[Critique] Dexter : Solitaire en série — Anne-Claude Ambroise-Rendu

dexter-solitaire-en-serie-puf-couvertureCe cher Dexter…

Dernier essai de la collection des Presses universitaires de France (puf) consacrée aux séries télé, Dexter : Solitaire en série d’Anne-Claude Ambroise-Rendu se penche sur la série créée par James Manos Jr d’après l’oeuvre de Jeff Lindsay et diffusée sur Showtime de 2006 à 2013.

Aussi dérangeante qu’addictive, Dexter a passionné des millions de téléspectateurs à travers le monde durant 8 saisons. Interrogeant la condition humaine, cette oeuvre adoptant le point de vue d’un serial killer employé par la police de Miami en tant qu’analyste du sang sur les scènes de crime n’a cessé de faire évoluer son anti-héros saison après saison, le suivant dans sa découverte des émotions et sentiments humains. Finalement, Dexter, c’est avant tout l’histoire d’un homme qui prend conscience qu’il est humain, lui qui affirme au début de la saison 1 être incapable de ressentir quoi que ce soit pour qui que ce soit et se définit lui-même comme un “monstre”.

De l’autre côté, la série tend à souligner la violence tapie au cœur de chaque personnage, y compris ceux censés être les plus “justes”. Le sergent Doakes et ses méthodes parfois expéditives, Debra, sa sœur adoptive, la plus intègre de tous, qui ressent une ambivalence lorsqu’elle abat un suspect en état de légitime défense et franchira la ligne rouge plus tard, etc. La série, comme Orange Mécanique de Stanley Kubrick en son temps, se nourrit de la fascination pour la violence tapie en tout un chacun. Mais, loin d’être complaisante, elle se présente également comme une étude sur la nature humaine et la solitude inhérente à celle-ci.

Dexter, un tueur qui renvoie le spectateur à sa propre ambivalence

image dexter sang saison 1 showtime

C’est sous cet angle précis qu’Anne-Claude Ambroise-Rendu a choisi d’aborder Dexter. Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Limoges, spécialiste d’histoire du crime, de la justice et des médias, elle apporte un éclairage des plus enrichissants sur la série et sa spécialisation se révèle particulièrement utile pour mettre en lumière les rouages moraux de l’oeuvre, bien plus complexes que ce que l’on pourrait penser. Si Dexter ne fait aucunement l’apologie de la peine de mort ou de la justice personnelle (la saison 2 est en cela assez parlante, puisqu’elle démonte les réactions populistes face aux crimes du Bay Harbor Butcher), l’oeuvre de James Manos Jr sait jouer avec l’ambivalence que ressent inévitablement le spectateur : attachés au “héros” malgré ses crimes, on ne veut pas le voir périr, d’autant plus qu’il tue uniquement des tueurs avérés, qui s’en prennent à des innocents, rendant ses crimes plus facilement “acceptables”.

Et l’auteur d’analyser très finement comment le spectateur peut ainsi prendre du plaisir au spectacle, bien qu’il n’approuve pas les actes de Dexter. Anne-Claude Ambroise-Rendu étudie ainsi ce qui a fait le succès du personnage, cet alliage improbable de “super-héros” en mode dark (qui est mis en avant dans les dernières saisons, Dexter se tirant de manière assez peu crédible de situations inextricables), de tueur implacable et de bon frère et bon père de famille, avec des scènes beaucoup plus quotidiennes et réalistes.

image showtime dexter saison 8 dernière saison

Plus que l’esthétique de la série, c’est la dimension psychologique qui retient l’attention de l’auteure ici. Celle du personnage de Dexter bien entendu, mais également celle des personnages récurrents et, surtout, la dimension psychologique et par moments métaphysique qui se dégage des scénarios et arcs narratifs d’une saison à l’autre. Il est plus que conseillé d’avoir vu la série dans son intégralité avant d’entamer la lecture de cet essai puisqu’Anne-Claude Ambroise-Rendu s’intéresse également à sa fin et ses principaux développements. En plus de spoiler, notons surtout que la lecture de l’ouvrage pourrait s’avérer difficile pour quiconque n’aurait pas vu l’ensemble de la série puisque l’auteure ne perd pas de temps (et c’est tant mieux) à résumer dans le détail les diverses intrigues. Malgré sa grande clarté, le livre considère comme acquis que le lecteur potentiel a vu la série, ce qui laisse davantage de place à l’analyse pure et dure.

Dexter : Solitaire en série intéressera donc principalement ceux qui ont suivi Dexter d’un bout à l’autre et souhaitent mieux appréhender cette oeuvre-phare des années 2000-2010. L’essai permettra aussi peut-être à certains de réévaluer les dernières saisons, souvent critiquées, voire décriées. Si nous avions nous-mêmes été déçus par l’ultime saison des aventures du tueur en série, l’auteure, qui a fait le choix d’analyser sans toutefois proposer de jugement critique des différentes saisons, sait faire ressortir les enjeux au cœur de celles-ci, notamment en ce qui concerne les saisons 5 et 8. Le dénouement y est étudié en profondeur, ce qui nous donnerait presque envie de redonner une chance à la saison 8, qui a laissé un goût amer à plus d’un.

Enfin, comme toujours dans cette collection des éditions puf, le livre se lit facilement, le contenu est à la fois pertinent, documenté et accessible, et jamais lourd ou pesant. Après Friends : Destins de la génération X et un essai sur True Blood d’Alan Ball, la collection s’enrichit ainsi d’un volume éclairant qui tend une fois de plus à mettre en avant l’incroyable richesse des séries télé américaines.

Dexter : Solitaire en série d’Anne-Claude Ambroise-Rendu, Editions puf, 2015, 169 pages. 13 euros.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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