Caractéristiques
- Titre : Lion
- Réalisateur(s) : Garth Davis
- Avec : Dev Patel, Nicole Kidman, David Wenham, Sunny Pawar, Rooney Mara, Divian Ladwa...
- Distributeur : SND
- Genre : Biopic, Drame
- Pays : Etats-Unis, Australie, Grande-Bretagne
- Durée : 118 minutes
- Date de sortie : 22 février 2017
- Note du critique : 7/10 par 1 critique
Si l’on a coutume de dire que les histoires vraies constituent un bon terreau pour une adaptation au cinéma, le récit autobiographique de Saroo Brierley, A Long Way Home, paraît sur le papier presque trop extraordinaire pour être crédible ailleurs que sur grand écran : ce jeune homme d’origine indienne y racontait comment il s’est perdu à Calcutta à l’âge de 5 ans après avoir pris accidentellement un train de nuit, ne parvenant à retrouver sa famille que 25 ans plus tard grâce à Google Earth, après avoir été adopté par un couple australien.
Cette histoire forte, qui fit le tour du monde après la diffusion d’un reportage dans l’émission américaine 60 minutes en 2012, représentait pourtant un défi de taille, puisque, contrairement à ce que l’on aurait tendance à penser, le vrai n’est pas forcément crédible, y compris au cinéma. On se souviendra par exemple d’un rebondissement absolument improbable dans le film de guerre En mai fais ce qu’il te plaît : un jeune enfant perdu dans un petit village français en plein Exode retrouvait son père, qui avait été emprisonné, loin de leur domicile, par le plus grand des hasards. Le réalisateur Christian Carion avait beau avoir assuré la presse qu’il avait recueilli d’authentiques témoignages de cette période où de telles choses s’étaient produites, le spectateur restait néanmoins incrédule devant ce qui ressemblait à un bon gros deus ex machina. Garth Davis, qui s’était déjà fait repérer à la réalisation de quelques épisodes de Top of the Lake, la mini-série de Jane Campion, s’en sort heureusement bien mieux, malgré une ou deux petites facilités.
Une première partie immersive et sensorielle
Loin de tout misérabilisme, comme de l’excès inverse consistant à sublimer la pauvreté, Lion se met dès le départ à la hauteur de son héros, ce tout jeune garçon au sourire irrésistible, qui se retrouvera à plus de 1600 kilomètres de chez lui après s’être endormi dans le wagon d’un train resté ouvert. Dans un premier temps livré à lui-même, il erre en compagnie des enfants sans abri et doit faire face à la faim, mais aussi aux enlèvements intempestifs guettant les enfants des rues.
Alors qu’un film hollywoodien formaté en aurait sans doute rajouté sur toute cette partie, au risque de tomber dans un voyeurisme crasse, Gareth Davis s’attache surtout à nous faire ressentir la fatigue, l’incompréhension et la frayeur de Saroo, confronté à un environnement urbain qu’il ne connaît pas. Le spectateur adulte sait peut-être que les enfants enlevés en Inde sont condamnés à la prostitution ou à la mendicité forcée, mais ce n’est pas le cas du petit garçon, qui sent simplement le danger en se fiant aux réactions des autres enfants et à l’attitude des hommes à leurs trousses. Cette partie, par ailleurs la plus brève du film, se distingue par son approche documentaire et sensorielle, mettant en exergue les sensations et la perception de l’enfant sur le qui-vive à son arrivée dans cet environnement hostile où il devra cependant trouver ses marques.
Une réflexion sensible autour de l’adoption, portée par d’excellents acteurs
Assez vite, Saroo est adopté par un couple d’Australiens aisés, interprétés par Nicole Kidman et David Wenham, qui ne tardent pas à adopter un deuxième enfant indien, plus âgé celui-là, et très perturbé alors que Saroo, toujours souriant, s’adapte facilement à sa nouvelle famille et cet environnement inconnu mais accueillant. Le reste du film sera alors articulé autour de la relation entre le héros et sa famille d’adoption, avant de basculer, à l’âge adulte, vers la quête des origines, fréquente chez les enfants adoptés. Bien que classique par son approche, cette trame est traitée avec beaucoup de pertinence et de sensibilité, et avec même, de-ci de-là, une pointe d’humour. Si l’on grince un peu des dents au départ lorsque le couple, qui s’adonne régulièrement à la voile ou au golf, adopte Mantosh un an seulement après Saroo — un peu comme on ferait son shopping, dirons certains — le film a assez vite fait de déjouer tout cynisme en creusant les motivations de ces occidentaux privilégiés, qui ne considèrent jamais leurs enfants comme des « accessoires », mais également en montrant toutes les difficultés inhérentes, non pas aux formalités d’adoption (auxquelles ils semblent échapper), mais à tout ce qui s’ensuit une fois que l’enfant arrive au sein du foyer.
Saroo est montré comme un enfant lumineux, heureux et exceptionnel qui se fait rapidement à sa nouvelle vie, sans doute en partie en raison de son jeune âge, mais le scénario de Luke Davies montre également les grandes difficultés rencontrées par de nombreux enfants adoptés plus grands, comme c’est le cas de Mantosh, qui retourne sa rage contre lui-même. Le film joue d’ailleurs en partie sur le parallèle entre ces deux personnages au parcours bien différent, l’un avançant sur la voie de l’épanouissement, l’autre de l’autodestruction, évitant par là-même de montrer l’adoption sous un jour parfaitement idyllique.
Le passage de l’enfance à l’âge adulte se fait par ailleurs avec beaucoup de naturel grâce aux excellentes prestations de Sunny Pawar (qui incarne Saroo enfant et porte décidément bien son nom) et Dev Patel, rendu célèbre par le film de Danny Boyle, Slumdog Millionnaire, qui parviennent à nous donner l’impression que l’on a grandi aux côtés de Saroo alors que le film effectue un bond de 20 ans dans le temps. Nicole Kidman livre quant à elle sa meilleure interprétation depuis bien longtemps (depuis le très beau Rabbit Hole en 2011, plus précisément) dans le rôle de cette mère très impliquée faisant de son mieux pour maintenir une famille unie, avec des enfants heureux. Loin de ses excès de botox qui ont entâchés (pour ne pas dire ruiné) sa carrière à partir du milieu des années 2000, on la retrouve à son meilleur, dans la peau d’un personnage somme toute normal et équilibré, qu’elle parvient à illuminer à travers une interprétation ne jouant pas sur le côté performance, mais au contraire sur la retenue et le « naturel ». Son look radicalement différent de celui qu’elle arbore sur tapis rouge aide aussi à oublier la star.
Une adaptation pertinente malgré une ou deux facilités
Bien sûr, on pourra regretter, ça et là, les quelques petites facilités d’une trame qui joue beaucoup d’ellipses afin de condenser ce récit étalé sur 25 ans. Il y en a cependant très peu au final, la plupart des partis pris du scénario de Luke Davies étant tout à fait pertinents : si de nombreux critiques ont regretté que la relation de Saroo avec sa petite-amie soit « survolée », on imagine mal comment le film aurait pu en montrer davantage sans s’éparpiller. L’histoire d’amour entre les deux jeunes gens est ainsi resserrée autour de ses moments-clés, chacune marquant une étape importante de l’évolution du héros, et cela fonctionne très bien ainsi, d’autant plus que l’alchimie de Dev Patel et Rooney Mara, palpable, rend leur couple aussi crédible qu’attachant.
On regrettera sans doute davantage que Mantosh, le personnage du frère adoptif de Saroo, soit mis autant en retrait car le parallèle établi entre les deux est véritablement intéressant, mais là encore, il nous faut nuancer en précisant que Lion aurait été un tout autre film si l’intrigue avait été davantage resserrée sur la relation entre les deux frères. Le héros reste Saroo, et, dès les images d’ouverture, qui nous montrent le chemin qu’il devra refaire, 25 ans plus tard, afin de retrouver sa famille indienne, tout nous prépare à ce retour aux origines, à cette quête dans laquelle il se lancera à corps perdu lorsque la culpabilité et le mal-être commenceront à le ronger.
Ce qui nous mène au principal reproche que l’on pourrait adresser à Lion : la séquence où Saroo, après plusieurs années de recherche, parviendra à localiser son village grâce à Google Earth, est montrée de manière assez peu crédible. Afin de gagner du temps et d’épargner au spectateur la vision de quelqu’un passant des heures à zoomer sur les très nombreuses épingles disséminées sur une bande de territoire assez large, Gareth Davies nous montre son héros trouver le bon repère au premier essai, ce qui est en soi peu crédible, mais devient tout à fait tiré par les cheveux lorsque Saroo s’emballe tout de suite en reconnaissant le début du chemin pour rentrer chez lui depuis la gare… une zone de verdure plutôt désertique, vue avec très peu de détails, et qui est sans doute très commune en Inde.
Une conclusion simple et bouleversante
Cependant, hormis ces trente secondes de battement où l’on reste quelque peu perplexe, le film retombe très vite sur ses pieds et s’achemine vers sa conclusion avec une belle sensibilité. Si de nombreux spectateurs auront sans doute du mal à retenir leurs larmes, Gareth Davis ne prend jamais ceux-ci en otage afin de les pousser coûte que coûte vers ce pic émotionnel : la musique, certes efficace, accompagne de manière finalement discrète cette montée, tandis que le jeu des acteurs évite d’appuyer sur le pathos, ce qui n’en rend cette conclusion que plus émouvante.
La toute dernière séquence, poétique et inspirée, brille quant à elle par sa simplicité et évite le happy-end lacrymal comme la conclusion consensuelle de rigueur. En montrant son héros en paix, portant en lui son enfance indienne comme son éducation occidentale, Lion se distingue du simple fait divers porté à l’écran pour devenir un beau film sur le long cheminement d’un jeune adulte cherchant à relier les fils brisés de son histoire. Un voyage tant physique qu’émotionnel, dont on ressort profondément touché.