Caractéristiques
- Titre : Le Pornographe
- Réalisateur(s) : Shohei Imamura
- Avec : Shoichi Ozawa, Sumiko Sakamoto
- Editeur : Elephant Films
- Date de sortie Blu-Ray : 3 Novembre 2015
- Date de sortie originale en salles : 1966
- Durée : 128 minutes
- Note : 9/10 par 1 critique
Image : 4/5
La résolution est bonne, les détails ressortent bien même si on regrette une netteté légèrement imparfaite lors de certains plans. Un DVD de très bonne qualité générale, qui offre une qualité de visionnage plus que correct pour ce support vidéo.
Son : 4/5
Une piste VOSTFR Dolby Digital Dual Mono 2.0 de très belle facture, aucun bruit de fond n’est à signaler, et les imperfections relevées sont uniquement dues aux prises de son. Le tout a un charme certain, d’époque.
Bonus : 5/5
Elephant Film nous gâte, avec au programme deux bonus réjouissants. La présentation du film par Stephen Sarrazin (spécialiste du cinéma japonais) et Julien Sévéon (excellent journaliste chez Mad Movies, Kumite, rédacteur en chef du regretté Mad Asia etc), longue de 15 minutes, replace bien le film dans son contexte. Quand au deuxième DVD, il contient « Cinéastes de notre temps : Imamura, le libre penseur », de Paulo Rocha. Une heure d’images, pour mieux vous présenter le personnage Shohei Imamura, grâce à une mise en scène naturaliste pertinente. On adore ! Pour compléter le tout, quelques bandes-annonces pour vous mettre l’eau à la bouche.
Synopsis
Ogata est cinéaste. Il tourne des petits films érotiques, qu’il vend à de riches particuliers afin de satisfaire leurs fantasmes les plus cachés. Sa vie prend un tournant compliqué quand les yakuzas se mêlent à ses affaires, alors que les demandes de ses clients se font de plus en plus étranges et extrêmes.Pour ne rien arranger, il est amoureux de sa femme, mais a de plus en plus de mal à ne pas succomber aux charmes de sa belle-fille. Afin de satisfaire toutes ces pulsions et de mettre fin à ses soucis,il décide de réaliser le fantasme ultime.
La critique du film
Ainsi, le plus triste des tombeaux, celui des lucioles, a accueilli en son sein Akiyuki Nosaka. L’auteur du chef-d’œuvre d’Isao Takahata, décédé à l’âge de 85 ans, s’en va avec, derrière lui, une carrière à l’odeur de souffre, du moins à ses débuts, avant de devenir parolier de chansons pour enfants. Son premier roman, Les Pornographes, a défrayé la chronique en 1963, de par son sujet très sensible. La matière était si intéressante qu’elle ne pouvait pas laisser insensible Shohei Imamura, cinéaste dont l’un des sujets favoris est la mise en relation de la sexualité avec le social.
Le Pornographe aborde le très délicat sujet du sexe dans un Japon en voie d’occidentalisation. Le protagoniste principal, Yoshimoto Ogata (interprété par Shoichi Ozawa, un habitué du réalisateur), peine à trouver une stabilité nécessaire au bon développement de l’Homme. S’il s’est amouraché de Haru Masuda (jouée par Sumiko Sakamoto) une veuve et, par extension, de ses deux enfants, l’homme d’affaire n’en fait plus beaucoup, et a bien du mal a faire rentrer l’argent. On est là dans ce qui intéresse fondamentalement Imamura, la description réaliste d’un quotidien bien éloigné de ce que peuvent fantasmer certains purs amateurs de la culture pop japonaise.
Ogata est, en fait, une victime d’une société nippone en plein boom, en pleine évolution. Le riche japonais a de quoi parader, mais le bas peuple n’en finit plus de vivre la crise. Le Pornographe est un constat amer, qui peut étonner par son intemporalité, et sa justesse. Imamura, via les écrits de Nosaka, peint un portrait aux couleurs si réalistes que l’on comprend que certaines critiques de l’époque aient parlé de « Nouvelle Vague japonaise ». Son analyse, ou plutôt sa critique de l’américanisation à outrance fait mouche fondamentalement. Alors qu’il renonce à faire carrière « honorablement », Yoshimoto Ogata décide de profiter des changements sociaux, et fait le lien entre classes et sexualité, ce qui fait du personnage un véritable prolongement du regard d’Imamura. Les riches s’ennuient, font de moins en moins l’amour, alors proposons-leur du porno.
Parallèlement à ce nouveau business juteux, Ogata voit sa vie personnelle suivre le court de l’eau, et emprunte des chemins pour le moins vicieux. Haru Masuda, atteinte d’une étrange maladie, se retrouve cloitré à l’hôpital, pendant que les enfants doivent revenir à la charge du pornographe. Ce qui devait arriver arriva, et Keiko, la fille de Haru, attire physiquement Ogata. Cette attraction, mise en rapport avec les scénarios étranges des films tourné par le pornographe, mène celui-ci sur une pente dangereuse, une déshumanisation que le réalisateur parvient à capter en se posant les bonnes questions et, surtout, en ne s’empêchant pas la moindre pensée. La liberté totale, n’est-ce pas la possibilité de pouvoir coucher avec sa belle-fille ? Le mensonge de la démocratie, souvent invoqué dans le film, notamment lors d’une séquence de questionnement très lucide, n’est-il pas de nous donner un sens de la liberté totalement faussé ?
Les dérives conceptuelles de l’Occident sont ainsi abordées de plein fouet, et Shohei Imamura s’amuse à déconstruire les « déconstructeurs ». Le metteur en scène, double Palme D’Or à Cannes (La Bataille de Narayama, en 1983, et L’Anguille, en 1997), sait que son sujet est éminemment brûlant. Son recours au symbolisme, alors que sa mise en scène se veut sobre et efficace, a tendance à un peu déséquilibrer le récit. La carpe que garde Haru personnalise son défunt mari, et àà travers lui ce que fut l’homme japonais, ce qui met une pression incommensurable à Ogata. Le poisson, enfermé dans un bocal ridiculement étroit, semble défier le nouvel homme, lui faire remarquer ses innombrables incohérences. Mais ce symbole, s’il est très clairvoyant, a tendance à donner au récit un ton comique un peu surfait, détonnant un peu trop avec le reste du traitement opéré par Imamura.
Là où Le Pornographe nous renverse totalement, c’est dans sa très juste analyse de l’être humain. Le film n’est pas sous-titré « Introduction à l’anthropologie » pour rien, et ça se vérifie pendant toute l’œuvre, avec ces cadres qui prennent un recul pudique, créant des cadres dans le cadre, plaçant le spectateur en position de voyeur plus ou moins consentant. La dernière demie-heure est exemplaire, et démontre à elle seule que le cinéma peut s’avérer être plus visionnaire que n’importe quel sociologue de plateaux télévisés. Imamura voit l’homme japonais si déçu socialement, et sexuellement, qu’il ne trouve comme solution que l’isolement et la construction inhumaine pour assouvir ses besoins les plus humains. Ogata, dans sa barque, construit un objet de plaisir, que l’on pourra retrouver par la suite dans la culture otaku jusqu’au-boutiste, avec ces poupées inspirées par les animés, servant à assouvir des désirs chamboulés par l’américanisation, l’occidentalisation du pays. Certains journalistes, bien trop prompts aux jugement à l’emporte-pièce quand à la sexualité japonaise en déclin, seraient fort bien inspirés de regarder Le Pornographe, l’une des œuvres les plus importantes d’un cinéaste décidément très prophète.
Pour acheter Le Pornographe dans son édition DVD, c’est chez l’éditeur Elephant Films.