[Interview] La Proie : Eric Valette raconte le tournage

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J’ai eu la chance de rencontrer Eric Valette en début de semaine dans le cadre de la promotion de son nouveau film, La Proie, qui sort en salles le 13 avril prochain. Après avoir pris soin de chercher quelques photos de lui sur Internet histoire de bien le reconnaître, je me pointe dans le petit bar du 10ème arrondissement où nous avons rendez-vous, tourne la tête à gauche, à droite, derrière… Ne le voyant pas, je m’assieds seule à une table, je suis un peu en avance. Il  me faudra dix bonnes minutes pour me rendre compte qu’il était pendant tout ce temps assis à une table juste en face de moi… et qu’il porte la même casquette que sur les photos que j’ai vues !

Il me pardonne volontiers mon étourderie et je rencontre un type charmant et passionné qui répond à mes questions de manière à la fois simple et directe pendant près d’une demi-heure. L’occasion de parler longuement des partis pris de son film, mais également de Sam Peckinpah ou de l’évolution du cinéma français, sur lequel il est résolument optimiste. 

Tout d’abord je voulais vous remercier d’avoir fait un film de genre français qui ne soit pas un pur film d’auteur comme les films de Jacques Audiard (que j’aime beaucoup) ni un gros film d’action bourrin comme les productions de Luc Besson. Est-ce qu’il s’agissait d’un parti pris du scénario au moment où vous êtes arrivé sur le projet ou est-ce vous qui avez plus orienté le film dans cette direction ?

Non non, l’idée était de faire un film de genre populaire mais qui soit quand même ancré dans une certaine réalité – même si on en décolle. En tout cas pour l’environnement on voulait que ce soit très banlieusard et provincial…On voit des décors qu’on voit assez peu dans le cinéma français à savoir des zones industrielles, des villages, des lotissements… qui est l’environnement des gens. Mais comme le cinéma français est par essence bourgeois, il marque souvent ce qui est l’univers des auteurs qui l’écrivent. Ca nous intéressait d’avoir cet environnement quotidien et de le faire décoller en insérant dedans une espèce d’action hyperbolique comme le cinéma d’action sait le faire. Et être entre Jacques Audiard et Europa Corp ça me convient ! Si on est entre Un Prophète et Le Transporteur

Vous parliez des décors naturels qui sont assez atypiques pour un thriller. Comment cela a-t-il influencé votre mise en scène ?

Disons que j’ai un rapport très organique au décor. A savoir que quand je vois un décor je vois les lignes, la composition, je vois si ça fait un cercle dans un cadre en 2 :35 scope… Après mon esprit se met en ébullition et j’essaie de voir ce qu’on peut en tirer comme profit graphique. C’est un gros travail de repérage et très souvent en repérages on trouve des choses qui sont parfois meilleures que ce que l’on avait imaginé sur papier. Par exemple, le slalom entre les voitures – cette scène n’était pas prévue à l’origine dans le script, c’était en fait une séquence d’action sur les quais du métro parisien…

Comme on n’a pas eu l’autorisation de tourner dans le métro et qu’on était à Prague à ce moment-là au pied d’une gare, quand avec mon premier assistant et mon chef opérateur on a vu cette bretelle de rocade, on s’est dit « Ce serait super chouette d’organiser un slalom pour dynamiser la scène » et c’est comme ça que naissent les idées. De la même façon à la fin, il y a une poursuite dans une espèce de garrigue desséchée. A l’origine ça devait être un endroit un peu plus boisé et quand on a été en repérages et qu’on a vu cette garrigue qui avait été victime d’incendies à répétitions, qui était une sorte de décor très brûlé un peu westernien, on s’est dit que c’était encore mieux que ce qui était prévu. C’est comme au judo, il s’agit d’utiliser la force de l’adversaire contre lui.

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Pour cette scène tournée à Prague (où le héros court sur l’autoroute avant d’atterrir sur un train) vous avez tourné pendant cinq jours, il me semble ?

Oui.

Comment vous êtes-vous organisé ? Vous n’avez pas eu trop de problèmes avec les autorisations ?

Disons que l’intérêt d’aller à Prague, c’était uniquement pour les autorisations, pas pour économiser de l’argent comme certains le font dans les pays de l’Est. C’était pas le but. A l’origine, nous avions prévu de tourner en France et comme on n’a pas obtenu d’autorisation pour les trains, etc. on a été obligés de se délocaliser. Donc ensuite, c’est une histoire de logistique. On a perdu pratiquement une demi-journée là-bas à cause du mauvais temps parce-qu’il pleuvait. Entre le moment où la poursuite s’engage et le moment où Albert Dupontel descend du train, il y a cinq jours de tournage, donc quatre jours et demi à cause de la demi-journée perdue. Ce qui fait que ça a été très intense. Cela a nécessité beaucoup de logistique, d’anticipation, savoir se débrouiller, avoir une deuxième équipe qui termine certains plans alors qu’on passait déjà sur un autre décor… C’est une logistique de guérilla mais c’est passionnant à faire. C’est vraiment jouer avec des gros jouets pour essayer de donner un maximum aux spectateurs.

Albert Dupontel a vraiment un rôle très physique dans le film, ce qui m’a un peu rappelé son film Enfermés dehors (2006) où il se mange plein de camions, de poteaux dans la figure, il y a un côté presque cartoon. Ce que j’ai trouvé intéressant est qu’il y a beaucoup de scènes très américaines dans le sens où il passe par la fenêtre pour atterrir sur un camion, il arrive quand même à courir super vite pour atterrir sur le train et en même temps, Dupontel apporte quelque chose de très brut, très réaliste, qui fait qu’il ne s’agit pas non plus d’un super-héros et qu’on arrive à y croire.

Oui. Le problème c’est qu’il faut faire avaler au public ce côté un peu surréaliste de l’action, qui est complètement flamboyant et hyperbolique. Albert aide à faire passer ça parce-que je pense qu’il a un vrai côté sauvage dans le film et suicidaire, totalement suicidaire, qui n’en a rien à foutre de rien.

C’est lui qui a insisté pour faire toutes les cascades, non ?

Voilà. Donc ça collait au personnage et ça collait à l’investissement d’Albert qui est un type qui veut toujours tout faire lui-même – qui le fait déjà dans ses films comme Enfermés dehors. Et effectivement, dans La Proie c’est un peu le versant « non cartoon » de Enfermés dehors mais on y retrouve cet amour de la cascade « roulée sous les aisselles » si j’ose dire, la cascade maison sur laquelle il y a très peu d’artifices numériques. C’est vraiment du live. Donc c’est assez passionnant d’avoir un acteur comme ça investi là-dedans et dont l’espèce d’énergie fauve fait gober toutes les aberrations dans lesquelles il se trouve.

la-proie-taglioni31J’ai noté une certaine influence de la part des films américains des années 90 dans le film, comme bien sûr Le Fugitif, qui a beaucoup été mis en avant dans la promo. On peut penser aussi, dans une certaine mesure, au Silence des agneaux (1991) ou à Un Monde Parfait (1993). Avez-vous volontairement pensé à certains films précis en amont du tournage ou est-ce que,  comme vous l’aviez dit dans une interview au moment de Maléfique, vous avez plutôt préféré ne pas y penser ?

Oui, c’est vrai que je fais partie des gens – on n’est pas nécessairement majoritaires – mais je fais partie des gens qui sont… Je veux dire, je regarde des films toute l’année mais je ne vais pas forcément regarder certains types de films avant de tourner. Je n’ai toujours pas revu Le Fugitif depuis sa sortie, même si j’ai acheté le DVD récemment. Le seul film que j’ai revu un peu avant le tournage, qui est un film que j’aime beaucoup et que je revois très régulièrement, c’est un film de Peckinpah qui s’appelle Guet-Apens (1972) avec Steve Mcqueen et Ali MacGraw où justement, pour moi le personnage de Dupontel est très proche du personnage de Steve McQueen, C’est-à-dire que c’est un « bon méchant »…

Oui, c’est un brave type dans le fond.

Voilà, c’est un type qui par nature est un méchant de cinéma car c’est un braqueur mais comme il a plus méchant en face de lui, par défaut il devient notre héros. J’aime bien cette idée de « héros noir », de héros sombre qui est avant tout un type qui lutte pour sa survie, qui tape fort et n’a pas peur de tirer au  riot gun sur des flics, ce qui est le cas dans Guet-Apens. De la même façon, Dupontel ne se préoccupe pas des conséquences de ses actes. Il a juste sa ligne, son but vers lequel il court désespérément. Dans ce sens-là, la moralité du héros m’intéressait, c’est vraiment quelque chose au cœur de ce film de Peckinpah que j’aime bien regarder et que j’avais effectivement revu avant. Mais c’est vrai qu’après, je vois beaucoup de films dans l’année mais…

Au bout d’un moment, les influences sont digérées aussi…

Oui oui et puis je ne me dis pas « Oh ! Mon Dieu il faut voir comment ils ont fait ça ». C’est plutôt, en voyant par accident quelque chose qu’on se dit « Tiens, ça ressemble à ce que je vais tourner dans deux mois cette scène ! » mais ce n’est pas délibéré. Je sais qu’il y a des gens qui ont une pile de DVD très précise qu’ils regardent, qu’ils font voir à leur équipe, mais ce n’est pas mon cas.

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Vous parliez de héros noir, vous disiez aussi dans le dossier de presse que vous appréciez qu’il s’agisse d’un héros un peu amoral. En même temps, il n’est pas aussi amoral que ça puisque pendant la majeure partie du film on est en totale empathie avec lui. La plupart du temps, lorsqu’il use de la violence, c’est surtout pour se défendre ou en cas d’extrême recours.

C’est de la survie.

Oui, voilà ! Ce n’est pas…

Non non, bien sûr ! Mais en même temps, c’est un type… Je pense que si le cinéma américain racontait la même histoire, le type serait en prison pour un truc qu’il n’a pas commis.

Oui, comme dans Le Fugitif justement ou La Mort aux trousses

Oui, il y a toujours plein de films dans le cinéma américain où lorsque le héros est incarcéré, comme ça doit être le « héros d’action positif », en général il a été piégé par son ex-femme qui lui en voulait pour je ne sais quoi, il y a toujours une histoire comme ça. Je voulais simplement que ce type soit en prison pour une raison, il accomplit une peine qu’il mérite et je trouvais intéressant que notre héros ce soit « ça ».

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J’ai lu une interview de vous pour le site l’Ouvreuse, de début 2010, où vous regrettiez certains problèmes de production dans le cinéma de genre français, notamment au niveau du développement des scénarios, pas toujours suffisamment aboutis. Je me demandais si vous pensiez qu’il puisse y avoir une évolution de ce côté là ou si vous sentiez toujours une certaine frilosité ou condescendance vis-à-vis du genre de la part de certains producteurs ou financiers ?      

J’ai l’impression qu’il faut toujours regarder la situation sur la longue distance plutôt que le court terme. On peut dire que sur une dizaine d’années, le cinéma français s’est quand même beaucoup diversifié et s’est ouvert au genre – avec des tentatives heureuses ou malheureuses, mais en tout cas j’ai l’impression que le cinéma français propose une diversité de choix intéressante qu’il n’avait pas il y a dix ou quinze ans. Donc j’ai l’impression qu’actuellement on est dans une phase assez positive à la fois pour les gens qui font du cinéma et pour le public. Le public a aussi envie de voir autre chose que de la comédie ou du drame bourgeois, il y a des choses entre les deux. Et la comédie c’est pas qu’un certain type de comédies. Ce serait bien qu’il y ait plus de films comme ceux d’Albert Dupontel par exemple.

Oui, autre chose que des Camping ou Disco

Oui, de toute façon il y aura toujours un public pour les Camping ou Disco donc c’est normal que le robinet soit ouvert. En même temps, il faut qu’il se passe autre chose. Et je pense que c’est le cas, notamment dans la comédie, avec les OSS 117 ou Philibert récemment, que je n’ai pas vu mais qui a l’air un peu dans cette veine. Des films qui proposent un type d’humour un peu plus anglo-saxon, qui ont un petit je ne sais quoi, mais qui en tout cas changent un peu du gros robinet mainstream de la comédie.

Pour l’action et le film de genre, c’est un peu pareil. On peut dire que depuis Le Pacte des Loups en 1999 les choses ont changé parce-que dans les années 90, sur ce créneau, il n’y avait quasiment que Luc Besson. Depuis il y a quand même pas mal de choses qui se sont passées. Je pense à des films comme celui de Nicolas Boukhrief, Le Convoyeur avec Albert [Dupontel], qui sont des vrais polars. Olivier Marchal a aussi amené son truc à lui et certains films Europa ne ressemblent pas forcément à des films d’Europa, comme Go Fast, qui ne rentre pas tout à fait dans ce moule. C’est un polar qui est un peu plus ancré dans quelque chose… Je trouve qu’il y a une diversité de l’offre qui est intéressante actuellement. Disons que je suis assez content d’arriver là… ça fait un petit moment que je suis là, mais il y a vingt ans ça aurait été beaucoup plus difficile.

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En revanche, vous aviez dit que ça prenait plus de temps pour monter un film en France. Du coup, entre Maléfique (2002) et Une affaire d’état (2009) vous êtes allé tourner deux films aux Etats-Unis…

Oui. Enfin disons que c’est pas parce-que c’est plus long à monter, je me suis peut-être mal exprimé. C’est juste qu’à l’époque, après Maléfique, je n’avais pas d’envergure… pour le système en tout cas. Je n’étais pas un type évident qu’on appelle. Donc je me suis toujours retrouvé sur des développements à long terme alors que des fois on a juste envie de tourner. C’est pour ça que j’ai pris des commandes américaines, dont je ne suis pas content, mais qui ont eu l’avantage de me faire travailler et de me faire apprendre mon métier… C’est comme quand on est journaliste, on a envie d’interviewer des gens ou d’écrire des articles, des critiques, etc.

Moi je suis inexistant, inopérant si je me retrouve à développer des projets… Mon métier c’est de développer mais ça n’est jamais que 20%. Le reste c’est d’être en prépa, sur un plateau, de faire du montage. C’est ça mon métier. Ce n’est pas d’être dans des bureaux à rencontrer des gens pour parler de choses qu’on doit faire. Donc je suis assez pragmatique et quand j’ai vu que je m’embourbais un peu et que j’avais des offres des Etats-Unis, j’y suis parti sans problème. Je suis revenu, il n’est pas exclu que je reparte un moment si l’occasion sent le larron, à savoir si je peux avoir un vrai contrôle, ce serait très séduisant. Mais en l’état, je peux faire des choses intéressantes en France donc j’essaie de les faire.

Avez-vous de nouveaux projets ? Vous aviez un projet de western qui avait…

… capoté mais qui existe encore vaguement. Actuellement, dans l’immédiat, à partir de début avril, je tourne la moitié de la saison 2 de Braquo. J’entre dans l’univers d’Olivier Marchal, ça va être assez amusant. Et puis dans la foulée, à la fin de l’année, je vais tourner un polar très radical et très méchant de toute petite taille. Economiquement parlant on va le faire vraiment sur un budget assez réduit, contrairement à La Proie. Ca s’appelle Le serpent aux mille coupures, ce sera vraiment un polar rural qui se passe dans le sud-ouest. Encore une fois, on sera dans une France des villages, voire des hameaux. Donc ce sera dans une veine… encore une fois je vais citer Peckinpah mais j’aimerais bien que ce soit un peu dans la veine des Chiens de paille (1971).

De ce classique de Sam Peckinpah, je n’ai vu que la scène, très dure, où deux hommes violent la femme du héros. Les Visiteurs d’Elia Kazan, sorti un an plus tard, partage un thème similaire : une réflexion sur la violence de l’Amérique post-Vietnam et certains éléments de l’intrigue sont très proches du film de Peckinpah. Quoi qu’il en soit, ce nouveau projet semble excitant puisque, encore une fois, tout en restant dans le film de genre, il promet d’être très différent des précédents longs-métrages d’Eric Valette.

Encore merci à lui pour sa disponibilité. Remerciements spéciaux à Thomas Ducres pour m’avoir permis de réaliser cette interview.

Retrouvez ma critique de La Proie.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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