[Critique] L’hitoire du Géant Timide : mon voisin Fusi

image affiche l'histoire du géant timideCaractéristiques

  • Réalisateur : Dagur Kari
  • Avec : Gunnar Jónsson, Sigurour Skúlason, Sigurour Karlsson
  • Distributeur : ARP Sélection
  • Genre : Drame
  • Durée : 94 minutes
  • Sortie : 24 Février 2016

Critique

La mode, ça s’en va, ça revient, c’est fait de tous petits rien… Parmi les dernières à avoir atteint le cinéma, le quasi-genre du “feel good movie” est l’une des plus persistantes. Et, parfois, l’une des moins convaincantes, tant certaines ficelles de ce type d’œuvres sont parfois tout bonnement insupportables. Se sentir bien, oui, mais encore faut-il pour cela ne pas prendre le spectateur pour un simple réceptacle à bonheur, notamment en lui proposant assez de matière pour qu’il puisse, de lui-même, atteindre le stade de la joie. C’est à ce prix que le spectateur “feel good”, et Dagur Kari, réalisateur de L’Histoire du Géant Timide, l’a compris mieux que quiconque.

L’Histoire du Géant Timide, c’est celle de Fusi (Gunnar Jonsson), 43 ans, qui vit toujours chez sa mère. Ce vieux garçon, grand et en surpoids, coule des jours qui pourraient sembler monotones aux yeux de beaucoup. Seulement, si Fusi, sous son épaisse barbe, ne prend pas son pied, il n’en est pas dépressif pour autant. Il vit, se contente de petites choses, de petits gestes, partage de bons moment avec un ami autour d’une passion commune pour la stratégie militaire, les grandes batailles de l’Histoire… Bref, Fusi vit, même si son quotidien est loin, très loin de l’image de la perfection qui nous est communiquée dans les campagnes de pub, de la part de gens pourtant prompts à parler de stéréotypes. Malheureusement, ce refus, conscient ou inconscient, de vivre dans une publicité pour parfums ou pour bagnoles, le géant la paye en brimades et marginalisation. Les autres hommes se moquent de son esthétique, et les femmes ne se bousculent pas au portillon pour vivre avec lui une romance. Seulement, petit à petit, la vie réserve des surprises à Fusi. Notre homme quelque peu timide va faire la rencontre d’Hera (Franziska Una Dagsdóttir), jeune enfant qui voit en lui une pureté jusqu’ici passée inaperçue. Aussi, alors qu’il est poussé à un cours de danse country par l’amant de sa mère, Fusi rencontre la pétillante Alma (Ilmur Kristjánsdóttir)…

image arp selection l'histoire du géant timide

L’Histoire du Géant Timide fait, notamment, une proposition de cinéma forte : analyser les comportements humains par le biais d’une figure vertigineusement juste. Fusi, pourtant, n’est jamais résumé à cette justesse, Dagur Kari arrive tout du long à éviter la prévisibilité de ses réactions, en réussissant à très bien capter l’ensemble des situations. Chaque personnage secondaire est l’occasion de se rendre compte de l’état de notre civilisation, ses bonnes et mauvaises évolutions. L’une d’elles, particulièrement parlante quant à la grande réussite du l’œuvre, est liée au rapport entre Fusi et la petite Hera. Un grand balourd, barbu, vieux garçon, bien gras, qui attire les rires d’une enfant ? Le spectateur ne peut s’empêcher de penser à tous les drames pédophiles que nous n’avons toutes et tous suivi dans les médias. Comme le père de l’enfant d’ailleurs, qui devient ainsi le reflet de nos propres à-priori. S’il n’est aucunement condamnable que de recommander la prudence, l’on peut aussi regretter de vivre l’époque de la méfiance tout azimut, celle-ci étant provoquée par l’inverse de ce que représente Fusi. Et pourtant, c’est bien lui qui va inspirer la méfiance, certes compréhensible mais injuste.

Un film d’une justesse inouïe

Ainsi, L’Histoire du Géant Timide porte une véritable vision du monde, comme tout film mais ici d’une exactitude qui confine au miracle permanent. L’origine islandaise de l’œuvre est peut-être une explication, le talent d’observation de Dagur Kari en est une autre, toujours est-il que le spectateur est constamment subjugué par ce que dégage le film, et son protagoniste principal. Si celui-ci réussit à être aussi touchant, émouvant, c’est aussi parce que l’écriture est d’une intelligence qu’on n’avait plus vue au cinéma depuis un bout de temps. Pas d’idéologies ici, pas de messages sociaux lourdingues. Pas de discours partisan, pas de leçons de morale. Fusi n’est que justesse, et n’agit jamais comme une pancarte de manifestant, humaniste ou non. Il fait ce qui est à faire, ce que tout le monde voudrait faire en fait. Mais avec une forme de pureté, d’innocence, qui donne cette impression paisible que l’on peut avoir en regardant certains films de Hayao Miyazaki. Fusi, c’est Totoro, ce personnage dont on sait que les épaules seront toujours assez larges, tout en n’étant pas décrit comme l’image du mâle parfait. S’en dégage un sentiment fort d’espérance, d’ailleurs très bien résumée par Francis Ford Coppola lui-même, grand adorateur du film : “Si tout le monde était comme lui, le monde serait merveilleux“.

image gunnar jonsson l'histoire du géant timide

Malheureusement, tout le monde n’est pas Fusi, et L’Histoire du Géant Timide est un film conscient de son époque. Ainsi, certaines séquences sont de vrais crèves-cœurs. Cette ambiance morose, du monde qui nous entoure et qui nous attend à la sortie de la salle, se retrouve dans le choix des décors, qui enferment l’œuvre dans une atmosphère très loin de ce que l’on peut s’imaginer de l’Islande. Aéroport, déchèterie, panoramas gâchés par des engins de construction, couleurs ternes, on est bien loin de la carte postale à la Björk. L’effet est payant, car si nous sommes ainsi au contact du pays comme rarement, le tout détonne avec le personnage de Fusi, lui-même d’aspect pâle, mais jamais tristounet grâce à son rayonnement intérieur. C’est ici une grande réussite de Dagur Kari : réussir à capter l’âme au plus profond, malgré toutes les embûches imaginables que la vie se charge de nous imposer. Le réalisateur est bien aidé par un Gunnar Jonsson sidérant tout du long. L’acteur, véritable révélation, mise tout sur le ressenti, ne s’abandonne jamais à la facilité du jeu exacerbé. Un simple geste de sa part parle énormément. C’est à l’image du film qui, en réussissant à décrire la personnalité profonde de son personnage, parle aussi au plus profond des spectateurs.

Il y aurait tant à dire encore sur L’Histoire du Géant Timide. L’intrigue réserve bien des épreuves, que nous vous poussons (ndlr : de toutes nos forces !) à découvrir par vous-même. Et ce jusqu’à un final absolument génial et marquant, qui termine de démontrer la pertinence émouvante de ce qui anime Fusi. Chacune des séquences du film contient assez de cette puissance pourtant peu mise en exergue par la réalisation, d’une justesse à toute épreuve. Le film réussit à nous donner, l’espace de sa durée, une impression fascinante de bien-être, mais pas en la cherchant. Fusi est un héros, loin, très loin des modèles américains, qui se prétendent de plus en plus “dé-stéréotypés” mais de plus en plus éloignés de ce qui fait la profondeur d’un être humain. Ah, si l’homme de la rue pouvait être comme Fusi ! Ah, si L’Histoire du Géant Timide pouvait attirer autant de spectateurs que certains blockbusters !

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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