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[Critique] The Strangers : le film le plus « mad » de l’année

Caractéristiques

  • Titre : The Strangers
  • Titre original : Gok-seong
  • Réalisateur(s) : Na Hong-Jin
  • Avec : Kwak Do-Won, Hwang Jeong-min, Chun Woo-hee
  • Distributeur : Metropolitan FilmExport
  • Genre : Thriller, Horreur
  • Pays : Sud Coréen
  • Durée : 2h36
  • Date de sortie : 6 juillet 2016
  • Note du critique : 9/10

Un retour très attendu

Prononcer le nom de Na Hong-Jin suffit pour éveiller quelques bons souvenirs dans l’esprit des cinéphiles, et ce malgré le déclin indéniable de la production sud-coréenne observé depuis quelques années. Quand on a à son tableau de chasse The Chaser, film de course-poursuite haletant, et The Murderer, thriller hypnotique bien que légèrement moins mémorable que le premier cité, c’est qu’on a le talent nécessaire pour figurer parmi les réalisateurs à surveiller de près. Seulement voilà, l’état assez déplorable du cinéma sud-coréen, et ce même si l’on perçoit un léger mieux depuis 2013, n’a sûrement pas aidé Na Hong-Jin à se remettre en selle, et il aura fallu six ans pour revoir (enfin !) le metteur en scène sous les feux des projecteurs. Présenté « Hors Compétition » au Festival de Cannes 2016, The Strangers débarque enfin dans nos salles, précédé d’une réputation de film complètement fou. Est-ce le cas ?

The Strangers narre l’histoire de Jong-gu, policier dans un petit village sud-coréen apparemment tranquille. Seulement, il se prépare bien des heures sombres dans la bourgade, car vient de débuter une série de meurtres inexpliqués, d’une sauvagerie peu commune, perpétrés totalement au hasard. La police locale, loin d’être formée à ce genre de cas, perd vite la boule et les pistes mènent un peu n’importe où, notamment sur la piste d’un migrant japonais récemment installé dans la forêt bordant le village. Alors que les « forces de l’ordre » démontrent jour après jour leur incompétence, des villageois font appel à un chaman, car il est de plus en plus évident que ces meurtres n’ont rien d’humain…

The Strangers, un film fou ? L’adjectif n’est sans soute pas assez puissant pour qualifier cette tornade d’énergie, effectivement empreint d’un esprit fortement « mad » mais pas que. Aborder ce film de Na Hong-Jin sans connaître un minimum la situation socialo-politico-historique de son pays d’origine, c’est passer à côté d’une bonne partie du film, de l’incroyable somme d’éléments qu’il projette à nos yeux ébahis. Sans faire un cours d’histoire-géo, rappelons que les rapports entre sud-coréens et japonais, s’ils sont pacifiés en grande partie aujourd’hui (on a tout de même régulièrement des tensions, comme pour l’affaire des îles Dodko-Takeshima), est un sujet qui reste sensible. The Strangers est un film vaste, ample, qui aborde énormément de sujets pour mieux peindre un thème hautement cinématographique, car le plus prégnant dans nos vies : la mort.

image film the strangers

Un thriller exigeant et fondamental

Si The Strangers prend place dans une petite bourgade et décrit les agissements de policiers complètement dépassés par les événements, ce n’est pas pour coller au schéma de l’excellent Memories of Murder. Évidemment, on pense pas mal au film de Bong Joon-Ho, on peut d’ailleurs se demander si cette recherche de confort rationnel chez le spectateur n’est pas elle-même une volonté maîtrisée de Na Hong-Jin, mais toute comparaison s’arrête là. L’œuvre ici traitée est sans doute moins facile d’accès, plus fondamentale, exigeante, tout en étant fichtrement audacieuse dans sa forme. La mort est donc le thème du film, et comme pour mieux poser la problématique du film le réalisateur s’intéresse de près aux religions, desquelles tout dans The Strangers va découler. En effet, alors que les meurtres s’enchaînent avec une violence graphique qui justifie totalement l’interdiction aux moins de 16 ans, la peur de la grande fin s’immisce chez les villageois. Et, à partir de là, tout explose.

Des meurtres donc, mais aussi des survivants qui, eux, restent bien salement perchés, comme possédés par un quelconque démon. Il n’en fallait pas plus pour que les esprits s’emballent : il y a des forces surnaturelles à l’œuvre, seule façon d’expliquer un tel déchaînement de barbarie. Le japonais errant cristallise toutes les craintes, mais attention The Strangers n’est aucunement un film sur le ressenti face aux migrants, nous ne sommes pas à Calais, ni en France par ailleurs. La situation politico-démographique n’est pas la même, un constat que nous pouvons aussi mener quant aux préoccupations du peuple sud-coréen. Ici, pas vraiment de sous-texte du côté migrant, même si tout Na Hong-Jin prend un malin plaisir à brouiller sans cesse les pistes, et surtout les perceptions. Les villageois ont-ils raison ou pas de se méfier de ce pseudo-vagabond ? N’ont-ils pas un coupable tout trouvé avec cet étrange personnage nippon, qui cristallise par ailleurs bien des craintes parfois infondées ? La narration de The Strangers est complexe en ce sens, car elle multiplie les possibilités de point de vue, de sorte que le spectateur est toujours dans le doute de ce qu’il vient de voir. Une belle image de ce que l’humanité peut ressentir face à la mort, avant de se lancer dans un besoin de clarté… d’où le recours aux religions.

image the strangers

Une séquence d’exorcisme asiatique hallucinante

Après avoir instauré ce doute ambiant, constant, The Strangers peut aborder le chapitre des religions. Et là encore Na Hong-Jin nous retourne la tronche comme rarement au cinéma en cette année 2016. Évidemment, il vaut mieux être un peu au fait de la situation religieuse de la Corée du Sud, voire même de l’Asie, pour mieux comprendre ce que l’œuvre nous déverse sans retenue. Le chaman déboule et c’est la fête au village : ça part délicieusement en vrille. Il faut préciser ici que le ton résolument cynique du cinéma sud-coréen est évidemment de la partie, mais pas à l’occidental : le metteur en scène jette un regard désabusé sur son récit, et non ses personnages, ce qui constitue une énorme différence. Le chaman, donc, intervient pour désenvouter un protagoniste de The Strangers pour le moins important aux yeux du personnage principal, et débute alors un rapport de force psychique avec le japonais. Cette tension explosera dans une séquence d’exorcisme « à l’asiatique » hallucinante (attention, ça n’a rien à voir avec ce que l’on connaît en Occident), un véritable tour de force de narration par le montage alterné, qui rappellera aux cinéphiles les films de genre fantastique chinois avec l’immense Lam Chin-Yin.

The Strangers constitue une singularité de par son crescendo des émotions, qui ne cesse jamais en quelques 2h30 de film. On pense que ce duel à distance implique une finalité, mais c’est faire fausse route car Na Hong-Jin a encore bien des choses à dire, notamment sur la force de la rumeur, des on-dits, mais surtout sur l’hallucination. Le thème du film garde tout de son mystère, rien n’est pas véritablement résolu au-delà de l’intrigue en elle-même, et c’est justement là où voulait aller le metteur en scène : on ne pas faire confiance en nos propres perceptions, alors comment être rassuré par ce qui se passe au-delà ? Comme avancé précédemment, on ne sait jamais si les personnages sont victimes des différents points de vue, et ce même lors d’un final que l’on vous laisse découvrir, même si l’envie de l’aborder avec vous nous fait grandement envie tant sa force évocatrice est importante. Sachez juste que le film gagne son titre de film le plus fou de l’année (du moins pour ceux sorties en salles) en grande partie pour cette conclusion qui a provoqué, chez votre humble serviteur, une sorte de sécheresse des yeux, lesquels ne clignaient plus (true story). On ne peut pas oublier de placer un mot, aussi court soit-il, sur la plastique de l’œuvre : photographie somptueuse, parfois naturelle, grandiose dans sa maîtrise du montage, plans complexes mais toujours lisibles, on est là face à un plaisir d’esthète. C’est bien simple, The Strangers laisse le spectateur sur les rotules, épuisé par un tel trip, un sentiment sciemment recherché par un réalisateur revenu au top de sa forme et qui nous délivre là son meilleur film.

Découvrez également la critique (plus réservée) de Mark Wayne :

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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