[Critique] Love It Was Not : Un amour au cœur de l’enfer

Caractéristiques

  • Titre : Love it was Not
  • Titre original : Ahava Zot Lo Hayta
  • Réalisateur(s) : Maya Sarfaty
  • Distributeur : Dissidenz Films
  • Genre : Documentaire
  • Pays : Israël, Autriche
  • Durée : 83 minutes
  • Date de sortie : 11 octobre 2023
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 7/10

Une exploration d’un amour impossible

Le documentaire historique Love It Was Not de Maya Sarfaty, sorti le 11 octobre 2023, retrace l’histoire d’amour entre Helena Citron, jeune femme juive détenue à Auschwitz et Franz Wunsch, un SS tombé amoureux d’elle et qui lui sauva la vie. Une trentaine d’année plus tard, la femme de Wunsch demande à Helena de venir témoigner en faveur de son mari lors de son procès pour crimes de guerre à Vienne. Le documentaire se concentre donc sur la relation entre les deux amants et les différents débats que cela suscite chez les autres survivantes de Auschwitz comme chez le spectateur. En effet, des 999 premières femmes envoyées à Auschwitz, seules 22 ont survécu. Helena Citron est l’une d’entre elles. Grâce à une romance avec un soldat allemand, elle réussira à obtenir certaines faveurs. Mais une telle relation existe-t-elle juste par intérêt ou y a-t-il un véritable amour entre ces deux personnes ? C’est la question que l’on se pose et à laquelle répond Love It Was Not.

Après avoir rencontré la nièce de la jeune femme qui était son professeur de théâtre, la réalisatrice sera désireuse d’adapter cette histoire sur grand écran. Son 1er court métrage réalisé en 2016, The Most Beautiful Woman in the World, parlait déjà de la vie d’Helena rescapée d’Auschwitz. Elle décidera plus tard que le seul moyen de bien retranscrire la réalité des faits est le documentaire, désireuse d’offrir aux rescapés une scène sur laquelle ils pourraient donner leurs témoignages. Elle fut d’abord touchée par le côté ambivalent de cette relation, Franz Wunsch étant un monstre, mais également quelqu’un ayant sauvé la vie d’Helena et de sa sœur. C’est cet aspect manichéen de l’âme humaine qui est exploré à partir de plusieurs témoignages de rescapés. On suivra le parcours de ces survivantes de leur entrée au camp jusqu’à leur retour compliqué à la vie active.

Une histoire fascinante racontée à travers de multiples points de vue 

image dissidenz love it was not
Copyright Dissidenz Films

L’histoire racontée à travers ce film est touchante autant qu’elle est ambigüe. La rencontre de ces deux personnes que tout oppose, relève d’une sorte de providence, un coup du destin, un amour qui ne devrait pas être possible. Pourtant, c’est arrivé. Les questions soulevées par le documentaire sont donc : comment une relation entre ces deux personnes est-elle possible ? Peut-on tout pardonner à une personne qui nous a sauvé la vie ? Pour cela Maya Sarfaty fait appel à plusieurs témoins ayant tous un point de vue différent sur les événements : Helena, les femmes détenues avec elle à Auschwitz, sa sœur, la fille de Franz Wunsch. Les interviews sont très bien menées et leurs enchaînements sèment parfois le trouble. Après nous avoir raconté comment Franz a sauvé Helena, on va nous révéler qu’il est un sadique avec les hommes juifs. Notre perception de la réalité change alors.

Ce qui est remarquable durant le visionnage, c’est qu’on ne vient jamais imposer ce que nous devons ou ne devons pas penser. Il y a des faits qui nous sont présentés oralement et c’est à chacun de se faire son propre avis sur cette réalité inconcevable. On entremêle également la relation Helena/Franz avec la dureté de la situation dans les camps pour ce groupe de femmes faisant partie du commando Kanada. Ce groupe servait principalement à récupérer les propriétés abandonnées par les juifs avant leur entrée dans les camps. On remet donc chaque témoignage sur la bonté de Franz en perspective car il fait partie de l’engrenage d’un meurtre de masse. On va venir questionner notre propre éthique à travers ce choix, et c’est l’une des grandes forces du format documentaire : nous exposer des faits et laisser le spectateur trancher.

Mettre en scène le souvenir à l’aide de photomontage créatif

image maya sarfaty love it was not
Copyright Dissidenz Films

Tout au long du documentaire, nous avons des scènes de photomontage illustrant le point de vue de Franz sur certaines situations. Elles sont différentes des interviews représentant la réalité des faits. En effet, on introduit ce processus en début de métrage en expliquant qu’après la guerre, il aimait faire certains montages. Dans ceux-ci, il coupait la tête de Helena pour la mettre sur un autre corps dans un autre lieu. Nous pouvons donc voir ces scènes comme une collection nostalgique de son passé. Ce parti pris esthétique est bien incorporé dans la narration en plus d’être créatif. On ressent vraiment une certaine nostalgie se dégager de toutes les scènes utilisant ce procédé.

Cela est aussi renforcé par la voix off et la musique, nous faisant nous questionner sur la moralité de cet homme. L’incorporation au récit de documents manuscrits écrits de la main du SS renforce ce point de vue interne. Nous sommes dans sa tête avec lui. Ce sont dans ces moments-là, que la boussole morale du spectateur peut se dérégler. Nous pouvons entrer en empathie avec lui grâce à ces procédés. Nous avons accès à des informations que les autres témoins n’ont pas, bien que nous ne sachions jamais pendant le film s’ils ont eu accès ou non aux notes laissées par l’amant d’Helena. Ce genre de moment ajoute du dynamisme au film qui est, à cause du manque d’images d’archives, souvent monté en plan fixe. C’est l’un des points les plus décevants du film. Le dynamisme n’est apporté que par cette esthétique et non par un montage particulier pour nous faire ressentir une certaine anxiété par rapport à la situation.

Nous sommes réceptifs à ce que nous entendons, mais jamais au visage des acteurs, à leurs émotions. Le récit est le point central, il se doit donc de vite progresser. Parfois nous n’avons pas le temps de vraiment nous concentrer sur ce que ces femmes pensent ou ressentent. On passe vite au prochain témoignage dans un souci de rapidité plutôt que d’efficacité. La durée aurait pu être légèrement rallongée pour permettre une plus grande empathie et caractérisation de la personnalité de ces femmes. L’émotion est toutefois bien présente, notamment concernant ce qui va arriver à la sœur d’Helena…

Love It Was Not est donc un documentaire avec une esthétique et un sujet intéressant et peu traité sous ce format. Nous pouvons cependant regretter le rythme, qui pourrait bénéficier de changements cassant la monotonie des plans fixes. Néanmoins, les réflexions que soulève le documentaire sont pertinentes. On se pose des questions bien après le film sur ce que nous aurions fait ou non dans la situation d’Helena. Si un amour comme cela est possible en temps de guerre. Comme chaque projet parlant de la réalité de l’holocauste, l’émotion est présente à travers les témoignages des survivantes, qui nous touche par la dureté des évènements. C’est le contraste entre ces horreurs et leur relation et la réflexion que l’une engendre sur l’autre qui fait la force de ce documentaire.

Article écrit par

Etudiant de 21 ans, j'ai commencé à apprécier le cinéma quand j'ai participé au dispositif "Ecole et cinéma" en primaire, qui m'a permis de voir des films comme Le magicien d'Oz et Les temps modernes. J'ai ensuite continué mon parcours en choisissant un lycée avec option cinéma, puis des études supérieures à l'ESRA Nice. Je termine actuellement ma troisième année en stage chez Culturellement Votre.

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