[Critique] Le Repaire du Ver Blanc – Ken Russell

Caractéristiques

  • Titre original : The Lair of the White Worm
  • Réalisateur(s) : Ken Russell
  • Avec : Hugh Grant, Amanda Donohoe, Catherine Oxenberg...
  • Genre : Horreur
  • Durée : 93 minutes
  • Date de sortie : 10 Mars 1989 (Royaume-Uni), 15 Mars 1990 (France)

Nous avons récemment abordé Ken Russell et son œuvre la plus cinglée : Les Jours et les Nuits de China Blue. Mais ce réalisateur anglais est tellement intéressant que nous ne pouvions passer sous silence l’un de ses films les plus bizarroïdes, très souvent décrit comme l’un de ses plus mauvais, ou tout du moins le point de départ d’une déliquescence artistique assez indéniable. Une réputation peu glorieuse, et étrangement unanime sur les Internets, qui ne se vérifie que partiellement tant Le Repaire du Ver Blanc réunit tout ce qui fait la patte Ken Russell.

Le Repaire du Ver Blanc adapte l’un des romans les plus connus de Bram Stoker, en dehors de Dracula bien évidemment. L’histoire se concentre sur Lord James D’Ampton (Hugh Grant), qui vient d’hériter d’un immense château familial. Celui-ci est situé non loin d’un autre manoir, celui de l’étrange et quelque peu sexy Lady Sylvia Marsh (Amanda Donohoe). Alors que James, accompagné de ses amis archéologues, visitent les lieux, des disparitions alarmantes se font signaler. Mais aussi un vol, celui du crâne d’une espèce inconnue, découvert tout récemment et qui jouerait un rôle dans une cérémonie ancienne vouée à un monstre légendaire se terrant sous l’endroit.

Le Repaire du Ver Blanc n’est pas une adaptation fidèle du roman de Bram Stoker, et ce n’est pas étonnant de la part de Ken Russell, qui réalise mais adapte aussi le scénario. Le metteur en scène des Diables n’a que faire des thèmes du roman, lui ce qu’il veut c’est en découdre avec son ennemi intime : la religion chrétienne. C’est là un problème de l’œuvre de Russell, tant ces attaques peuvent faire l’effet d’une démarche monomaniaque, et dans Le Repaire du Ver Blanc ça ne fit pas l’ombre d’un doute : le but est de déglinguer, mais sans véritable objectif. En fait, le réalisateur utilise la situation, ainsi que le bestiaire, pour mieux provoquer un parallèle pas du tout subtile avec le poème biblique d’Adam et Eve, un personnage féminin portant d’ailleurs ce prénom.

C’est vulgaire, c’est kitsch, c’est Ken Russell

image ken russel le repair du ver blanc

Ce n’est pas subtil pour un sou, et Le Repaire du Ver Blanc verse carrément dans la vulgarité au détour de certaines séquences, on pense notamment à ces flashs assez immondes, dont les images tentent de retrouver la portée scandaleuse des Diables, sans pour autant en avoir le sens. Des nonnes violées par des Romains, le tout dominé par une croix prise d’assaut par le fameux ver blanc, ça doit se justifier autrement que par un “simple” dégoût de la religion. En fait, on sent que Ken Russell prend un peu son film par-dessus la jambe, du moins en partie. Car des poussées de génie se font sentir ici ou là et surtout, c’est là le drame, quand l’œuvre se prend au sérieux. Le film, qui n’hésite pas à se tourner totalement vers le genre de l’épouvante à l’anglaise, avec une touche gothique très marquée, est aussi l’occasion pour le metteur en scène de s’adonner à son petit plaisir personnel : le sens par l’image.

On pense notamment à cette excellente séquence de rêve, dont le sens nous explose au visage, tout en travaillant le côté obsédé de Ken Russel. Alors certes, ce n’est pas finaud, voir Hugh Grant lever le stylo comme une érection devant un combat de femme grossier, ça ne dépasse pas le stade du comique le plus gras. D’ailleurs les allusions sexuelles font plus penser à des parenthèses paillardes qu’à des réflexions philosophiques. Mais, en même temps, de qui parle-t-on ? Ken Russell n’a jamais abordé ses thèmes avec le dos de la cuillère, on l’a vu avec Les Jours et les Nuits de China Blue. Ce ton, très franc du collier et sans aucune subtilité, ne peut pas être du goût de tout le monde. Mais le propre du réalisateur n’est-il pas d’être clivant au possible ? Si vous cherchez la retenue, la préciosité, vous êtes au mauvais endroit. D’ailleurs, précisons que la VF est une honte, qui fait passer le spectateur à côté de dialogues parfois étonnamment drôles.

Le Repaire du ver Blanc est-il volontairement comique ? Oui, sans aucun doute, Ken Russel s’amuse clairement au détour de certaines séquences. Il faut voir Angus, portant le kilt, attirer l’un des serpents d’apparence humaine à l’aide d’une cornemuse. Une telle scène ne peut pas avoir été tournée sans l’aide de produits hallucinogènes, et c’est une remarque que l’on se fait à plusieurs reprises. Le récit n’avance pas spécialement vite, et les problématiques secondaires ne passionnent guère, et pourtant on ne peut s’empêcher de se demander ce qui peut arriver par la suite, tant le spectateur sent que Russell peut à tout moment péter une durite. Et, finalement, c’est un peu ce qui caractérise tout le cinéma de cet auteur : la création de l’envie transgressive. En cela, il est étrange de tomber sur Le Repaire du Ver Blanc, qui ne démérite pas… quitte à atteindre un certain degré dans la grossièreté.

Un délire hallucinogène assumé

image le repair du ver blanc

Par contre, il ne fait aucun doute que le budget serré atteint la mise en scène de Ken Russell, qui nous a habitué à plus audacieux. La lumière, notamment, fait les frais de cette production limitée. Pourtant, certains moment typiquement horrifiques s’en sortent plutôt bien, à l’échelle de la bisserie bien entendu. Le final du Repaire du Ver Blanc, notamment, fonctionne correctement, avec une gestion du suspens tout à fait honnête. Le problème est cette alternance entre le délire assumé, et les images parfois troublante, voir violentes, qui rappellent que l’on fait face à l’adaptation d’un livre classé “terreur”. C’est une démarche pas spécialement payante, mais c’était inévitable tant l’on sait ce qui anime Russell, cette envie ininterrompue de se foutre des codes.

Au final, Le Repaire du Ver Blanc n’est pas l’ignoble nanar décrit ici ou là. Enfin, il l’est, mais pas que, tant on y retrouve ce qui fait le sel d’un film de Ken Russell. Le spectateur averti, qui sait où il met les pieds, ne peut pas s’étonner de certaines séquences frappadingues, tandis que le novice va devoir s’accrocher à son siège. Si l’on recommande plutôt Les Diables pour commencer la découverte du cinéma de Russell, débuter par Le Repaire du Ver Blanc est tout de même l’assurance de faire connaissance avec ce qui fait son style : l’irrévérence, le kitsch et la vulgarité.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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