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[Critique] Winter’s Bone de Debra Granik

Caractéristiques

  • Titre : Winter's Bone
  • Réalisateur(s) : Debra Granik
  • Avec : Jennifer Lawrence, John Hawkes, Lauren Sweetser, Garret Dillahunt, Dale Dickey, Shelley Waggener...
  • Distributeur : Pretty Pictures
  • Genre : Drame
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 95 minutes
  • Date de sortie : 2 mars 2011
  • Note du critique : 8/10

Missouri, mon amour ?

image film winter's bone

Outsider des Oscars où il été nominé pour quatre prix, Winter’s Bone est un film indépendant aussi prenant que désespérément sombre. Ree (Jennifer Lawrence), dix-sept ans, vit dans les montagnes reculées d’Ozark, au Missouri avec sa mère et ses petits frères et sœurs Sonny et Ashlee. Leur père, Jessup, dealer de meth, est resté en prison un bout de temps, et Ree a dû prendre en charge Sonny, Ashlee ainsi que leur mère, devenue mutique. Libéré sous conditionnelle quelques semaines plus tôt, Jessup a disparu dans la nature et est sommé de se rendre au tribunal, sans quoi leur maison sera saisie. L’adolescente décide alors de partir à la recherche de son père.

Avec ses personnages sombres et violents, l’extrême pauvreté qu’il décrit et ce cadre de l’Amérique profonde, Winter’s Bone frappe fort dès le départ et nous plonge dans un environnement hostile qui deviendra de plus en plus étouffant. De prime abord, malgré la justesse des acteurs et la sensibilité de la réalisation, on craint un peu de voir un pastiche de film indé made in U.S. qui en rajouterait toujours plus dans la misère et la succession d’événements tragiques, quitte à tomber dans le pathos, la condescendance vis-à-vis du sujet ou la caricature.

Une galerie humaine d’une vérité terrifiante

image winter's bone

Or, plus Winter’s Bone avance, plus nous abandonnons ces préjugés pour nous laisser porter par l’histoire. Malgré le côté haut en couleurs de l’immense galerie de personnages secondaires, leur déchéance et leur cruauté qui pourrait laisser penser que le Missouri est un hôpital psychiatrique géant, ceux-ci ne sont pas faits d’une pièce et se révèlent complexes, humains, attachants de manière parfois inattendue. A commencer par l’oncle de Ree, Teardrop, campé par un John Hawkes (3 Billboards) impressionnant. Oscillant entre une attitude de junkie macho et violent et un attachement sincère à sa nièce, dernier lien familial qui lui reste, ce personnage secondaire rejoint celle-ci dans un face à face d’une intensité douloureuse.

Debra Granik a le don de nous faire haïr la majeure partie des personnages qui entourent l’héroïne au travers de scènes choc avant de les racheter en partie (mais en partie seulement), en nous montrant la compassion ou la tendresse dont ils peuvent faire preuve, même de manière décalée. Plutôt que de faire de Ree un innocent petit chaperon rouge au milieu de monstres sanguinaires, la réalisatrice dresse le portrait singulier d’une jeune fille déterminée, qui ne faiblit jamais, même face aux menaces, pour survivre coûte que coûte au milieu d’individus certes dégénérés mais d’une humanité criante de vérité, dérangeante. Tous les voisins ou presque fabriquent et vendent de la meth, ils sont tous liés par des liens du sang plus ou moins étroits et respectent à l’extrême la loi du silence. Les recherches de Ree les gêne, bien que son problème soit d’ordre vital. Ils refuseront donc de lui venir en aide, n’hésiteront pas à la menacer ou la tabasser si elle ne se résigne pas.

Nature : lumière et ténèbres

image jennifer lawrence winter's bone

La nature, de tous les plans, donne une identité visuelle très forte au film, l’enveloppe dans une épaisse atmosphère de mystère. L’image est souvent belle, toujours glaçante. Debra Granik prend le temps de laisser vivre ses personnages, offrant régulièrement aux spectateurs des scènes leur permettant de retrouver leur souffle au milieu de cette nature aussi belle que sauvage. Dans cette région où la seule activité semble être la vente de bois, on cultive ses terres, on s’enfonce dans la forêt et on chasse les écureuils au fusil pour les cuisiner, ce qui donne lieu à des scènes cruelles et poétiques à la fois. Dans sa dernière partie, Winter’s Bone nous plonge dans une atmosphère nocturne, l’image se fait plus sombre tandis que, à bord d’une barque, l’héroïne sera confrontée à la cruauté abyssale de la nature et de l’humanité dans une scène à glacer le sang, qui oriente le long-métrage vers le film de genre par son imagerie.

Évitant habilement tout misérabilisme sans pour autant faire de concessions, le film de Debra Granik est certes souvent très glauque, oppressant mais n’oublie pas pour autant les moments de respiration du quotidien, où la vie reprend ses droits, les petits bonheurs partagés, si futiles soient-ils. Une fête d’anniversaire où les invités jouent et chantent de la country et du blues, une ballade entre frères et sœurs… Winter’s Bone possède quelques zones lumineuses auxquelles la réalisatrice confère la fulgurance d’éclaircies par temps d’orage. Ces scènes, si elles ne nous font jamais oublier le combat de Ree, participent à la beauté et à l’attachement qu’on ressent pour le film et sont présentes dès la très belle séquence d’ouverture.

Jennifer Lawrence : singulière héroïne

Le casting de Winter’s Bone, constitué majoritairement d’acteurs non professionnels originaires de cette région du Missouri, est impeccable, on ne sent jamais la performance d’acteurs malgré l’intensité des situations. Dans le rôle de Ree, Jennifer Lawrence (qui n’est pas une débutante malgré son jeune âge) impressionne fortement. Elle rend plus que justice au tempérament si singulier de son personnage, qui n’est jamais montré comme une victime, même lorsqu’elle est menacée, battue. Mère poule pour son petit frère et sa petite sœur, déterminée, elle ne baisse jamais les yeux, ne prend pas le temps de s’apitoyer sur son sort.

Hormis le tout aussi impressionnant John Hawkes, les rôles féminins sont tous forts et bien campés. Au milieu de ces femmes souvent aigres et violentes, aux ordres de leurs frères et maris dont elles ne cherchent pas à contester l’autorité, on a la surprise de retrouver au détour d’une scène Sheryl Lee, la Laura Palmer de David Lynch, vieillie et les yeux cernés, échappée de la petite ville forestière de Twin Peaks pour une autre commune de ploucs tirant sa « prospérité » du bois.

Sorti discrètement en ce début mars au milieu de films de plus grande envergure mais suivi d’une critique élogieuse qui lui permettra, on l’espère, de rester un certain temps sur les écrans, Winter’s Bone est un petit bijou à ne pas manquer. Un diamant très noir, étouffant, dont on ne ressort pas indemne, qui interpelle par sa singularité et le traitement subtil de ses personnages, tous criants de vérité. Sans être tout à fait un chef-d’œuvre, il s’agit donc d’un film des plus marquants qui, l’air de rien, rejoint Black Swan, True Grit ou Never Let Me Go au rang des meilleurs crus de ce premier trimestre 2011.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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