[Critique] Hiruko The Gobelin – Shinya Tsukamoto

Caractéristiques

  • Titre original : Yôkai hantâ: Hiruko
  • Réalisateur(s) : Shinya Tsukamoto
  • Avec : Kenji Sawada, Masaki Kudou, Hideo Murota...
  • Genre : Fantastique
  • Pays : Japon
  • Durée : 89 minutes
  • Date de sortie : 11 mai 1991

Les cases. Les belles petites cases. Depuis quelques mois, et le débarquement sous nos latitudes d’un mode de pensée qui adore nous classer selon nos attirances sexuelles, voire notre moi profond, nous adorons nous trouver une place dans un groupe. Certains parlent d’américanisation de la société, mais à la vérité nous en sommes plus à une “japanisation”, si l’on devait se lancer dans ce genre de considérations foireuses. D’ailleurs, et si ce début d’article est à lire sur le ton de la drôlerie, nous sommes tous très aptes à la catégorisation. Il faut que nous sachions vers où l’on va, à qui l’on s’adresse, ce qui peut se comprendre au demeurant dans une société sédentarisée. Mais ce réflexe humain, enfin plutôt d’une partie de l’humanité, enferme la créativité, empêche tout esprit aventurier et, pire, a tendance à provoquer des jugements à l’emporte-pièce.

C’est ce qu’a pu vérifier le génial Shinya Tsukamoto, avec son deuxième film : Hiruko The Goblin. Après un Tetsuo qui a retourné le cinéma underground mondial, devenant avec le temps l’un des films les plus cultes de l’Histoire du cinéma, Tsukamoto était attendu au tournant. Les accrocs à l’univers cyberpunk n’en pouvaient plus de voir venir le prochain film de cet auteur surdoué, qui ne pouvait qu’être une sorte de Tetsuo amélioré. Quelle ne fut pas la déception de cette masse indicible, ces cinéphiles du dimanche qui n’en pouvait plus de savoir exactement ce à quoi ils auraient droit ! Sauf qu’ils découvrirent non pas Tetsuo 2 (ça, ce sera pour 1992) mais Hiruko The Goblin, l’adaptation d’un manga : Yôkai Hantâ Kairyûmatsuri no Yoru, par Daijiro Moroboshi, une sommité dans le genre. Le film, une commande du studio Shochiku, chez qui Shinya Tsukamoto était sous contrat, a de suite était classé comme œuvre mineure dans la carrière de son réalisateur. On a tout entendu, lu, et pas mal d’âneries (non, Tsukamoto n’a absolument pas renié le film, au contraire il l’adore), mais peu ont vraiment laissé exister le film par lui-même. Car si c’était le cas, il serait évident qu’on lirait beaucoup plus que Hiruko The Goblin s’inscrit complètement dans des thématiques “tsukamotesques”.

Hiruko The Goblin s’intéresse à Reijiro Hieda (Kenji Sawada), archéologue mal vu de ses pairs pour ses croyances en des forces obscures. Il est contacté, via un courrier, par Takashi (Naoto Takenaka), un de ses amis professeurs qui lui apprend qu’il a découvert une effrayante crypte qu’il soupçonne de renfermer des démons infernaux. Afin de prouver à tous qu’il n’est pas fou, Reijiro fonce sur les lieux, et trouve… une école, mais pas de traces de son ami. Menant l’enquête, il va suivre les traces de Takashi et comprendre que ce dernier a disparu depuis quelques temps, en compagnie d’une élève du nom de Reiko (Megumi Ueno). Recherchée aussi par Masao (Masaki Kudou), fils de Takashi, le duo va se lancer dans une aventure paranormale, aux prises avec Hiruko, que le livre mythique Kojiki décrit comme la première entité créée par les dieux puis reniée pour sa férocité qui n’a d’égale que sa difformité, monstrueuse…

Mal aimé, je suis le mal aimé

image photo hiroku the goblin

On sent qu’après un Tetsuo très reconnu (et deux courts-métrages très éprouvant avant d’accoucher de son premier film), Shinya Tsukamoto avait un grand besoin de souffler. Pas spécialement pour aborder autre chose que ses thèmes, mais pour s’accorder une vision du monde moins nihiliste, tout en se faisant plaisir avec une histoire plus légère. Enfin, légère… Mettons plus fun, en tout cas. Car si Hiruko The Goblin n’a pas remporté le succès d’estime escompté, c’est sans aucun doute pour son traitement horrifique loin de faire place nette à l’épouvante totale. Non, le film est plus une sorte de mélange très savoureux : un peu de Ghostbusters, et une pincée d’Evil Dead. Pour la première référence, elle est évidente, tant le personnage de Reijiro Hieda, armé d’une sorte d’engin qui permet de mesurer l’approche d’un Yôkai (fantôme japonais, on reviendra un jour sur ce pan important de la culture japonaise), semble tout droit sorti du film d’Ivan Reitman. Reijiro, dont les réactions face aux phénomènes sont aussi drôles que celles du quatuor new-yorkais, est d’ailleurs l’une des grandes réussites d’Hiruko The Goblin tant on ne peut que se faire du mouron pour son devenir, lui qui semble vraiment ne pas être fait pour le terrain.

Evil Dead est l’autre référence évidente, tant Shinya Tsukamoto réutilise les plans-signatures du film de Raimi (la caméra-mobilette). C’est uniquement formel, encore que les deux œuvres ont en commun de ne pas être des films d’épouvante pure, mais l’énergie qui se dégage de ce visuel, certes éloignée de la folie furieuse de Tetsuo, doit beaucoup aux aventures de Ash. Le mélange est étonnant, surtout qu’il est indéniable que l’auteur aux commandes reste la référence première. Hiruko The Goblin nous décrit une monstruosité qui mérite sa qualification, tout droit sortie de la séquence de réanimation de The Thing. Vous voyez, quand la tête du monstre se décroche, que l’entité se construit des pattes pour se faire la malle sous les yeux horrifiés et impuissants de l’équipe ? Eh ben là c’est pareil, et le réalisateur peut, grâce à cette figure horrifique très peu ragoûtante, mettre en place un rapport entre les potentielles victimes et ces araignées à tête humaine. Ce rapport à la transformation, la peur qu’elle provoque, ça ne vous rappelle pas le thème principal chez Shinya Tsukamoto ? Autre emprunte de la patte du metteur en scène, ces visages incroyablement malsains et douloureux, gravés en relief sur le dos de Masao au rythme des morts de ses connaissances, comme une malédiction inexorable. Outre que l’aspect de la chose fait froid dans le dos, on est clairement dans le thème de la transformation des corps, dictée par l’environnement de celui-ci. Hiruko The Goblin s’inscrit parfaitement dans les questionnements du réalisateur.

Des thématiques d’auteur dans un spectacle énergique

image shinya tsukamoto hiroku the goblin

Mais certes, on ne peut pas nier que Hiruko The Goblin n’est pas aussi jusqu’au-boutiste, chargé en symbolisme que Tetsuo. Tsukamoto n’en a pas envie, il s’amuse à explorer non pas la légèreté, mais l’espoir. Car l’œuvre est fondamentalement optimiste, même si la quasi totalité du métrage montre les personnages aux prises avec une entité bien énervée. C’est très gore, une tête arrachée provoque un geyser d’hémoglobine, mais l’on sent bien que le but, le ton, est plus de l’ordre du Grand-Guignol que de la frayeur pure. On s’amuse beaucoup, tout en étant toujours aussi admiratif du caractère de la mise en scène : ça court, ça hurle de peur, c’est inventif et ça ose un éclairage bien barré (et justifié, notamment par la lumière rouge de l’outil anti-Yôkai). Alors certes, on ne fait pas face à une œuvre qui porte un regard désabusé sur notre monde, et l’on peut regretter cette toute fin absolument hideuse et risible, que nous vous laisserons découvrir pour plus de plaisir coupable, mais de là à faire de Hiruko The Goblin une bouse, un film de commande impersonnel, faudrait pas pousser papi dans les pissenlits.

On aurait tort de passer à côté du plaisir simple, mais loin d’être simpliste, proposé par Hiruko The Goblin. Le film, bourré de qualité, est l’exemple typique d’œuvres à réhabiliter, tant le “bad buzz” dont il fut la cible au moment de sa sortie était clairement exagéré, et provoqué pour des raisons assez insupportables. Avec son ambiance aussi survoltée qu’étrangement drôle, son bestiaire qui donne un tout petit mais véritable aperçu de ce que peut être un Yôkai, Hiruko The Gobelin est un vrai plaisir cinéphile, et un film 100% Shinya Tsukamoto. Et toc !

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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