Caractéristiques
- Titre : Dans un recoin de ce monde
- Titre original : Kono sekai no katasumi ni
- Réalisateur(s) : Sunao Katabuchi
- Avec : (les voix originales de) Non, Megumi Han, Yoshimasa Hosoya, Natsuki Inaba...
- Distributeur : Septième Factory
- Genre : Animation, Guerre
- Pays : Japon
- Durée : 2h08
- Date de sortie : 6 septembre 2017
- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Prix du Jury au dernier Festival du Film d’Animation d’Annecy, Dans un recoin de ce monde est une adaptation fort inspirée du manga du même nom de Fumiyo Kouno, autour de la vie des Japonais avant et après l’attaque nucléaire d’Hiroshima. Nous suivons les aventures de Suzu, une jeune fille mariée de force à un jeune homme qu’elle ne connaît pas et qui doit quitter son village natal de la région d’Hiroshima pour le port militaire Kure afin de rejoindre sa belle-famille. Malgré les difficultés et l’hostilité de sa belle-soeur, elle parvient à s’intégrer au foyer, faisant preuve de vraies ressources pour cuisiner et s’en sortir avec les moyens du bord, en dépit du rationnement. Mais, alors que la Seconde Guerre Mondiale approche de la fin et que le Japon est en difficulté, la situation se dégrade, avec des bombardements aussi fréquents que dévastateurs…
Tranches de vie en temps de guerre
Troisième long-métrage de Sunao Katabuchi après Princesse Arete (2001) et Mai Mai Miracle (2009), Dans un recoin de ce monde est à la fois fidèle à l’histoire et à l’univers visuel du manga d’origine — l’apparence des personnages est très proche de celle de l’oeuvre de la mangaka — tout en ayant sa propre sensibilité, son propre souffle, qui font de ce film d’animation une fresque mémorable autour de la guerre et de la capacité de résilience du peuple japonais. Si le sujet peut évoquer par certains aspects Le tombeau des lucioles d’Isao Takahata (1989), avec lequel Katabuchi a travaillé sur Little Nemo puisque l’on voit également des enfants touchés par les privations et les ravages de la guerre, la tonalité diffère radicalement du chef d’oeuvre des studios Ghibli.
On pourrait davantage comparer ce dessin animé à une chronique mettant en avant le quotidien des habitants de Kure quelques mois avant la catastrophe, en se concentrant beaucoup sur les petits rien qui permettent de tenir le coup en dépit des risques de bombardements, qui peuvent survenir à n’importe quel moment. Suzu cuisine et prend du plaisir à partager des repas simples avec sa belle-famille, trouve le moyen de rire, ou de s’émerveiller en voyant les choses à travers le regard de la petite Harumi, la fille de sa belle-soeur Keiko, qui ne pense qu’à admirer les bateaux de guerre.
Instants de poésie à la beauté terrible
Cet émerveillement paradoxal que la jeune femme, qui adore dessiner depuis petite, peut ressentir à des moments assez étranges, participe d’ailleurs à insuffler une certaine poésie à Dans un recoin de ce monde. Ainsi, lorsqu’un bombardement éclate et que les avions se mettent à tirer, plutôt que de se mettre à l’abris, elle reste un long moment figée, avec l’envie de croquer le tableau abstrait que forment ces « nuages » gris dans le ciel consécutifs aux tirs. Ce regard décalé n’est pas si éloigné de certaines séquences de La ligne rouge de Terrence Malick, où l’horreur et la sidération de la guerre n’empêche pas de voir la beauté de la nature, fut-elle terrible, et la renforce, en un sens. La situation est désespérée, mais plus le danger est présent, plus l’instinct de vie prend le dessus, permettant à chacun de faire face à sa manière, et le réalisateur nippon saisit ces moments avec une rare justesse, au sein d’une animation fluide fourmillant de détails.
La manière dont les personnages vont s’adapter à la situation est également montrée de manière particulièrement réaliste. Dans une séquence, on voit par exemple Suzu sortir d’un bunker en compagnie d’Harumi et s’approcher d’une femme, dont la maison a été détruite par les bombes, pour lui demander si elles peuvent prendre un peu d’eau à son puits. Elle ne semble pas choquée par ce qui est arrivé à cette femme et ne cherche pas à la rassurer ou la consoler, sans pour autant paraître insensible à son infortune. Simplement, l’aspect pragmatique prend le dessus lorsqu’on est obligés de vivre en mode survie, de sorte que les personnages évitent de trop s’attarder sur ce qui se produit autour d’eux, à moins que cela ne les informe d’un danger à éviter.
Se reconstruire après la tragédie
On retrouve du coup à la fois des éléments dramatiques très réalistes et poignants dans le film de Kanabuchi, qui parvient à faire émerger une véritable émotion sans avoir recours au pathos, mais aussi des instants poétiques et des scènes plus comiques, comme lorsque l’ami d’enfance de Suzu, dont elle était amoureuse, profite d’une permission pour lui rendre visite et la taquine tout du long. Le cinéaste fait également preuve d’un vrai talent pour passer du rire à l’émotion en l’espace de quelques instants, sans que jamais cela paraisse forcé. L’attaque nucléaire d’Hiroshima est quant à elle observée de manière ni trop proche ni trop lointaine (nous n’en révèlerons pas davantage sur l’intrigue), ce qui permet d’éviter tout voyeurisme et, surtout, toute scène trop dure (même si certaines images, assez courtes, le sont), même si la réalité des ravages consécutifs à la bombe ne sont pas éludés.
Dans sa dernière partie, c’est avant tout sur la force de résilience du Japon que se concentre Sunao Katabuchi, avec un souffle d’une beauté bouleversante qui fait monter les larmes aux yeux jusque dans le générique de fin, qui poursuit l’histoire par le biais de croquis. Hiroshima n’est-elle pas, après tout, cet enfant blessé mais bel et bien vivant, qui a patiemment pansé ses blessures jusqu’à être en mesure de s’épanouir, de prendre son essor ? Ajouté à la vision de la solidarité dépeinte, la touchante amitié qui se construit lentement entre les deux belles-soeurs et son regard sur l’enfance et l’imaginaire, qui aident à surmonter le pire, Dans un recoin de ce monde apparaît comme l’une des plus belles surprises du cinéma d’animation en cette année 2017. Un film rare, que l’on pourra tout autant montrer aux collégiens et lycéens pour sa dimension pédagogique, qu’apprécier en tant qu’adulte pour sa puissance et la maestria de sa réalisation.