour les enfants à partir de 8-9 ans, Tim Burton vide en grande partie l’histoire de sa force d’évocation. Certes, la métaphore autour du nazisme, puis de la traque des nazis exilés, est toujours présente, mais apparaît principalement décorative, tandis que le thème de l’enfance éternelle à la Peter Pan, privé de mélancolie véritable, perd en impact. On a souvent parlé d’un « style » Tim Burton, reconnaissable entre tous au premier coup d’oeil. Aujourd’hui, celui-ci s’apparente malheureusement à une surface plane, comme ces posters sur papier glacé d’oeuvres reproduites en série. Vidé de sa substance, mais également de sa vitalité, il donne au spectateur l’impression gênante de visiter un musée déserté en plein Disneyland : on reconnaît ici l’allure gothique et les traits éthérés de ces jeunes femmes maigres aux yeux ronds qui fascinent tant le cinéaste, là les buissons taillés en forme d’animaux d’Edward aux mains d’argent, au loin ces freaks tout droit sortis des photographies jaunies du XIXe siècle qui l’ont inspiré…
Alors oui, c’est parfois joli, mais on a davantage l’impression de se trouver devant l’oeuvre d’un jeune tâcheron inspiré par l’univers de Burton que devant un film de Tim Burton lui-même. Eva Green, décidément faite pour les films et séries à costume, a beau être tout à fait convaincante, alternant drôlerie excentrique et sérieux plus austère, et Ella Purnell être charmante en sosie blond de Lily-Rose Depp flottant pour déposer un bébé écureuil dans son arbre (entre autres prouesses magiques diverses et variées), cela ne suffit pas à faire un film mémorable. Cela est d’autant plus frustrant que l’oeuvre de Ransom Riggs recelait de suffisamment de matière pour que le cinéaste se serve de ce matériau pour y greffer ses obsessions et réaliser une oeuvre marquante sur l’enfance, ses démons, et le passage inexorable du temps. Or, si Tim Burton a connu un sursaut en 2012 avec l’agréablement surprenant Frankenweenie (d’après son court-métrage du même nom de 1984) avant de proposer l’an dernier un Big Eyes honorable quoique un peu trop plan-plan, il nous laisse ici avec la mauvaise impression d’encaisser son chèque sans broncher. Le succès démesuré d’Alice au pays des merveilles en 2010 lui aura peut-être apporté la confiance des studios, lui permettant au passage de réaliser l’atypique mais bancal Dark Shadows ou encore le plus intimiste Big Eyes, mais on est en droit de se demander s’il n’a pas emporté une partie de son âme.
On repense alors à cet attachant biopic sorti l’an dernier chez nous : Tim Burton ne parle-t-il pas de lui, au fond, lorsqu’il défend cette talentueuse artiste peintre, Margaret Keane, instrumentalisée par son mari qui s’attribuait le mérite de ses peintures ? Décriée par les observateurs de « bon goût » et les critiques, son oeuvre, constituée de tableaux de petites filles aux énormes yeux ronds, au style reconnaissable entre mille, n’en connaîtra pas moins un succès extraordinaire. Mais, forcée par son époux à travailler sans relâche, elle finit par ne plus se reconnaître dans ce style, qu’on lui demande de reproduire tableau après tableau, et dont elle se sent dépossédée. Peut-être Tim Burton se sent-il lui aussi prisonnier des financiers tenant les rênes des studios, qui attendent de lui qu’il reproduise la magie d’un style devenu un argument commercial à lui seul. Il y a de la lassitude dans la réalisation de ce nouvel opus, et cela n’est guère rassurant. On espère alors que le cinéaste saura se ressaisir plutôt que de jouer les faire valoir de luxe pour des studios à l’égard desquels il était jadis si méfiant.