Caractéristiques
- Titre : Au nom de la terre
- Réalisateur(s) : Edouard Bergeon
- Avec : Guillaume Canet, Veerle Baetens, Anthony Bajon, Rufus, Samir Guesmi et Yona Kervern.
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Genre : Drame
- Pays : France
- Durée : 103 minutes
- Date de sortie : 25 Septembre 2019
- Note du critique : 7/10 par 1 critique
Une autobiographie glaçante
Les difficultés économiques rencontrées par le monde agricole français (qui n’est hélas pas un cas isolé) est un sujet hautement sensible et pourtant fort peu traité au quotidien. Au nom de la terre devient, par conséquent, un témoignage précieux, surtout quand on sait que c’est l’histoire presque autobiographique de la jeunesse du réalisateur Édouard Bergeron (déjà auteur d’un documentaire sur le même thème, Le Fils de la Terre en 2010).
Au nom de la terre est une chronique familiale qui narre l’histoire de Pierre Jarjeau, jeune homme de vingt-cinq ans, lequel rentre du Wyoming pour retrouver sa fiancée et reprendre la ferme de ses parents. Sur plus de vingt ans, la ferme s’agrandira mais les difficultés financières vont s’amplifier elles aussi. Les jours heureux vont peu à peu laisser place à l’amertume puis à la désillusion au point que Pierre, écrasé par le travail sombrera peu à peu malgré l’amour de sa femme et de ses enfants.
Dire qu’Au nom de la terre est un film sombre serait un euphémisme. Les acteurs et actrices semblent investis dans leurs rôles, et le style à nouveau presque documentaire nous rappelle, dans un cheminement quotidien, que ce n’est pas à une fiction auquel nous avons faisons face mais à une triste réalité.
Des interprétations puissantes
S’agissant d’une histoire vécue, Édouard Bergeron sait ce qu’il veut de ses acteurs. Il est parfaitement conscient de ce qu’il a besoin qu’ils retranscrivent à l’écran, afin d’incarner au mieux ces « marionnettes » d’un système qui les déçoit, les exploite et finalement les brise.
L’ensemble du casting d’Au nom de la terre est au diapason. Mais si Veerle Baetens et Anthony Bajon, respectivement dans les rôles de la mère et du fils de la famille, composent des rôles touchants et justes, ce sont bien Guillaume Canet (Pierre) et Rufus (Jacques, le grand-père) qui se taillent la part du lion. Le premier, tout en nuances, incarne un protagoniste qui nous invite à assister lugubrement à sa chute inéluctable, et cela sans détourner les yeux. Un tour de force glaçant, dirigé par un Guillaume Canet qu’on n’avait plus senti aussi concerné depuis longtemps. Rufus, lui, compose un personnage ambigu, à la fois fort et intraitable, présent mais castrateur vis à vis de l’héritage qu’il a pourtant légué à son fils. Une sorte de travailleur de la vieille école, pour qui la qualité primait sur la quantité mais qui devient par conséquent incapable de communiquer avec son fils aux prises avec les difficultés de la grande distribution moderne. Un dialogue de sourd qui aurait pourtant pu tout arranger et rappelle la vieille doctrine philosophique qui confine à symboliquement « tuer le père » dans le but de s’accomplir. Cette logique aurait pu encore rencontrer un écho il y a quarante ans, mais, aujourd’hui, le conflit de génération vis à vis de l’évolution du monde crée des tensions irréconciliables entre parents et enfants.
Le sang de la Terre
En sortant de la séance, on ne peut que compatir et enrager face à une situation intenable, vis à vis duquel les médias et les politiques n’accordent finalement que peu d’importance. Au nom de la terre parle de ces gens qui souffrent en silence tout en se tuant à la tâche, ces négligés du système qui pourtant le perpétue grâce à leur travail.
Comment peut-on continuer à faire couler le sang, et espérer qu’un jour cela ne se retourne pas contre nous-même ? La terre souffre et ses enfants aussi comme le démontre Pierre à la fin, en un adieu au sous-texte très révélateur. Si le message d’Au nom de la terre est clair, et qu’il est parfaitement illustré par ses acteurs et sa réalisation, le fait d’avoir resserré l’intrigue uniquement autour de Pierre et sa famille, sans faire la moindre allusion aux nombreuses autres personnes dans le même cas, empêche le film de devenir aussi puissant qu’il le devait afin d’éveiller les consciences. Dommage, mais dans l’état c’est tout de même un pari réussi.