Caractéristiques
- Titre : Demon Slayer : Le train de l'infini
- Titre original : KIMETSU NO YAIBA
- Réalisateur(s) : Haruo Sotozaki
- Distributeur : CGR Events
- Genre : Anime Shonen – Dark Fantasy
- Pays : Japon
- Durée : 1h56
- Date de sortie : 19 mai 2021
- Note du critique : 6/10 par 1 critique
Il ne faut pas s’y tromper : Demon Slayer est l’adaptation d’un manga papier qui est la plus forte vente de manga en 2019 et 2020 au Japon. Sa côte de popularité n’a cessé d’augmenter en Europe et il n’est pas étonnant que le film Demon Slayer : Le train de l’infini, bien qu’étant la suite directe de la série d’anime, fonctionne aussi très bien chez nous. En effet, même si vous ne connaissez pas la série, le film peut très bien se voir indépendamment.
Petite note de contexte pour ceux qui n’auraient pas suivi le manga ou la série animée
L’histoire est celle d’une bande d’adolescents (3 +une pour être exacts) qui, en pleine ère Meiji (le 19e siècle, où le Japon se modernise et tourne le dos à ses coutumes ancestrales, celles des samouraï et des kimonos, pour s’industrialiser et s’occidentaliser), ont été formés pour être des guerriers tueurs de démons à l’aide d’un bon vieux katana (l’arme des samouraïs) et d’une bonne dose de magie des éléments (avec parfois des combinaisons amusantes des éléments pour donner un peu de fun à tout cela).
Une première explication s’impose ici sur ce qui, dans l’univers d’un manga japonais, est traduit par démon. Un démon, c’est tout simplement une créature surnaturelle qui utilise la magie et par définition n’est pas (ou plus) humain, rien de plus, rien de moins. D’ailleurs, les jeunes héros sont eux aussi devenus des utilisateurs de magie et par la même mettent un pied dans cet univers surnaturel, renonçant à une partie de leur humanité. C’est d’ailleurs un des thèmes principaux du manga, très peu exploité dans le film : le combat du héros pour rendre son humanité à sa jeune sœur transformée en démons (elle s’appelle Nezuko, il s’appelle Tanjiro)…
Dans Demon Slayer, on remarque vite que les démons dont il est question sont des déclinaisons du mythe des vampires (version Bram Stocker ou plutôt Anne Rice), ils vivent la nuit, meurent au soleil, seul un démon surpuissant peut en créer d’autres (et surtout le premier d’entre eux qui aurait mille ans d’âge), plus ils sont nourris par le sang, des humains comme celui d’autres démons, plus ils sont puissants… Bref, vous l’aurez compris, des vampires pur jus (si j’ose dire).
Revenons sur l’histoire de Tanjiro (tout parallèle avec le parcours des grands héros mythologiques n’est évidemment pas fortuit) :
Tanjiro est pauvre, c’est l’ainé d’une fratrie de 6 enfants (il a 3 frères et 2 sœurs) dont le père est mort. Il assume donc le rôle de “chef de famille” en maintenant l’activité de vendeur de charbon. Un soir d’hiver qu’il tarde à rentrer car sa gentillesse lui fait rendre service à tout le village, l’ensemble de sa famille se fait massacrer (une vraie boucherie, série déconseillée pour le jeune public), sauf l’ainée de ses 2 sœurs qui, elle, a eu le privilège d’être nourrie avec du sang de démon, la transformant de fait elle-même en démon…
Mais leur amour fraternel est tel qu’elle ne peut se nourrir du sang de Tanjiro quand il la découvre. Elle deviendra alors un démon rarissime : les démons qui contrôlent leurs pulsions et ne se nourrissent pas de sang humain. Tanjiro jure alors de tout faire pour que sa sœur redevienne humaine, partant loin de son village à la recherche d’une troupe d’élite non gouvernementale qui pourrait l’aider à y comprendre quelque chose : les Demons Slayers. Il les rejoindra pour pouvoir retrouver la source qui a contaminé sa sœur, le premier des démons, l’infâme Muzan Kibutsuji.
Retour à la suite sur grand écran : Le train de l’infini
De ce thème majeur pour la série, la grande quête de Tanjiro pour sauver sa sœur, on ne perçoit que des bribes dans le film Le train de l’infini. Alors que reste-t-il ?
Eh bien, cette suite développe le thème des Lunes démoniaques, les 12 premiers lieutenants du grand méchant et de leur combat face aux Piliers, la version Tueur de démon de l’ultime guerrier représentant d’un élément, bref le miroir des lunes et leurs Nemesis.
Une métaphore de la destruction de la société féodale japonaise
Demon slayer, tout comme ses ancêtres adressant le même thème, Kenshin “Le Vagabond” et “Le Dernier Samouraï”, nous parle de la terrible déchirure qu’a constituée pour le Japon rural l’arrivée de l’ère moderne. A la manière d’une Comédie Humaine (Balzac) asiatique, nous voyons la déchirure entre la modernité des villes ayant intégré la technologie et le désœuvrement des campagnes vivant encore traditionnellement. Les démons sont l’incarnation de cette lutte, qui est toujours présente pour le Japon contemporain, terre de technologies et de traditions. Les démons sont une excuse pour permettre à la tradition de perdurer (les samouraïs sont les seuls à pouvoir les combattre..) mais aussi de se mettre au niveau de la puissance de la technologie, par la magie.
Le train, où va se passer toute l’action, passe donc sans arrêt d’objet de fascination à repoussoir dangereux, selon qu’il est piloté par les humains ou détourné par les démons. On est donc dans un train fou, lancé à toutes vapeur, où les héros vont vivre et lutter pour leur vie, en tentant de préserver celle des passagers (on serait presque dans un film de Steven Seagal non ?).
L’autre petite pépite du film, c’est la capacité qu’a développé la lune démoniaque qui s’en prend au train. En effet, elle pratique la magie des rêves, emprisonnant les héros (et tous les passagers) dans un rêve éveillé (on est en plein Inception) qui serait leur monde idéal, les enjoignant ainsi à ne surtout pas sortir du rêve pour ne pas briser ces instants parfaits et le bonheur qu’il leur procure. C’est ainsi l’occasion de développer la personnalité des héros et de brosser plus finement le portrait de qui ils sont et de pourquoi (ou pour qui) ils se battent. C’est une belle trouvaille et elle est parfaitement menée.
Le reste n’est que grosse baston et ressort scénaristiques façon deus ex machina pour faire rebondir les combats et en mettre plein la vue en effets spéciaux – ça défoule, mais ça ne nourrit pas plus que ça.
Alors, pourquoi un tel engouement ?
J’ai été moi-même surpris de découvrir que ce film avait fait plus d’entrées au Japon (mais aussi par chez nous) que Le voyage de Chihiro, précédent record du box-office et magnifique film empreint de douceur et de poésie, racontant lui aussi un voyage initiatique au cœur des traditions japonaises. Demon Slayer tape plus dur, il est plus rugueux. Il permet, je pense, à travers une période très dure pour les Japonais, de parler à tous ceux qui vivent une nouvelle ère de transformation technologique qui révolutionne le quotidien et met encore un peu plus à mal les traditions si chères au cœur des Japonais, peuple vieillissant qui voit sa jeunesse lui échapper (à tous les sens du terme).
L’animation est très bien faite et les séquences en 3D hyper bien intégrées, mais on n’est pas au niveau de la poésie des studio Ghibli. Il faut donc peut-être aussi y voir un retour en force de la Pop Culture dans ce nouveau monde où les dangers bactériologiques côtoient de près ceux de la technologie 4.0…