article coup de coeur

[Critique] L’Étrange Festival 2017 : Mise à mort du cerf sacré

Caractéristiques

  • Titre : Mise à mort du cerf sacré
  • Titre original : The Killing of a Sacred Deer
  • Réalisateur(s) : Yorgos Lanthimos
  • Avec : Colin Farrell, Nicole Kidman, Alicia Silverstone, Barry Keoghan...
  • Distributeur : Haut et Court
  • Genre : Fantastique, Drame
  • Pays : Grande-Bretagne, Irlande
  • Durée : 1h49
  • Date de sortie : 1er Novembre 2017
  • Note du critique : 8/10

Deux ans après le très remarqué The Lobster, le réalisateur grec Yorgos Lanthinos retrouve Colin Farrell pour un thriller glaçant à l’univers décalé, qui sortira en salles le 1er novembre. L’acteur y incarne Steven, chirurgien réputé, père présent et mari idéal, qui voit sa vie et celle de sa famille voler en éclats le jour où il introduit auprès des siens Martin, un adolescent qui a récemment perdu son père et va prendre un joli plaisir à manipuler tout ce beau monde…

Une vision clinique et acérée de la vie de famille

image nicole kidman colin farrell mise à mort du cerf sacré

Huit ans après la présentation de Canine, Lanthinos est de nouveau présent au sein de la compétition internationale de L’Étrange Festival. Entre-temps, il a bien sûr gagné une renommée internationale et gagné ses galons d’auteur avec The Lobster, vision décalée de l’amour et du célibat, avant d’être consacré à Cannes grâce à cette Mise à mort du cerf sacré, qui lui a valu le Prix du Scénario. Ce sixième long-métrage marque incontestablement un pic au sein de sa riche filmographie : remarquable de tension et de maîtrise, parcouru d’un bout à l’autre d’un humour très noir, il provoque dans le même temps un malaise palpable, qui n’est pas sans rappeler celui du Funny Games de Mickael Hanneke (en moins viscéral et douloureux pour le spectateur, tout de même), dont il reprend une partie de la froideur clinique, aussi bien dans la mise en scène que l’humour.

Le premier acte pose les personnages et la situation dont le drame va découler de manière méthodique : en apparence, tout est tranquille, mais certains plans, comme un simple travelling arrière suivant la discussion entre Steven et un collègue chirurgien, provoquent immédiatement vertige et sentiment d’oppression. Les situations qui se déroulent sous nos yeux sont “presque” normales, et tout réside dans ce regard légèrement décalé, qui vient révéler des problèmes latents dans les relations des différents personnages. Il y a un malaise évident chez ce chirurgien obsédé par le statut que lui confère son métier, et quelque chose qui “cloche” dans ses entrevues avec cet adolescent dont on se demande, au départ, s’il ne serait pas un fils caché. Le réalisateur décortique au scalpel la vie de cette famille privilégiée, en faisant preuve d’une remarquable incision pour en mettre à jour les faux-semblants.

Inquiétante étrangeté et hommage kubrickien assumé

image barry keoghan mise à mort du cerf sacré

Il y a par exemple, comme souvent chez le cinéaste, ces nombreuses scènes où des répliques inconvenantes sont glissées au sein d’un échange jusque-là à priori banal, le tout sur un ton tout à fait badin. Cette inquiétante étrangeté, qui vient déjà infecter le quotidien avant même que le fantastique ne fasse réellement surface, rappelle de manière évidente le chef d’oeuvre de Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut, que Yorgos Lanthinos cite clairement à plusieurs reprises, que ce soit lors de la soirée où un collègue de Steven tente de séduire sa femme, Anna, ou bien lors de la première scène du couple dans la chambre à coucher, où l’épouse du médecin se dévêtit, ainsi que dans les perspectives de certains plans et l’utilisation de la musique. Le fait que Nicole Kidman (qui est revenue en grâce cette année avec Big Little Lies et Lion) interprète Anna Murphy n’est bien sûr aucunement innocent, d’autant plus que la coiffure de l’actrice n’est pas sans évoquer celle qu’elle arborait en 1999, de même que ses sous-vêtements.

Difficile de développer davantage sans trop en révéler. Nous dirons simplement que le titre, en référence à l’histoire d’Iphigénie, fille du roi Agamemnon dans la mythologie gréco-romaine, sacrifiée par son père et, selon certaines versions, transformée en biche par la déesse Artémis afin de la sauver, revêt ici une signification des plus cruelles. Cette mort qui rôde est déjà présente en filigrane lorsque Anna s’étale sur le lit conjugal en feignant d’être sous anesthésie générale pour exciter les ardeurs de son mari. Peu importe qui sera l’agneau sacrificiel destiné à “racheter” les péchés de Steven, le destin de cette famille américaine privilégiée semble déjà promis à la tragédie à travers ces tranches de vie que le cinéaste s’amuse à déglinguer subtilement les unes après les autres, et où chacun en prend pour son grade. Sans doute le thriller qui nous aura le plus glacés d’effroi cette année, où l’on se plaira à retrouver Colin Farrell et Nicole Kidman — déjà à l’affiche en cette rentrée dans l’intéressant mais imparfait Les Proies de Sofia Coppola — en très grande forme, sans compter la performance de Barry Keoghan, glaçant en enfant maléfique en apparence ordinaire.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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