[Critique] Au-delà : La vérité est ailleurs pour Clint Eastwood

Caractéristiques

  • Titre : Au-delà
  • Titre original : Hereafter
  • Réalisateur(s) : Clint Eastwood
  • Scénariste(s) : Peter Morgan
  • Avec : Cécile de France, Matt Damon, Bryce Dallas Howard, Thierry Neuvic...
  • Distributeur : Warner Bros
  • Genre : Fantastique, Drame
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 2h09
  • Date de sortie : 19 janvier 2011
  • Note du critique : 4/10

Infaillible Eastwood ?

D’ordinaire, découvrir un nouveau film de Clint Eastwood est toujours un moment singulier qu’on attend avec impatience. Intense et sensible, son cinéma a gagné en force et en maturité lors des années 2000, nous gratifiant des grandes œuvres crépusculaires que sont Mystic River (2002), Million Dollar Baby (2004), Mémoires de nos pères/Lettres d’Iwo Jima (2006), L’Échange (2008) ou encore Gran Torino (2008).

Avec une régularité de métronome, le cinéaste s’est mis à nous offrir un à deux longs métrages par an et le résultat laissait toujours admiratif. Mais comment fait-il était, à chaque fois, la question que l’on avait aux lèvres une fois les lumières rallumées. Avec toujours un brin d’inquiétude à l’idée de voir un homme de quatre-vingt ans tout de même, tourner autant sans relâche…

Il fallait bien qu’un jour la machine se grippe et que le grand Clint, tout à sa frénésie créative, plante un film. Et il ne fait aucun doute qu’Au-delà est un sacré plantage dans la filmographie des dix dernières années du cinéaste. Certes, le film n’est pas mauvais en soi et possède des qualités, il n’est pas aussi absolument raté que l’on laissé entendre certains critiques, mais ce que l’on aurait pu pardonner à un tâcheron ou à un artiste mineur est moins compréhensible de la part d’un réalisateur de la trempe d’Eastwood.

Un ratage étonnant

bryce dallas howard et matt damon dans au-delà de clint eastwood

Les longueurs, les dialogues inutiles, les trop nombreux plans d’exposition permettant de situer Paris, Londres ou les États-Unis, la musique qui ne colle jamais aux situations, la fin qui tombe à plat… Ces défauts, surprenants étant donné la maîtrise habituelle du cinéaste, sont sans doute malheureusement dus à une trop grande précipitation. Jonglant avec trop de projets à la fois (le biopic sur J. Edgar Hoover est en tournage, la comédie musicale avec Beyoncé en préparation), trop immergé, le réalisateur ne semble pas avoir réussi à prendre le recul nécessaire pour élever Au-delà du rang de joli film émouvant mais conventionnel et maladroit à celui de très bon film, intense et maîtrisé.

Pour commencer, la dimension chorale du film déçoit dès lors qu’on connaît l’œuvre de Robert Altman, P.T. Anderson ou encore Alain Resnais.
Composé de trois segments distincts qui alternent constamment, Au-delà s’ouvre par le tsunami qui a frappé la Thaïlande en 2004. Marie Lelay (Cécile de France), célèbre journaliste française, est emportée par la vague et se noit avant de revenir à la vie quelques minutes plus tard. Elle a eu des visions de ce qui ressemble à l’au-delà et sa vie s’en trouve bouleversée, au point de mettre sa carrière en danger lorsqu’elle décide d’écrire un livre sur le sujet.

Nous suivons ensuite le jeune Marcus (Frankie & George McLaren) à Londres. Il vit avec son frère jumeau Jason et leur mère junkie. Lorsque Jason meurt renversé par un camion, il ne parvient pas à faire son deuil et se retrouve placé en famille d’accueil. Enfin, aux États-Unis, George Lonegan (Matt Damon), un ancien médium reconverti en ouvrier de chantier, fuit son encombrant don pour essayer d’apprivoiser la vie plutôt que la mort. Sa rencontre avec la jolie Melanie (Bryce Dallas Howard) lors d’un cours de cuisine italienne pourrait peut-être lui donner un nouveau souffle… A la fin, évidemment, tout ce petit monde se trouvera réuni, leur permettant de régler leur situation.

Manque de maîtrise

au-dela4.jpg

Le problème, c’est que si chacun des segments pris à part est plutôt plaisant, la manière de les lier est plan-plan au possible. Eastwood se contente d’alterner les différentes parties dans un ordre immuable (Marie, Marcus, George), en insérant des plans de Paris, Londres ou l’usine où travaille George à chaque fois, au cas où le spectateur ne comprenne pas qu’il y a eu une transition.

Le discours sur la mort et l’angoisse de l’après qu’elle engendre, pour conventionnel qu’il soit, n’est pas gênant. Ce qui l’est plus, c’est, d’une part, ces horribles fondus et flashs blancs censés figurer cet au-delà qui restera mystérieux et impénétrable tout au long du film, d’autre part, la sensation grandissante que le film tourne à vide et, qu’au-delà du talent de ses interprètes et du plaisir qu’on peut avoir à suivre l’intrigue ou certaines scènes de façon générale, il ne nous mènera en fin de compte pas bien loin.

Et c’est malheureusement vrai : la fin, ratée, tombe complètement à plat et on ne croit absolument pas à la réunion finale de deux des personnages principaux, plombée de plus par une petite musique au piano dont Eastwood (le compositeur) a habituellement le secret, mais qui ici ne correspond pas du tout à la teneur émotionnelle et dramatique de la scène. Cette impression de plaqué, présente tout au long du film, est perturbante et nous fait régulièrement sortir de l’intrigue.

Un film attachant malgré tout

cécile de france fuit le tsunami dans au-delà de clint eastwood

Ce ratage est d’autant plus dommage qu’Au-delà n’est pas dépourvu de qualités. Si le scénario bien trop prévisible de Peter Morgan (Le
Dernier roi d’Écosse
, The Queen…) l’aurait de toute manière condamné au rang des films mineurs du cinéaste, il aurait pu être bien plus convaincant et maîtrisé. Malgré tous les défauts énumérés, Clint Eastwood parvient tout de même à capter l’attention puisque nous ne nous sommes pas vraiment ennuyés pendant les 2h10 du film. La scène de l’arrivée du tsunami, qui ouvre le métrage, est saisissante de réalisme et d’une maîtrise à couper le souffle. Une belle scène qui est peut-être ce qu’il y a de plus réussi dans ce trente et unième long-métrage du réalisateur…

Les acteurs sont convaincants et nous rendent facilement leurs personnages sympathiques. On a beaucoup parlé de la partie française, soit-disant ratée, et de la faiblesse des acteurs, dont Cécile de France. Pour notre part, nous avons trouvé que l’actrice s’en sortait très bien et ne méritait aucun blâme. Même si nous ne sommes pas fans de Thierry Neuvic, il n’y a rien de catastrophique dans sa prestation et les dialogues paraissent la plupart du temps assez naturels, quoique téléphonés, comparé aux scènes françaises épouvantables d’Inglorious Basterds de Tarantino. Cécile de France a révélé en interview que Clint Eastwood l’avait laissée traduire ses dialogues en français, cela a sans doute joué, alors que personne ne semble avoir fait remarquer à Tarantino que les dialogues traduits étaient horriblement pompeux et artificiels et que l’acteur Jacky Ido était incapable de prononcer ses répliques avec naturel et conviction.

cécile de france prend un bain dans au-delà de clint eastwood

Il y a malgré tout un malaise qui se dégage de la partie française, qui devient faiblarde dans la deuxième moitié du film : l’artificialité de son développement et des dialogues trop explicatifs, inutiles, qui décrédibilisent la situation, d’autant plus que le tout est très prévisible. Marie, journaliste vedette, ne se sent pas bien suite à son expérience traumatisante et a besoin de plus de temps pour elle ? Très bien, son producteur, qui n’est autre que son compagnon, lui propose de faire une pause de quelques mois en lui promettant qu’elle pourra reprendre ensuite sa place sans problème. On se doute alors fortement que ce ne sera pas le cas et les éléments qui témoignent de ces difficultés “inattendues” sont tellement conventionnels qu’on a du mal à comprendre la surprise de l’héroïne lorsqu’elle se rend compte de la situation. Tout le segment devient alors purement mécanique et on s’en désintéresse complètement au profit des parties anglaise et américaine.

Les acteurs à la rescousse

les jumeaux du film au-delà de clint eastwood

A ce sujet, les jumeaux Frankie et George McLaren qui jouent les rôles de Marcus et Jason avant d’alterner pour les scènes de Marcus sont très convaincants et ont bien été dirigés. Nous ne nous serions pas doutés que le rôle du jeune Marcus était joué par deux acteurs avant de jeter un œil au générique. Même si cette partie anglaise possède un certain nombre de poncifs mélodramatiques (la mère junkie, le jumeau rescapé qui ne se remet pas de la mort de son frère, les services sociaux, la famille d’accueil dépassée…), Eastwood parvient à ne pas tomber dans le pathos (contrairement à ce qui lui a été reproché) et à conserver une jolie pudeur dans ces scènes émotionnellement délicates. C’est l’une des qualités qui nous font amèrement regretter le manque de maîtrise de l’ensemble et les défauts déjà évoqués.

matt damon joue un ancien medium dans au-delà de clint eastwood

La partie mettant en scène le personnage de Matt Damon est sans doute la plus convaincante et la plus prenante. Le rôle d’un medium renfrogné qui cherche à oublier ses visions n’est pas ce qu’il y a de plus facile à défendre sans tomber dans le cabotinage, mais l’acteur relève le défi haut la main et livre une performance parfaite. Il fait de George Lonegan un homme discret et pudique, ordinaire si ce n’est ses capacités singulières, et qu’on sent vaciller d’un seul regard. Si on s’accroche autant au film malgré ses défauts, cela est grandement dû à sa performance. C’est la première fois qu’on prend conscience qu’il a maintenant quarante ans et ce type de rôles plus matures (qu’il avait déjà eu l’occasion de défendre dans Raisons d’État de De Niro) lui va très bien.

matt damon à la fenêtre de sa maison dans le film au-delà

Malheureusement, tout cela n’est pas suffisant pour faire d’Au-delà un film réussi. La dimension métaphysique, censée être ici centrale, échoue misérablement et en reste la plupart du temps à des clichés éculés qui ne provoquent pas le moindre trouble. Ironiquement, Clint Eastwood rate un film qui avait tout pour être étiqueté “crépusculaire” et “testamentaire” là où il a réussi admirablement avec tous ses précédents films des années 2000 (à l’exception de Créance de sang) à livrer une réflexion tour à tour dérangeante et poignante sur la mort et le sens de la vie. Peut-être n’avait-il au fond pas besoin de faire ce film et ne s’en est pas rendu compte sur le moment, d’où son apparent manque de conviction formelle. Espérons que son biopic sur J. Edgar Hoover puis son remake d’Une Étoile est née sauront mieux le stimuler. Après tout, malgré son statut d’icône intouchable, Clint Eastwood est un être humain et le ratage d’Au-delà prouve qu’un grand artiste peut parfois se planter comme un jeune homme. On lui pardonne donc volontiers.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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