Caractéristiques
- Titre : Encore Heureux
- Réalisateur(s) : Benoit Graffin
- Avec : Edouard Baer, Sandrine Kiberlain, Bulle Ogier
- Distributeur : EuropaCorp Distribution
- Genre : Comédie
- Pays : France
- Durée : 93 minutes
- Date de sortie : 27 janvier 2016
- Note du critique : 6/10 par 1 critique
Encore Heureux : la crise en fond
On le disait dans la critique du tout récent La Fille Du Patron, les films emprunts des sentiments liés à la crise financière de 2008 ont eu peine à voir le jour. Sans doute par peur de se frotter à un sujet social, donc difficilement maitrisable, les réalisateurs préféraient éviter soigneusement ce que les grands cinéastes post-Vietnam ont pourtant mis un point d’honneur à capturer : le ressenti. Et celui-ci, jusque dans des genres pas du tout auteurisant, prouvant que le cinéma se nourrit de son époque, le doit pour trouver une résonance chez le spectateur. On retiendra que Benoit Graffin, le réalisateur d’Encore Heureux, qui a jusqu’ici fait le principal de sa carrière au poste de scénariste, sera l’un des premiers à avoir utilisé la crise comme élément scénaristique… dans une comédie.
Encore Heureux nous raconte l’histoire d’une petite famille au bord de la crise de nerfs. Sam (Edouard Baer), un cadre supérieur qui se prend la crise financière en pleine face, est le mari de Marie (Sandrine Kiberlain), humble vendeuse de chaussure au physique avantageux. Au chômage depuis deux ans, Sam ne subvient plus aux besoins de ses enfants, Alexia (Carla Besnaïnou) et Clément (Mathieu Torloting), et sa femme se sent de plus en plus délaissée. Pourtant, Marie se bat pour vivre leur histoire jusqu’au bout, quitte à vivre de larcins, et à refuser les avances d’un bel inconnu aussi déterminé que fortuné (Benjamin Biolay). Alexia, qui prépare un concours de piano, répète ses gammes chez une dame aussi âgée que désagréable. Un événement inattendu va projeter la famille dans un tourbillon d’émotions, alors que la situation dégénère totalement.
Heureuse qui comme Marie…
Encore Heureux, donc, fait le choix de la pure comédie. « A la française », pourrait-on dire, à la vue des forces première de l’œuvre : ses dialogues, l’interprétation tout simplement sans fausses notes, et le rapport de ces paramètres dans des situations de plus en plus rocambolesques. Le récit n’est jamais seul au volant, et c’est une force que l’on applaudi bien fort. Mais attention, le scénario n’est pas en reste, même si à première vue il peut paraître léger. Évidemment, nous ne nous trouvons pas devant un film de Ken Loach. Ce n’est pas la volonté d’Encore Heureux, et ce n’est pas ce nom qui signe le film. Benoit Graffin a sa propre personnalité, et son effort pour s’affirmer doit être souligné. Pas de mimétisme, et il serait incroyable de le lui reprocher. Ici, nous partons de personnages, qui agissent directement sur les situations, il est donc totalement justifié que ces âmes donnent au récit une personnalité abracadabrantesque, très éloignée de notre quotidien.
Encore Heureux débute sur un rythme haletant, en nous exposant parfaitement les personnages que le spectateur va apprendre à aimer. Que ce soit Sam, qui se réfugie dans une tente au sein de son propre foyer, afin de pouvoir traîner sur le PC et clairement se noyer dans la recherche de solutions fantasmées à ses problèmes sociaux. Marie, dont le caractère, désabusé mais fort comme rarement vu, mène sur un chemin fait d’épreuves pour son couple. Les enfants, quine ressemblent jamais aux pleurnichards qu’on aime souvent décrire au cinéma. Ou les quelques rôles secondaires, comme Madeleine (Bulle Ogier), la mère de Marie, dont la langue ne traîne jamais dans la poche… L’on se prend à se demander, à chaque minute, ce qu’ils nous réservent comme coups tordus. Même si Encore Heureux ne cherche pas à peindre une situation précisément grinçante, nous allons y revenir, il faut bien dire qu’on se bidonne beaucoup devant certaines réactions. Qu’elles fassent échos à notre personnalité profonde, ou qu’elles soient totalement folles.
Un casting sans fausses notes
Il serait trompeur de résumer Encore Heureux à ses moments de délire complet, même s’ils remportent notre adhésion. Les rapports entre les personnages, et surtout la description du couple, apportent quelques moments de tendresse surprenants dans leur justesse. Sam, barbu, échevelé, nous émeut dans son jusqu’au-boutisme très parlant. Certaines de ses répliques renvoient directement à la détresse que peuvent ressentir certaines personnes, qui imaginaient leur vie sans penser qu’une crise financière allait passer par là. La volonté de ne rien foutre pour se remettre dans le sens de la marche ? Non, pas du tout. Plus un désespoir paralysant, dans une description qui ne pourrait marcher sans l’une des grandes réussites d’Encore Heureux : son casting. Et pourtant, l’on ne partait pas gagnant (ndlr : ah, les idées reçues !). Attention, même Benjamin Biolay est bon dans son rôle, jouant parfaitement avec l’intonation de sa voix. Mais c’est surtout le duo formé par Edouard Baer et Sandrine Kiberlain qui nous étonne très agréablement. Le premier apporte toute une dimension fantaisiste, ne tombe pas dans le piège du tout dépressif et permet, donc, au récit de gagner en couleurs. Quand à la deuxième, son talent n’avait pas irradié l’écran à ce point depuis un moment, et sa gestuelle apporte une fragilité que les dialogues viennent intelligemment compléter, donnant au personnage un équilibre salutaire. Mention spéciale à Bulle Ogier, dont certaines scènes vous réservent des moments délicieusement croustillants.
L’intrigue d’Encore Heureux ne lésine pas sur les effets, mais l’écriture fait en sorte d’apporter une crédibilité, une envie d’y croire. Et, c’est là tout ce que l’on peut souhaiter à un réalisateur, le spectateur éprouve tout du long l’envie irrésistible de savoir ce qui vient, ce que peut bien réserver le récit. Au final, Encore Heureux nous a agréablement étonné, jusque dans sa mise en scène d’un sérieux exemplaire, auquel il manque peut-être un chouïa de folie. Benoit Graffin se contente d’assurer le sérieux de son effort, ce qui est à saluer, tant l’on ne ressent jamais l’essoufflement qui peut parfois s’emparer de la forme d’une comédie. Ce n’est jamais le cas, et c’est pour ça qu’Encore Heureux est aussi captivant.