Caractéristiques
- Titre : Calmos
- Réalisateur(s) : Bertrand Blier
- Avec : Jean-Pierre Mariel, Jean Rochefort, Bernard Blier, Brigitte Fossey, Claude Piéplu...
- Genre : Comédie
- Pays : France
- Durée : 107 minutes
- Date de sortie : 11 février 1976
- Note du critique : 7/10 par 1 critique
Cette semaine dans le Ciné-Club, on débute en invoquant une œuvre récente. Et un film de super-héros en plus ! Deadpool, que nous avons très moyennement apprécié par ailleurs, est sorti voilà quelques jours, et vous avez sûrement entendu un ami, à son propos, certainement posé sur un canapé d’un de ces ignobles Starbucks : « c’est transgressif ! ». C’est en réaction à cette poussée de rébellion subite, au sein de l’époque la plus politiquement correcte côté cinéma, que l’on a décidé d’approcher un film véritablement incorrect, choquant, qui se ferait descendre en flammes par les mêmes qui voient dans le type en collant de chez Marvel, la bouche en cul-de-poule, un anti-héros. Cette œuvre, c’est Calmos, de Bertrand Blier.
Dans Calmos, Paul Dufour (Jean-Pierre Marielle) et Albert (Jean Rochefort) n’en peuvent plus des femmes. Pour souffler un peu, loin des envahissantes matrones, les deux hommes s’échappent, direction la campagne. Dans un petit et charmant village, ils trouvent un refuge, et débutent alors une cure de repos et de boustifaille, sans l’ombre d’une fille aux alentours. Voisins d’un curé (Bernard Blier), lui aussi adepte de la bonne chair, les deux fugitifs sont loin de s’imaginer que, en ville, est en train de se tramer une réaction des plus violentes. Les femmes, délaissées, n’en peuvent plus, et s’organisent pour forcer les hommes à remplir leurs devoirs conjugaux…
Bertrand Blier, le genre d’auteur que l’on n’imagine absolument pas dans le cinéma actuel. Le réalisateur, derrière Les valseuses, Buffet Froid ou Tenue de Soirée, n’est pas du genre à donner dans la dentelle, les froufrous, les collants de Superman et autres Avengers. Non, ses films sont du genre pensés pour grattouiller, démanger fortement en fait, quitte à se mettre à dos les maîtres du Temple actuel. Parmi ses films notables, Calmos est sans aucun doute le plus infaisable aujourd’hui, alors qu’une vanne sexiste sur Twitter provoque des réactions à la limite du fascisme, inversement aux valeurs soit-disant défendues.
Un film infaisable aujourd’hui
Pour bien comprendre Calmos, il faut avant tout le re-situer dans la réalité de son époque. Nous sommes en 1976, la femme a été libérée pour aller au boulot, et Bertrand Blier sort des Valseuses, film culte qui lui aura valu un torrent d’insultes (la revue Écran qualifiait l’œuvre de « film authentiquement nazi« ). Seulement, la presse d’alors ne connaissait pas encore le fils Blier, misanthrope au possible, et loin de servir la soupe aveuglément aux « soixante-huitards ». Ainsi, quand Calmos arrive il fait l’effet d’une bombe qui explose tout : les jeunes, les religieux, les réactionnaires, les babas cools. Alors que le jeune public s’était fait à l’idée de s’être trouvé un allié, voilà que ce qui est déversé pendant plus d’une heure et demie n’est que méfiance des valeurs en vogue, et ce jusqu’à aujourd’hui.
Évidemment, tout n’est pas à prendre au premier degré dans Calmos, Bertrand Blier étant l’ancêtre des trolls au bout du compte. L’exagération est de mise, afin de laisser au spectateur la possibilité de rire, mais derrière ce vernis, Blier s’adonne à une fine et méthodique observation. Non pas de la femme finalement, mais des conséquences d’une libération de la femme pensée par le seul prisme de la sexualité. C’est cette façon d’aborder les choses, les retombées, qui fait de Calmos un film totalement infaisable aujourd’hui, car le film frappe assez juste pour trouver un écho aujourd’hui.
Tout ceci est parfaitement démontré dès les premiers instants de Calmos. Le premier plan du film montre quelques femmes, qui attendent leur tour pour rentrer dans le cabinet du gynécologue Paul Dufour, parfaitement interprété par un Jean-Pierre Marielle suintant le ras le bol. Les patientes, certes libérées, sont d’un ennui infini, lisent des revues crétines, dans un silence qui, finalement, ne change pas beaucoup de celui dans lequel elles étaient plongées avant la révolution sexuelle. Une constatation fine, qui tranche avec la séquence qui suit, au sein du cabinet, alors que Paul Dufour préfère manger une tartine de pâté, arrosée d’un verre de vin, plutôt que de regarder le vagin exposé vulgairement, sans une once de classe, par l’odieuse patiente.
Une lecture pertinente de l’évolution des mœurs
Fort de café, cette introduction de Calmos n’est qu’un tout petit aperçu de ce qui suit. On relève tant de passages impossibles ne serait-ce qu’à imaginer aujourd’hui, que l’on se prend à se pincer, un gros rictus bien dessiné. Chaque seconde de ce film est le souffle poussé par un enfant terrible sur des bougies allumées par une mère attentionnée. On imagine sans mal une certaine partie du mouvement féministe brûler les bandes de l’œuvre, ou du moins les interdire, les faisant rejoindre leurs collègues de chez Promouvoir, les ciseaux entre leurs dents acérées. Les répliques cultes s’enchaînent à un rythme élevé, d’ailleurs le travail à l’écriture du duo composé par Bertrand Blier et Philippe Dumarcay est aussi remarquable à ce niveau.
Calmos, mine de rien, aborde un sujet bien plus sensible que ce que le politiquement correct d’aujourd’hui, le féminisme, peut laisser croire. Oui, les hommes peuvent en avoir un peu marre du rapport au sexe excessif. Non, chaque homme ne ressent pas, avant tout, le besoin de s’acoquiner à une femme (ou un homme) pour réussir dans la vie, ni même pour assouvir un besoin qui n’a plus rien de naturel dès qu’il devient une norme (le fameux « et toi, combien de fois pas semaine ?« ). Calmos va encore plus loin. Avec une pertinence étonnante, le film dresse un parallèle entre la femme sexuellement libérée et… la religion, à travers une séquence drôlissime entre les deux fugitifs et deux religieux délirants et ridicules. Cette consommation du sexe, pour en revenir à elle, dérive d’une délivrance de façade, n’a rien à envier au fameux devoir conjugal, qui est simplement passé de la Bible au Code Civil.
Avec Calmos, Blier est visionnaire. Le film tourne quasiment au survival, avec ces hommes qui se retrouvent à tous fuir leur quotidien, quitte à ce que certains se retrouvent dans la marche juste pour suivre bêtement le mouvement. Séquence magnifique, où le personnage incarné par Gérard Jugnot dit : « Moi, quand je vois une marche je la suis, j’suis libre, j’ai l’droit« . De là à faire un parallèle avec les manifestations émotives, et peu réfléchies, et autres rassemblements imprudents post-attentats… Mais surtout, c’est la réaction des femmes face à la fuite des hommes qui interpelle. C’est évidemment exagéré, et voir ces filles prendre les armes, jusqu’aux tanks, pour reconquérir et dominer l’homme, est évidemment un ressort comique. Seulement, il est impossible de ne pas être abasourdi devant une pertinence telle que son écho nous atteint aujourd’hui, alors qu’une Furiosa, dans Mad Max Fury Road, piétine l’homme pour mieux viser avec son fusil.
La domination n’a pas de sexe
Calmos est un cri, un hurlement pour une liberté totale, pas délimitée par une idéologie, un lobby. Mais toujours par le biais de la blague, comme tout ce passage où les hommes sont drogués, leur sexe grossi par traitement hormonal étant maintenu en érection pour assouvir des besoins féminins dépassionnés. Le film dénonce le fascisme qui se cache derrière les jolies intentions, ce qui peut rapprocher le film d’Orange Mécanique. Impossible de ne pas penser à la séquence de la relation sexuelle accélérée, où Kubrick annonce la consommation du simple corps, qui déshumanise les âmes au final. Calmos en vient à la même conclusion, et il suffit de vivre aujourd’hui pour savoir à quel point nous prenons le chemin dessiné par les deux auteurs cités.
Cependant, Calmos se termine sur une note assez intéressante. Il est clair que les personnages masculins ont beau être attachants, ils ne sont pas pour autant des modèles pour l’homme. Le film n’est absolument pas misogyne, mais dénonce une incompréhension entre les sexes qui ne peut qu’aboutir à une perte de repères assassine pour nos relations. Rien, ici, ne dit que l’homme est supérieur à la femme, et ce même si cette dernière est, elle, décrite comme facilement fascisante. Calmos, c’est l’impossibilité des hommes à comprendre les femmes, mais aussi la possibilité que celles-ci aient moins à donner qu’un bien-être simple, entre amis. Alors que les extrémistes d’aujourd’hui ne cessent de fantasmer une passation de pouvoir, du patriarcat au matriarcat qui, au bout du compte, ne donnera qu’une nouvelle forme de domination. Blier, comme tous les vrais êtres épris de liberté, ne veut ni de l’un ni de l’autre.
Impossible de terminer sans aborder la séquence finale de Calmos, assez édifiante, et surtout complètement barrée. Paul Dufour et Albert, vieux et en perpétuelle fuite, trouvent refuge, une fois rapetissés à cause d’un étrange orage… dans un vagin, perdus à jamais dans ce que même le doc’ Emett Brown qualifie de plus grand mystère de la vie : les femmes. Totalement infaisable aujourd’hui, Calmos va tellement loin qu’il est difficile de tout suivre. Mais son humour plus que grinçant est un véritable rafraîchissement pour qui a malheureusement vérifié que non, il ne suffit pas de mettre un collant rouge et de balancer des vannes débiles pour être transgressif…
https://youtu.be/HL-eGE-1gns