[Critique] La Nuit Du Jugement – Stephen Hopkins

image affiche la nuit du jugementCaractéristiques

  • Titre original : Judgement Night
  • Réalisateur : Stephen Hopkins
  • Casting : Emilio Estevez, Cuba Gooding Jr, Stephen Dorff, Denis Leary, Jeremy Piven, Peter Green
  • Genre : Thriller, Survival
  • Durée : 110 minutes
  • Sortie : 15 Octobre 1993 (USA)
  • Distribution : Universal Pictures

Critique

Quelle meilleure opportunité qu’un film signé Stephen Hopkins pour inaugurer notre catégorie “Ciné-Club” ? Car si nous n’aborderons certainement pas que des œuvres signées de réalisateurs sous-côtés, il est aussi vrai que nous ne nous gênerons pas pour rendre justice à certains auteurs injustement laissés sur le bord de la route pour des raisons plus ou moins douteuses. Ici, c’est sans doute le début d’une carrière quelque peu “à suites” qui aura desservi Stephen Hopkins, lui qui s’est fait les dents sur le cinquième Freddy, une véritable catastrophe scénaristique, mais encourageante niveau mise en scène. Puis, arriva le second Predator, un film d’action de qualité, malheureusement et inévitablement comparé beaucoup trop durement à son culte prédécesseur (McTiernan, on t’aime). Même si le talent honnête de Hopkins transpirait de ces œuvres, et que certains cinéphiles pointus signalaient les quelques qualités de Dangerous Game, sa toute première réalisation, il fut alors compliqué pour le bonhomme de redresser la pente, et de faire de son nom autre chose que celui d’un “yes-man” oubliable. C’est avec La Nuit Du Jugement, son quatrième long-métrage, que la carrière du metteur en scène prend le premier virage d’une carrière qui en comprendra plusieurs.

Le scénario est assez typique de ce qu’ont pu donner les années 90 : exposition efficace, intrigues et enjeux simples à capter, le tout servant un récit permettant au fondamental d’exister. Un schéma qui tend à disparaître depuis quelques années, et c’est bien dommage tant les fruits qu’il donnait ont été plus que juteux sur certains cas. La Nuit Du Jugement est sans conteste l’un de ceux-là, en proposant un survival urbain dans la plus pure tradition, fun et captivant. Frank Wyatt (Emilio Estevez) a vraiment envie de partir, avec Mike (Cuba Gooding Jr.), Ray (Jeremy Piven) et son frère John (Stephen Dorff), voir un match de boxe. Alors, et même si sa femme semble lui en tenir rigueur, lui reprochant de traîner avec de grands enfants, Frank prend la route avec sa bande, dans un camping car déniché par le débrouillard mais quelque peu carriériste Ray. Bien vite, ils se retrouvent bloqués sur une autoroute encore plus fréquentée que la porte d’Italie en pleine heure de pointe. Alors, la joyeuse troupe, désireuse de ne surtout pas rater le tant désiré pugilat, décide de prendre un chemin de traverse. Hélas, ils vont se rendre compte que tous les chemins ne mènent pas à Rome.

La Nuit Du Jugement débute tellement sur des chapeaux de roue que l’on se demande quelques temps si le film pourra réellement garder ce rythme tout du long. La réussite est telle qu’on ne peut que regarder la pochette de son DVD, acheté dans une obscure solderie au prix le plus bas possible, en se demandant ce qui a bien pu pousser l’œuvre dans l’oubli, voire, donc, le mépris des bacs impersonnels. Ce qui frappe de suite, c’est la maîtrise de Stephen Hopkins, qui nous sert des plans parfois surprenants de qualité. L’ouverture, au son d’une OST de grande qualité, mélange de groupes-stars du métal et du hip-hop, surprend par sa volonté de tout rendre clair, limpide, tout en osant des mouvements difficiles. Le spectateur, dès lors, est acquis à l’histoire, qui ne fait que renforcer l’impression grisante que donne La Nuit Du Jugement. Intelligemment, la mise en scène suit exactement l’état d’esprit du groupe, et si l’on est tout d’abord au cœur d’un entrain réjouissant, bien vite les événements vont plonger l’assistance dans l’horreur totale.

image stephenhopkins la nuit du jugement

La Nuit Du Jugement est un peu à l’image de la carrière de Stephen Hopkins : une suite de tournants, vers l’inconnu certes, mais surtout vers des aventures enrichissantes, au prix de bons gros coups dans la tronche. A l’image du camion de Jack Burton, le camping car de Frank et sa bande prend la tangente, pour atterrir dans un “autre part” ici beaucoup moins fantastique. Issu de ces lotissements typiques des banlieues américaines, les fameux trous pour classe moyenne, le quatuor se retrouve confronté aux bas-fonds, dans toute leur splendeur décadente typique du début des années 90, alors que Bill Clinton vient de récupérer des quartiers laissés à l’abandon par des années de “bushisme” dramatiques (économie en récession, hausse du chômage). Tout le sujet de La Nuit Du Jugement est là : mettre au pilori jusqu’au principe même de l’Amérique, la réussite par l’économie, au sein d’un pays on ne peut plus divisé en classes. Le camping car de luxe quitte son petit bonhomme de chemin pour rencontrer son équivalent obscur : Fallon (Denis Leary), sorte de parrain régnant sur un chaos social mis en scène dans une outrance divinement soutenue par un travail sur les décors assez phénoménal, à la limite de la ville fantôme typique des westerns.

Dès l’arrivée très marquante de Fallon, La Nuit Du Jugement récite tous les codes du survival avec une précision chirurgicale. L’on pourrait croire que ce classicisme serait difficilement tenable aujourd’hui, alors que notre époque déborde de cynisme, à tel point que peu de films de genre peuvent se vivre sans ce sourire en coin parfois lourdingue (pour rester poli). Il n’en est rien, car Stephen Hopkins réussit à captiver constamment l’émotion du spectateur, en sachant créer du danger juste ce qu’il faut, tout en trouvant dans les situations classiques de la sève dramatique pêchue et pleine de sens. La galerie de personnages secondaires rencontrée dans La Nuit Du Jugement est particulièrement réussie, et donne à l’ensemble un aspect désespéré juste assez étouffant pour ne pas, non plus, devenir top vulgaire, dégoulinant. L’on peut prendre en exemple la séquence du wagon, dans lequel la bande se réfugie pour échapper à Fallon et ses sbires. Le lieu est habité par des sans-abris, que l’on pourrait croire du côté des proies. Malheureusement, et de façon compréhensible, la réalité économique pousse l’être humain à agir de manière inconsidérée, et pour manger l’on est capable de tout.

image denis leary la nuit du jugementUn grand méchant réussi car bourré de sens, et bien aidé par un bras-droit interprété par le toujours irréprochable Peter Greene (mais si vous connaissez : le méchant de The Mask), situations très bien gérées, La Nuit Du Jugement est aussi une réussite quant à l’évolution de ses personnages. L’un des codes du survival est de faire passer un cap à son personnage principal, ici un groupe, raison qui fait de ce genre l’un des plus cinématographique que l’on puisse imaginer, car tout spectateur recherche à vivre un vécu. Délivrance, Chiens De Paille, The Descent, ces œuvres ont en commun de manipuler les archétypes, de prendre possession d’une figure classique et de l’emmener vers une transcendance qui peut aussi bien tirer vers le haut que vers le bas. En tout cas, le cheminement est tellement marqué que l’on quitte l’œuvre avec l’impression d’avoir progressé, d’avoir vécu quelque chose au plus profond, et c’est bien le cas de La Nuit Du Jugement. Frank va comprendre pourquoi il n’aurait jamais dû tenir tête à sa femme par exemple, mais le reste de la galerie ne sera pas en reste.

Évidemment, tout n’est pas parfait dans La Nuit Du Jugement. L’on peut notamment regretter une évolution un peu ratée chez Mike, pourtant très bien campé par Cuba Gooding Jr, mais dont on ne comprend pas vraiment la prise de conscience, pas assez emmenée. Autre petit accroc, si l’OST est bourrée de très bons morceaux, comme signalé plus haut, son utilisation n’est pas spécialement bien pensée. Le recours à deux genres musicaux aurait pu être intéressant pour caractériser les protagonistes et antagonistes, par exemple. Il n’en est rien, et finalement l’on trouve plus de plaisir à écouter les morceaux en-dehors du film, ce qui est un constat d’échec à ce niveau. Même le travail de Silvestri sur les thèmes n’est pas vraiment mémorable, à base de percussions un peu faciles. Cependant, ces retenues ne doivent absolument pas vous démotiver de faire, avec La Nuit Du Jugement, une belle découverte ou re-découverte, et surtout vous le faire ajouter aux “tops survival” auxquels il n’est, injustement, jamais invité.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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