Caractéristiques
- Titre : Les innocents
- Titre original : The Innocents
- Réalisateur(s) : Jack Clayton
- Scénariste(s) : William Archibald d'après le roman d'Henry James
- Avec : Deborah Kerr, Peter Wyngarde, Megs Jenkins...
- Genre : Horreur
- Pays : Royaume-Uni
- Durée : 1h40
- Date de sortie : 15 décembre 1961 (Etats-Unis) , 18 mai 1962 (France)
- Note du critique : 9/10 par 1 critique
Un grand classique du cinéma gothique
Ce début des années 1960 fut décidément un bien bel instant pour le cinéma fantastique. Un an après Le Masque du Démon de Mario Bava, deux ans avant La Maison Du Diable de Robert Wise, Les Innocents de Jack Clayton fit entendre sa triste et inquiétante ritournelle devant des spectateurs effrayés par tant de maîtrise d’un genre alors roi : le film gothique.
Les Innocents, adaptation du Tour D’écrou d’Henry James, scénarisé par William Archibald et Truman Capote, est indubitablement un grand classique et l’un des plus grands représentants du gothique anglais, mais c’est aussi une œuvre fondamentalement très intéressante.
Une terreur psychologique maîtrisée de bout en bout
Il y a dans Les Innocents une telle somme de qualités qu’il est compliqué de rester concentré sur un fil directeur. Disons que nous sommes là face à un film fantastique pur, comme le cinéma a su en créer voilà quelques années. Dans ce grand classique du cinéma anglais, nul besoin d’effets pour créer l’angoisse, le réalisateur préfère se référer, avec bonheur, à son talent de manipulateur de codes pour mieux prendre le spectateur à revers, encore aujourd’hui.
Tout comme Kubrick avec Shining, Clayton décide que la peur ne sera pas soutenue par le recours aux ténèbres, mais pourra surgir de partout. Sans jump-scare bien évidemment, l’époque n’est pas aux effets faciles et vulgaires, Les Innocents réussit à nous angoisser. On pense notamment à cette incroyable séquence où le personnage incarné par la superbe Deborah Kerr, Miss Giddens, pense voir un fantôme dans les roseaux, dans le champ de vision de la petite fille qu’elle surveille. La caméra reste maîtresse de ses mouvements et, coup de génie absolu qui donne l’un des plans les plus terrifiants du septième art, rassemble dans le même cadre cette fillette, de dos, et le fantôme dont on ne sait toujours pas s’il s’agit d’une projection… ou de la réalité. Ainsi, le spectateur n’est plus sûr de rien, perdu qu’il est dans son analyse de la situation et ce qu’il voit sans aucun doute.
Enfants maléfiques ou projections d’un esprit perturbé ?
Les Innocents, ce sont les enfants, mais attention ce titre est un véritable sourire en coin. En effets, les bambins n’ont jamais grand chose de cette pureté cristalline dont on a tendance à les habiller. Le point de vue du film, celui de Miss Giddens, construit tout un dédale de sentiments qui, en même temps qu’elle en devient victime, atteignent aussi le spectateur.
En fait, et c’est là une grande réussite des Innocents, on ne sait jamais si les agissements parfois effrayants des enfants, leurs mimiques, sont réels. Le spectateur est embarqué dans une histoire pleine de sens, qui ne cesse de nous faire douter de cette gouvernante dont la perception peut paraître étrangement déséquilibrée, qui ne cesse de vaciller, nous poussant sans cesse à rester sur nos gardes. Les éléments dérangeants, d’autant plus à l’époque de la sortie du film, s’enchaînent, la plupart du temps tout en suggestion.
Miss Giddens est clairement le symbole d’une frustration sexuelle poussée à bout ; jusque lors de son embauche elle ressent fortement une attirance envers l’oncle des enfants, qu’elle s’empresse de renfermer dans son être profond. Cette femme est-elle atteinte d’un délire dû à l’impossibilité de se relâcher, de vivre pleinement son statut d’être féminin ? D’ailleurs, la toute fin des Innocents est l’ultime démonstration de cette théorie envisageable, avec ce baiser malsain dont la force d’évocation ne laisse que peu de doutes… Miles est devenu l’espace d’un instant le narcissique Quint, qui attire indubitablement Miss Giddens, finalement moins intéressée par l’innocence des enfants que par la possibilité d’un amour sauvage.
Les Innocents est donc autant un film fantastique, dans la plus pure tradition gothique, qu’une œuvre sur la frustration d’une femme apparemment peu en phase avec les codes de l’époque. Si cette problématique est prégnante, la dimension formelle n’est pas en reste.
Tant mieux, car il est tout simplement brillant, avec ce noir et blanc magique signé par Freddie Francis, qui plus tard travaillera sur celui d’Elephant Man. Rien que ça. On fait plus que frôler le génie, avec ces contrastes qui sculptent l’écran. La pure mise en scène de Clayton n’est pas en reste, lui qui ne cesse de trouver des solutions pour jouer avec les effets de profondeur, donnant à l’ensemble un relief exemplaire. Quant au son, la partition à base de bruitages effrayants contribue grandement à la qualité d’une ambiance hors du commun, annonçant le sommet du genre dans La Maison du Diable. Les Innocents est, donc, un grand moment du cinéma fantastique, un incontournable de votre vidéothèque, à redécouvrir dans la très belle édition Blu-ray de Potemkine.