[Critique] Le Bon Gros Géant : Spielberg a la Dahl ?

image affiche le bon gros géantCaractéristiques

  • Réalisateur : Steven Spielberg
  • Avec : Ruby Barnhill, Rebecca Hall, Mark Rylance
  • Distributeur : Metropolitan FilmExport
  • Genre : Fantastique
  • Durée : 117 minutes
  • Sortie : 20 juillet 2016

Critique

Steven Spielberg et Roald Dahl, voilà un duo qui ne pouvait que promettre sur le papier. D’un côté, le roi du divertissement pour tous les âges, dont la filmographie est traversée d’oeuvres conseillées autant pour les petits que pour les grands. De l’autre, un écrivain britannique génial, que tout le monde connaît pour avoir signé des ouvrages jeunesse aussi marquant que Charlie et la Chocolaterie, James et la grosse pêche, Sacrées sorcières et, bien entendu Le Bon Gros Géant qui nous intéresse aujourd’hui. C’est simple, tout le monde a déjà lu un Dahl, ou vu un film tiré de ses travaux, même sans en être conscient. Signalons, pour le simple plaisir de l’anecdote que l’auteur, dont la propension à décrire des univers certes enfantins mais loin d’être dénués de cruauté, a aussi fortement inspiré le Gremlins de Joe Dante, autre film où l’on retrouve le nom de Spielberg au générique.

Le réalisateur, parlons-en un peu avant d’aborder plus précisément Le Bon Gros Géant. Si l’on est de celles et ceux qui reconnaissent son immense talent, Spielberg étant l’un des metteurs en scène les plus talentueux de sa génération, il faut aussi remarquer que sa carrière connait depuis quelques temps un essoufflement certain. Et ce, plus précisément depuis l’immense Munich, qui constitue son dernier grand film en date. Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal, Les aventures de Tintin : le secret de la Licorne, Cheval de Guerre, Lincoln et Le Pont des Espions : cela fait maintenant onze ans que celui que l’on surnomme Tonton Spielby souffle le (très) tiède et le froid. Les (pas si) mauvaises langues diront que son obsession pour les récompenses l’ont emmené vers des scénarios beaucoup plus convenus, trahissant en fait son style beaucoup plus porté sur le grand spectacle que sur la puissance de ses personnages. On est plus mesuré face à cet élément chez Culturellement Vôtre, car il faut prendre en compte bien des éléments indépendants de la volonté du réalisateur pour expliquer une sorte de frilosité indéniable. Il faut notamment se souvenir de ses déclarations fracassantes sur l’industrie du blockbuster, et par la suite plus précisément sur les films de super-héros, qui traduisent une certaine crainte (compréhensible) de sa part. Aussi, et il va falloir se faire une raison : tonton vieillit, et certains de ses projets sont plus portés par l’envie de les mener à bout que par un besoin de s’exprimer. Le Bon Gros Géant n’est pas un projet d’hier par exemple, on en parlait déjà en 1991.

image le bon gros géant

Spielberg vraiment de retour ?

Quinze longues années plus tard, Le Bon Gros Géant a quitté les limbes du development hell pour envahir nos écrans en plein cœur de l’été. Un choix un peu étrange en passant, tant on voyait plus l’œuvre de Roald Dahl être associée à la période de Noël, avec l’excitation des enfants et l’envie des parents de s’en réjouir. Mais passons sur ce détail pour nous attarder sur le scénario, qui prend certaines libertés avec l’ouvrage d’origine. Le BGG, sobriquet que porte le personnage du titre pour aller plus vite, vit au Pays des Géants. Différent des autres, mesurant “seulement” plus de sept mètres alors que ses congénères comme l’horrible Buveur de Sang en font bien plus, et surtout plus adorables que ses pas si semblables, il a la particularité de s’occuper des rêves des enfants. En effet, il prépare ces illusions éprouvées dans nos songes au Pays des Rêves, et les administre aux bambins pendant leur sommeil, veillant à ne jamais être aperçu. Seulement, une nuit, la petite Sophie, fillette d’une dizaine d’années vivant dans un orphelinat de Londres, tombe nez-à-nez avec le BGG. Ce dernier l’emporte alors avec lui, et c’est parti pour une aventure qui mènera ce sacré duo, notamment, à devoir prévenir la Reine d’Angleterre d’un grave danger qui guette…

Le Bon Gros Géant ne peut pas totalement être taxé de film impersonnel. On retrouve l’un des thèmes favoris de Steven Spielberg : l’existence d’un monde au-delà du monde. Hook donnait évidemment dans le sujet, et même l’excessivement mauvais Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal (“l’espace entre les espaces“, malheureusement on s’en souvient tous) creusait ce sillon. Le film débute rapidement, histoire que cette donnée soit vite au centre de la problématique. Seulement voilà, et c’est pénible à écrire tant on n’aime pas écrire ces mots à propos d’un film provenant d’un réalisateur aussi doué que Spielberg : ce n’est pas spécialement maîtrisé. Les plans regorgent d’idées, là n’est pas la question, on est clairement devant l’œuvre d’un homme qui sait construire ses cadres mieux que bien des quasi-auto-déclarés espoirs du cinéma. Seulement, on a du mal à rentrer dans Le Bon Gros Géant, et ce constat est sans appel. C’est un peu le même soucis que pour son Tintin : le metteur en scène foisonne d’idées, mais n’arrive pas à leur donner la consistance nécessaire. Il échoue à les mettre en valeur. Si la séquence de l’apparition du vaisseau spatial derrière la voiture, dans Rencontre du troisième type, est si brillante, c’est parce qu’elle est mise en relief par une montée en tension à couper le souffle. Pareil pour l’attaque du petit garçon dans Les Dents de la Mer : ce qui se passe avant est par ailleurs à montrer, remontrer, reremontrer dans les écoles de cinéma. Le Bon Gros Géant “se contente” de balancer ses moments forts à la chaîne, sans vraiment les penser en terme de tempo, ni en terme de grammaire cinématographique, et cela accouche irrémédiablement sur un certain ennui pendant une première moitié finalement quelconque.

image film le bon gros géant

Visuellement convaincant

Cependant, Le Bon Gros Géant n’est pas un mauvais film pour autant, et que des enfants aient l’une des premières expériences au cinéma avec cette œuvre est tout de même largement acceptable. Comme nous l’écrivions, ça pullule de plans qui nous ont laissé pantois, et même si nous n’accrochons pas spécialement aux modifications opérées ici ou là à l’ouvrage de Dahl, notamment lors d’un final convenu et un peu balancé, on ne peut pas non plus oublier la beauté de certains passages. Toute la séquence au Pays des rêves est clairement l’un des éléments qui a le plus été gâté par Steven Spielberg. On ne peut pas nier, non plus, avoir ri de la scène dans le château de la Reine d’Angleterre, même si… bon, on attend de Tonton Spielby autre chose que filmer des pets et des rots. Mais, à cet instant précis, Le Bon Gros Géant colle bien avec l’esprit Roald Dahl, par ailleurs assez absent de l’ensemble. Ce n’est pas obligatoirement un mal, une adaptation se doit de donner la priorité (et les fans doivent le comprendre) à la vision de celui qui se colle à la tâche.

On traverse donc Le Bon Gros Géant sans vraiment trouver de quoi crier au génie, ni même en hurlant à la mort de celui-ci. On est clairement face à un film destiné aux enfants, pensé comme tel, par ailleurs les bambins présents lors de la projection n’avaient pas l’air de bouder leur plaisir et c’est un élément qui compte. On a tout de même une retenue assez flippante pour ne pas être partagée, car même s’il n’y paraît pas de prime abord, voilà le véritable regret qui a tendance à survivre au film : John Williams confirme qu’il n’y est plus. Il va falloir se faire une raison, celui qui a composé certains des thèmes parmi les plus puissants de l’histoire du cinéma n’arrive pas à livrer des notes mémorables. S’il est, depuis La Guerre des Mondes et son score atypique mais remuant, dans une optique de renouvellement, force est de constater que celle-ci ne s’accommode que très peu avec les films de divertissement purs et durs. Il manque clairement un thème, quelque chose à siffloter sous la douche de bon matin et qui puisse marquer une génération de petits spectateurs. Le Bon Gros Géant s’accroche par ailleurs très bien au wagon de cette remarque : ce n’est pas mauvais, c’est même parfois attendrissant, visuellement fascinant et pas dénué d’un humour potache rigolard, et si les petits cochons ne la mangent pas, Ruby Barnhill est promise à un bel avenir. Mais il manque ce supplément d’âme pour en faire un film mémorable…

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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