[Critique] RBG : La plus rock’n’roll des juges de la Cour Suprême

Caractéristiques

  • Titre : RBG
  • Réalisateur(s) : Julie Cohen & Betty West
  • Avec : Ruth Bader Ginsburg...
  • Distributeur : L'Atelier distribution
  • Genre : Documentaire
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 1h38
  • Date de sortie : 10 octobre 2018
  • Note du critique : 7/10

Ruth Bader Ginsburg : une icône de la justice américaine

Doyenne des juges de la Cour Suprême des Etats-Unis — où seules trois femmes siègent — Ruth Bader Ginsburg a eu une influence majeure sur l’évolution de l’égalité homme-femme en Amérique depuis les années 70. Depuis l’élection de Donald Trump, sa voix, jadis davantage modérée, fait d’elle une véritable dissidente. De fait, elle vit véritablement aujourd’hui, à 85 ans, son heure de gloire : une étudiante en droit, passionnée par le sujet des droits des femmes, a lancé en 2013 un Tumblr en son honneur intitulé Notorious RBG — un clin d’oeil au rappeur Notorious B.I.G. qui l’amuse par ailleurs beaucoup — et où chacun de ses faits d’arme (affaire, interview…) est salué par le biais de gifs animés et de meme ultra-pop remplis d’humour, la présentant comme une sorte de super-héroïne encore plus forte que la Black Widow des Avengers.

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RUth Bader Gibsurg entourée des deux autres femmes juges de la Cour Suprême des Etats-Unis. © L’Atelier Distribution

Les réalisatrices américaines Betty West et Julie Cohen ont profité de cette notoriété inhabituelle pour tourner ce documentaire à la fois efficace et intimiste, dressant un portrait aussi touchant que passionnant de cette figure unique et atypique du paysage juridique américain, dont certaines des plus grandes victoires à la cour ont fait jurisprudence. Car, bien plus intéressant et important que sa vague de jeunes adorateurs (parmi lesquels beaucoup de féministes et étudiants en droit) est le parcours de cette grande dame, petit bout de femme à la voix douce et d’apparence frêle dont la ténacité n’a d’égale que son intelligence remarquable. Ruth Bader Ginsburg est calme et posée, ne cède jamais à la colère, mais elle trempe ses mots dans l’acier avec une précision unique : chez elle, pas de punchline facile, mais des plaidoiries s’achevant de manière percutante après des développements d’une nuance et d’une pertinence dont devraient davantage s’inspirer certains politiciens.

Le portrait touchant d’une figure passionnante et atypique

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© L’Atelier distribution

Pour retracer cette histoire unique, les réalisatrices nous proposent de remonter le cours du temps en compagnie de la principale intéressée, ses proches, d’anciens collaborateurs… et même de Bill Clinton, qui la nomma juge de la Cour Suprême en 1993 après une entrevue où elle lui fit grande impression. RBG revient ainsi sur sa passion pour le droit, ses études, la rencontre avec son mari, disparu en 2010 et qui était son premier soutien (il disait souvent « nous avons une relation équilibrée : je fais la cuisine, elle réfléchit »), et la discrimination dont elle fut au départ victime en tant que femme dans un milieu encore profondément misogyne dans l’Amérique de la fin des années 50.

Publiée dans la revue de la fac de droit dès sa 2e année — un honneur réservé aux 25 meilleurs d’une promotion comptant plusieurs centaines d’élèves — elle eut au départ quelques difficultés à trouver un travail en tant que jeune épouse diplômée, mais fut engagée en tant que juge à la cour fédérale du district sud de New-York dès 1959. Professeur de droit (notamment à Columbia, dont elle est diplômée) durant près de 20 ans et chercheuse à Stanford, elle fut avocate pour l’Union Américaine pour les Libertés Civiles (ACLU) dans les années 70, période où elle remporta plusieurs grandes victoires pour l’égalité homme-femme.


Une partie importante du documentaire s’intéresse aux grandes affaires qu’elle remporta durant cette décennie charnière, images d’archives et témoignages des plaignants et anciens collaborateurs à la clé, afin de nous montrer toute la passion, l’intelligence et (même si le mot peut de prime abord paraître fort) le génie de cette femme dont la fluidité du discours et la précision des mots ont souvent fait mouche chez des juges et magistrats parfois très conservateurs — ou du moins très peu conscients des discriminations, souvent insidieuses, à l’oeuvre dans leur pays.

Un documentaire engagé, sans être moralisateur

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© L’Atelier distribution

La grande qualité du documentaire, sous ses airs au départ assez pop et accrocheur, est de ne jamais tomber dans la tonalité moralisatrice de notre époque, où militants de gauche comme de droite peuvent parfois s’écharper à coup de punchlines grossissant les traits sans jamais parvenir à rendre justice à la complexité d’un problème donné (lire à ce sujet notre chronique de l’essai Sortir du manichéisme). Les réalisatrices ont retenu les enseignements de Ruth Bader Ginsburg, et rendent également hommage au fait qu’elle a défendu des hommes victimes de discrimination du fait qu’ils étaient… des hommes, comme c’était le cas dans l’affaire Weinberger v. Wiesenfeld en 1975, où un père veuf s’était vu refuser les mêmes allocations que les veuves. De même, en 1979, elle déclara inconstitutionnelle une loi du Missouri autorisant les femmes (et uniquement les femmes) à refuser d’être juré, arguant que cela revenait à refuser aux défendeurs le droit d’être jugé par un échantillon représentatif de la société américaine; et ce d’autant plus que cette mesure pouvait exposer les femmes jurés à des tentatives d’intimidation.

Si le slogan de RBG est « Héroïne, icône, dissidente », le documentaire s’intéresse en réalité assez peu à l’ère Trump (le tournage a débuté en 2016), ce qui n’est pas un mal tant le parcours de la juge ne saurait être réduit à son opposition ouverte (qu’elle a très vite regretté car cela la faisait sortir de la réserve et nécessaire à sa fonction) à l’actuel président des Etats-Unis alors qu’il était encore candidat à la présidentielle. Car RBG, finalement, c’est une figure au-delà des clivages habituels : une progressiste affirmée qui, pourtant, par stratégie, a par le passé pu jouer les médiatrices entre démocrates et républicains car elle ne comprenait que trop bien l’importance de convaincre ces derniers pour pouvoir faire avancer les choses.

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© L’Atelier distribution

Une femme vive d’esprit, drôle et anti-conformiste également, qui personnalise sa tenue avec d’élégants cols que ses admirateurs lui offrent régulièrement — ce qui donne lieu à une étonnante et touchante séquence en milieu de métrage — et qui était très amie avec Antonin Scalia (disparu début 2016), l’un des juges de la Cour Suprême les plus réactionnaires, dont les idées d’un autre temps étaient pour le moins opposées aux siennes, mais avec lequel elle partageait une passion pour l’opéra et un certain sens de l’auto-dérision.

Une oeuvre dans l’air du temps, par-delà les clivages

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© L’Atelier distribution

Seul reproche (qui tient davantage de la réserve) parmi ces très bons points : la forme un brin trop conventionnelle de l’ensemble. S’il est parfaitement compréhensible que les réalisatrices aient voulu présenter une oeuvre accessible au plus grand nombre (et de ce côté-là, le défi est relevé haut la main), le sujet est tellement passionnant que l’on regrette un peu de ne pas rentrer davantage en profondeur dans les affaires présentées et résumées, qui auraient également mérité que l’on se penche davantage sur le contexte politique des Etats-Unis des années 60 jusqu’à nos jours et les rouages du système judiciaire. Par ailleurs, si le ton est très punchy, une personnalité aussi atypique aurait mérité une forme tout aussi libre qu’elle. Mais, de manière très perceptible, RBG s’adresse à la jeune génération, celle qui a découvert Notorious RBG sur Tumblr ou dans les médias ces dernières années, et qui a été marquée par le mouvement #MeToo.

La juge de la Cour Suprême a 85 ans et il y a bien entendu quelque chose dans ce portrait qui tient du passage de flambeau et s’adresse directement à la génération qui, dans les tribunaux et au-delà, est appelée à prendre la relève. Une oeuvre engagée, qui entend rappeler (sans moralisation aucune) à la jeunesse le droit, mais aussi la responsabilité qui lui incombe de faire entendre leurs voix pour forger le monde de demain.

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© L’Atelier distribution

Bien entendu, nous parlons d’un documentaire américain réalisé par deux Américaines. Pourtant, que l’on ne s’y trompe pas : RBG fera également écho auprès des spectateurs européens tant les thèmes dont il est question d’un bout à l’autre, à commencer par l’égalité homme-femme et la discrimination en fonction du genre, sont universels et très actuels également en France, où #MeToo, #BalanceTonPorc ou encore la polémique autour du débat Angot-Rousseau ont secoué la société et l’opinion — et ce malgré certaines dérives observées.

Le documentaire de Betty West et Julie Cohen permet de mesurer le chemin parcouru en matière d’égalité, mais également la fragilité des droits acquis. Il rappelle également, en creux, que les hommes ne sauraient être exclus de cette lutte, que l’égalité doit être dans les deux sens, et qu’il est essentiel de ne pas renvoyer les deux sexes dos à dos comme c’est malheureusement de plus en plus le cas ces dernières années. Nous avons tous et toutes à apprendre de la sagesse de Ruth Bader Ginsburg en la matière.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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