article coup de coeur

[Critique] Splice : Le Frankenstein freudien de Vincenzo Natali

Caractéristiques

  • Titre : Splice
  • Réalisateur(s) : Vincenzo Natali
  • Avec : Adrien Brody, Sarah Polley, Delphine Chanéac, Brandon McGibbon, David Hewlett...
  • Distributeur : Gaumont Distribution
  • Genre : Horreur, Science-fiction
  • Pays : Canada, France
  • Durée : 1h44
  • Date de sortie : 30 juin 2010
  • Note du critique : 8/10

Un nouveau Frankenstein ?

Un couple de jeunes scientifiques donne naissance à une créature hybride censée apporter un remède à des maladies graves mais la situation leur échappe dangereusement lorsque celle-ci s’avère plus humaine que prévu… et potentiellement dangereuse. Le nouveau film de Vincenzo Natali avance de toute évidence en terrain connu, cependant, Splice est loin d’être une énième variation sur le thème largement rabattu de Frankenstein.

S’il demeure un film de genre qui interroge en partie les fantasmes de toute-puissance des scientifiques, son cœur réside dans ses personnages principaux, qui ne sont pas seulement des rats de laboratoire, mais forment avant tout un couple, qui ne va pas tarder à enfanter une créature qui va les plonger au fond d’un gouffre existentiel. A tous ceux qui s’attendent à un pur film d’horreur bien gore rempli d’action et que les histoires métaphoriques gonflent : halte là ! Splice n’est pas pour vous. Mais pour tous ceux qui, comme nous, aiment les films de genre intelligents et dérangeants, avant tout centrés sur leurs personnages et la psyché humaine : courez, car vous vous régalerez.

Un modèle parental original

image sarah polley adrien brody splice vincenzo natali
© Gaumont Distribution

Vincenzo Natali prend en effet le parti très manifeste de faire des deux jeunes génies les parents involontaires d’un monstre de plus en plus humain et interroge le désir qui a mené à la création de cet “enfant”. La figure de la mère de l’héroïne, Elsa (impressionnante Sarah Polley), parcourt tout le film tout en restant fantomatique. On ne saura jamais ce que celle-ci lui a fait subir dans son enfance, si ce n’est qu’il a probablement été question de maltraitances et que cela ne lui a “guère donné envie d’enfanter”. On se rendra vite compte que la jeune femme a déplacé son désir d’enfant dans sa création, celle-ci se faisant le miroir de ses névroses refoulées.

Mère tour à tour ultra-protectrice et sadique, Elsa reproduira bien évidemment le schéma familial abhorré en voulant garder sa “fille” rien que pour elle, à l’abri du monde extérieur (ils ont
conduit l’expérience en secret dans la plus grande illégalité), quitte à la séquestrer, la traiter comme un animal ou un simple objet soumis à sa curiosité scientifique malsaine. Le “père” (excellent Adrien Brody), qui tente au départ de séparer le duo fusionnel par une tentative de meurtre sur la fillette hybride, finit par s’attacher à celle-ci, jusqu’à se laisser séduire par elle lorsqu’elle prend l’apparence d’une séduisante adolescente…

Bref, vous l’aurez compris, le fond de l’histoire, très freudien, se penche sur le fonctionnement d’un couple avec enfant dans les moindres détails et, bien qu’improbable sur le papier, c’est ce parti pris qui donne toute sa force et sa singularité au film, le rendant particulièrement flippant et dérangeant.

A l’intérieur

image delphine chanéac sarah polley splice vincenzo natali
© Gaumont Distribution

Si Vincenzo Natali avait choisi de ne faire qu’un film avec une petite bébête qui grandit et massacre tout le monde gratuitement, Splice aurait pu n’être qu’un film d’horreur de plus lorgnant du côté d’Alien sans parvenir à en retranscrire toute la sourde terreur. Mais parce-que les “héros” nous ressemblent, que leur relation avec cette “bête” demeure réaliste et crédible au-delà de toute vraisemblance, l’angoisse nous submerge progressivement…

Le cinéaste a bien compris que ce qui nous effraie le plus, viscéralement, ne peut provenir que de l’intérieur, et non d’une quelconque menace extérieure. C’est ce qui avait fait la force de la saga initiée par Ridley Scott en 1979 : l’alien contaminait insidieusement un être humain avant de se libérer au moment où on l’attendait le moins, tuant au passage son hôte. Les parallèles avec la condition des femmes enceintes ou des personnes atteintes de cancer avaient été relevés (à raison) au moment de la sortie du film, qui a terrifié des millions de spectateurs alors même que les images explicites sont assez rares, le cinéaste jouant beaucoup sur la force de suggestion, sans céder à la facilité de filmer sa créature sous toutes les coutures.

Mécanique des corps

image adrien brody delphine chanéac splice vincenzo natali
© Gaumont Distribution

 

A cette influence majeure, il faut rajouter celle du génial et tout aussi barré Eraserhead de David Lynch, manifeste par son thème – la répulsion d’un homme devant son bébé monstrueux, qui bouleverse sa vie de couple et qu’il finit par massacrer – et par l’apparence de la créature au tout début, très ressemblante avec sa tête en forme de pénis blanc, ses minuscules yeux globuleux et son aspect visqueux.

La relation au corps, dans toutes ses spécificités masculines ou féminines, sensuelles ou repoussantes, est d’ailleurs un élément central du film que Vincenzo Natali utilise à bon escient. Et sur ce point, mis à part Lynch, le cinéaste a évidemment été influencé par David Cronenberg, le maître en la matière.

Influences très bien digérées – contrairement à ce que se sont empressés de crier des nuées de critiques puristes – Natali ayant de toute évidence son style personnel. Brasser de
multiples références issues de la culture populaire n’empêche aucunement d’avoir une vision personnelle, qu’on se le dise !

Un film de genre terrifiant

image créature sarah polley splice vincenzo natali
© Gaumont Distribution

Gore et action ne sont pas pour autant absents de Splice, et ces scènes sont d’autant plus efficaces que le film ne les enchaîne pas comme des perles. La tension monte progressivement et à chaque fois que la violence éclate, elle est réellement terrifiante. Seule la dernière demi-heure du film fonctionne comme un traditionnel slasher et, bien que certains l’aient regretté, trouvant cette partie grand-guignol et conventionnelle, elle n’en demeure pas moins cohérente et, là encore, nous regardons ces passages différemment à cause de tout ce qui s’est déroulé auparavant, qui les rend lourds de tension émotionnelle.

La toute dernière scène se déroule d’ailleurs dans un décor feutré et nous laisse la sensation d’un coup de poing à l’estomac, un coup de poing donné de l’intérieur, qui achève de manière brillante cette parabole dérangeante. Un excellent film, étrangement boudé par une bonne partie de la critique et des spectateurs (trompés par une bande-annonce trop choc), qui devrait être
réévalué dans le futur. Si ce que nous en avons dit vous a intéressé, n’attendez pas en tout cas : Splice fait définitivement partie des films les plus intéressants à voir en ce moment !

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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