[Critique] Patients : La vie et l’humour par-dessus tout

image affiche patients de grand corps malade et mehdi idir gaumontCaractéristiques

  • Réalisateur : Grand Corps Malade & Mehdi Idir
  • Avec : Pablo Pauly, Soufiane Guerrab, Nailia Harzoune, Moussa Mansaly, Franck Falise, Yannick Renier, Jason Divengele….
  • Distributeur :  Gaumont Distribution
  • Genre : Comédie dramatique
  • Durée :  110 minutes
  • Sortie : 1er Mars 2017

Critique

Quatre ans après la sortie de son roman autobiographique Patients, Fabien Marsaud, alias Grand Corps Malade, passe à la réalisation pour adapter celui-ci sur grand écran. Secondé de Mehdi Idir, le réalisateur de ses clips, il transpose ainsi son histoire, celle d’un jeune homme de 18 ans promis à un brillant avenir sportif, dont le monde s’écroule lorsqu’il se retrouve partiellement paralysé à la suite d’un accident. Transféré en centre de rééducation après son opération, il se lie d’amitié avec les autres jeunes patients de l’établissement. Ils vont se battre durant des mois, entre progrès ou stagnation de leur état, petites joies et grandes désillusions, avec un objectif, difficile à assimiler : celui de s’adapter à leur handicap et d’accepter qu’ils ne retrouveront jamais la même mobilité.

Avec un sujet d’une telle gravité, on aurait pu craindre un traitement pesant, voire tire-larmes — d’ailleurs, les chaînes hertziennes, effrayées, on refusé de soutenir le projet — or, il n’en est rien. Patients n’est pas la chronique d’un drame, mais celle d’une tranche de vie chez des jeunes gens en transition forcée et, malgré les coups durs et certains rebondissements dramatiques, c’est bien la vie qui domine ici, avec toute la force et l’énergie que peuvent y mettre des personnes remplies d’espoir.  Le pourquoi du comment de la situation des personnages reste périphérique : de l’accident de Ben, l’alter-ego de Grand Corps Malade, on ne verra rien et on apprendra seulement le strict nécessaire ; idem pour les autres. Ce qui importe ici, c’est l’attitude des personnages face à leur handicap et leur situation, leur manière de nouer des liens, de se soutenir, les relations avec le personnel soignant, aussi…

Un film réaliste mais rempli d’humour

image casting patients soufiane guerrab moussa mansaly franck falise pablo pauly
© Gaumont Distribution

Patients est ainsi très réaliste dans sa manière de dépeindre la vie en centre hospitalier spécialisé, avec ses journées interminables, ses rituels, et la gêne face au manque d’autonomie. Le film a d’ailleurs été tourné dans un vrai centre en région parisienne, et les figurants sont de vrais patients, ainsi que des membres du personnel. Le rééducateur qui s’était occupé de Fabien Marsaud lors de son accident était quant à lui présent en tant que conseiller pour coacher les acteurs principaux, tous valides. Petit monde autonome, l’univers du centre est dans un premier temps montré comme froid et déstabilisant lorsque Ben arrive, malgré la bonhomie d’un infirmier assez irritant : les longs couloirs blancs et impersonnels, certains patients assis le regard vide, dans un état proche de la catatonie, l’attente interminable pour pouvoir aller aux toilettes, passer un appel ou changer de chaîne… Le cadre est alors souvent resserré afin de nous faire ressentir cette sensation d’enfermement.

Mais, alors que Ben fait la connaissance des autres jeunes de son âge, notamment celle de Farid, qui devient son meilleur ami, et Samia, avec laquelle il flirtera, il apparaît clairement que le centre est aussi un lieu où la vie déborde de partout. Alors oui, les karaokés et concerts de bénévoles organisés pour “divertir” les patients ont quelque chose d’un peu triste et ridicule, mais le petit groupe trouve rapidement de quoi tromper leur ennui et oublier leur angoisse face à l’avenir en s’amusant par tous les moyens et en se vannant sérieusement. C’est là un point essentiel : Patients est une oeuvre remplie d’un humour ravageur, provoquant un rire qui fait mal tout en faisant fichtrement du bien, et dont on comprend très vite qu’il est essentiel aux personnages. Expert en vannes un peu bêtes et taquin, Ben, comme les autres patients, se sert de l’humour pour évacuer le trop-plein de tension et de stress qui règne dans les lieux, mais s’accumule aussi en eux. Plaisanter, se charrier, leur permet de se sentir soudés, mais s’avère aussi un acte nécessaire pour tenir le coup et continuer d’avancer, chacun à leur rythme. Cet humour omniprésent permet aussi de ne pas se laisser submerger par la gravité du sujet, traité de manière frontale et pudique à la fois.

La musique ne joue par ailleurs jamais sur les violons : le thème principal, composé par Angelo Foley, est flottant, suggérant une certaine tension, mais aussi quelque chose de plus positif, lumineux, tandis que les tubes du milieu des années 90 sélectionnés brillent par leur diversité et sont utilisés de manière intelligente. Il est par exemple très drôle d’entendre résonner le “Il me dit que je suis belle” de Patricia Kaas alors que l’infirmière vient installer une sonde à Ben et son voisin de chambre. Mais on entendra aussi plusieurs morceau de rap américain qui ont probablement bercé Grand Corps Malade avant qu’il ne se lance dans la musique, ainsi qu’un titre de NTM, qui tient lieu de générique de fin. Cette bande originale, plaisante et jamais utilisée de manière purement nostalgique (même si elle évoquera bien des souvenirs aux personnes ayant grandi dans les années 90), participe également à égayer le film et instaurer une atmosphère.

Une réalisation pertinente, qui évite le voyeurisme

image anne benoît pablo pauly patients
© Gaumont Distribution

Enfin, pour un premier long-métrage, Grand Corps Malade et Mehdi Idir s’en sortent très bien : la mise en scène et les choix de cadre, de découpage sont pertinents pour raconter l’histoire et permettre aux spectateurs d’accompagner les personnages tout au long de leur parcours. En optant pour une mise en scène carrée, privilégiant les plans fixes, les réalisateurs sont pour ainsi dire à l’opposé de Lars von Trier avant son Melancholia : pas de caméra à l’épaule tremblotante, qui oppresse et fait l’effet d’un uppercut lors des moments dramatiques. Ils suivent certes les personnages, y compris dans des moments délicats, mais le cadre n’est jamais inutilement intrusif (pas de nudité, la tentative de suicide d’un personnage est rapportée au sein d’un dialogue, mais pas montrée…) et la stabilité du cadre établit une certaine distance qui évite au spectateur d’être placé dans une position de voyeurisme exacerbé.

L’émotion est bel et bien présente, mais le spectateur n’est à aucun moment pris en otage pour le pousser à verser une larme. Seule petite remarque : la fin du deuxième acte, accompagnée de la montée en puissance du thème principal, est filmée et montée comme une fin de film. A tel point qu’on se demande brièvement “Tiens, ça se termine comme ça ?” avant d’être détrompés par la séquence suivante. Ceci dit, cette séquence marque un véritable point de bascule pour le personnage de Ben, qui entrevoit enfin l’espoir, et commence à penser à l’après, quand il sera sorti du centre, et c’est sans doute cela que les réalisateurs ont cherché à souligner.

Des acteurs criants de vérité, en parfaite osmose

image pablo pauly nailia harzoune patients
© Gaumont Distribution

Enfin, la direction d’acteurs est impressionnante tant les jeunes comédiens livrent des interprétations criantes de vérité, tant dans les émotions véhiculées que la démarche ou les gestes de leurs personnages. On ne sent jamais le côté “performance”, si bien que l’on oublie assez vite qu’il s’agit d’acteurs professionnels, et non de vrais patients. Cette adhésion est d’autant plus efficace que parmi les principaux protagonistes, il n’y a aucun visage connu. Pablo Pauly se glisse avec beaucoup de justesse, de sensibilité et d’humour dans la peau de Ben, l’alter-ego de Grand Corps Malade, si bien que l’identification est immédiate. Soufiane Guerrab, qui joue son plus proche ami, apporte chaleur et douceur au groupe, tandis que Franck Falise convainc dans le rôle délicat de l’écorché de service et que le regard de Moussa Mansaly dans le rôle de Toussaint reste longtemps en tête. Seule fille du groupe, Nailia Harzoune n’apparaît jamais comme un simple faire-valoir ou objet de désir pour le héros, et donne une véritable force de caractère à Samia. L’alchimie entre eux est palpable, leur enthousiasme aussi et, chose rare, chacun a suffisamment d’espace pour faire exister pleinement son personnage.

Grand Corps Malade et Mehdi Idir ont donc réussi leur pari en faisant de Patients un film bouillonnant de vie et rempli d’humour, sans pour autant éluder la gravité des handicaps de leurs personnages ni la réalité de la vie en centre de rééducation, qui est traitée avec beaucoup d’honnêteté. En accompagnant le parcours de ces jeunes tout en maintenant une certaine distance, ils évitent par ailleurs tout voyeurisme. Pas d’approche “choc” donc, mais une grande tendresse pour ces personnages abîmés par la vie, que l’on quitte à regret.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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