Alors que le nouvel album du célèbre petit Gaulois, Astérix et la Transitalique, sortira en librairies le 19 octobre 2017, la Cinémathèque Française rend hommage à son co-créateur, René Goscinny, disparu il y a tout juste 40 ans, à travers une exposition-événement aussi passionnante que ludique explorant son oeuvre sous le prisme du cinéma, complétée par un cycle Cléopâtre au cinéma, des animations et des conférences.
Une imposante filmographie
Goscinny et le cinéma, cela tient presque de l’évidence lorsque l’on sait que le papa d’Astérix, Iznogoud, le Petit Nicolas et scénariste de Lucky Luke (créé par le dessinateur Morris) a participé à l’essor du cinéma d’animation français — ce que soulignait déjà le beau livre de Laurent Valière, Cinéma d’animation : La French Touch — grâce aux studios Idéfix, par le biais duquel il a produit et réalisé les meilleures adaptations animées d’Astérix en compagnie de son complice Albert Uderzo, ainsi que deux longs-métrages consacrés au lonesome ranger.
Et puis, bien entendu, il faut ajouter à cela les films auxquels il a participé en tant que gagman, la comédie culte Le viager de Pierre Tchernia qu’il a scénarisée, et les innombrables adaptations posthumes de son oeuvre, de qualité variable, qui continuent régulièrement d’alimenter les salles obscures. Au total, on obtient un corpus de pas moins une centaine d’oeuvres. On pense forcément à Astérix : Mission Cléopâtre d’Alain Chabat (2001), adaptation en images réelles la plus goscinienne jamais réalisée, qui a su s’approprier l’humour et les clins d’oeil anachroniques des aventures des irréductibles Gaulois avec une vraie créativité. L’acteur-réalisateur français sera d’ailleurs présent à la Cinémathèque samedi 7 octobre à l’occasion d’une master class suivie de la projection du film, qui avait atteint 14 millions d’entrées en France en 2002.
Goscinny : l’homme de cinéma derrière le scénariste de bande-dessinée
Le mérite de cette exposition, qui se tiendra jusqu’au 4 mars 2018, n’est pas seulement de revenir sur la filmographie de René Goscinny et ses adaptations, mais bel et bien de montrer le véritable homme de cinéma qui se cachait derrière l’un des plus brillants auteurs de bande-dessinée du XXe siècle. Fou de 7e art, le scénariste n’avait pas hésité à déclarer qu’il fallait écrire pour la BD comme on écrirait pour le cinéma. Bercé par l’oeuvre de Walt Disney, qu’il admirait — ses dessins enfant de Blanche-Neige, Pinocchio et Mickey et ses amis sont d’ailleurs présentés au sein du parcours — les westerns de John Ford et les films muets de Buster Keaton ou Laurel et Hardy, il réalise très tôt des caricatures des grands acteurs de l’époque, écrit des histoires ouvertement inspirées du cinéma pour la revue fondatrice Pilote, dont il est le rédacteur en chef et, surtout, imprègne ses différentes oeuvres de références au cinéma hollywoodien.
Cela se ressent bien entendu tout particulièrement dans les albums de Lucky Luke qu’il a scénarisés, fordiens en diable et riches en références, mais aussi dans ses storyboards pour Astérix. Si Uderzo était bien le dessinateur des albums de la série, on oublie souvent que Goscinny réalisait un storyboard sommaire à l’intention de son comparse, où sa vision dynamique se dégageait clairement. Quant à Astérix et Cléopâtre, un comparatif au sein de l’exposition entre le film de Joseph L. Mankiewicz avec Elizabeth Taylor et le dessin animé de 1968, mis en parallèle avec la comédie de Chabat, permet de se rendre compte là encore de cette influence hollywoodienne qu’il a si bien su traduire à l’écran, et de son inventivité à traduire l’esprit de la BD au sein du cinéma d’animation.
Un hommage ludique et vivant au Walt Disney français
Contrairement à certaines expositions assez « bavardes » et un peu trop figées de la Cinémathèque — comme l’exposition François Truffaut, par exemple — Goscinny et le cinéma offre un parcours agréablement vivant, immersif, ludique et pertinent. Après une introduction revenant sur ses influences cinéphiles, et notamment son amour pour l’oeuvre de Walt Disney, qui lui a donné envie de se lancer dans la bande-dessinée — son ami Gotlib le surnommera d’ailleurs Walt Goscinny pour son statut de Walt Disney français — le visiteur traverse différentes salles consacrées chacune à l’une de ses oeuvres-phares : Le Petit Nicolas, Astérix et Lucky Luke. Pour chacune d’entre elles, la scénographie nous fait pénétrer de plein pied dans l’univers de chaque série : des bureaux d’écolier et marelle pour la partie dédiée au Petit Nicolas, la salle consacrée à Astérix est placée sous le signe de l’Egypte, tandis que nous pénétrons dans un saloon pour Lucky Luke.
Quant aux deux autres salles, centrées sur l’art de l’animation des studios Idéfix et les apparitions télévisées de Goscinny pour ses Minichroniques, elles respectent là encore ce principe d’immersion. Un plan de travail d’animateur trône au milieu d’une table, et l’on peut feuilleter aisément le carnet de croquis, avant d’admirer les celluloïds et d’en apprendre plus sur la technique du cinéma d’animation grâce aux documents exposés. Une fois n’est pas coutume, les textes explicatifs ne prennent pas toute la place et restent relativement concis, de sorte que l’attention se reporte en premier lieu sur les planches originales, celluloïds, extraits d’archives, etc.
Une expo incontournable pour petits et grands
Les planches choisies mettent en valeur les références cinématographique des BD scénarisées par Goscinny, tandis que ses documents de travail soulignent son approche cinématographique du 9e art, à commencer par ses scénarios de BD présentés de manière assez similaire à celle des scripts de longs-métrages, avec les descriptions d’un côté et les dialogues de l’autre. Si l’on a le temps, on pourra également écouter au casque la dernière réunion de travail du maître aux studios Idéfix avant sa disparition prématurée à l’âge de 51 ans, où la précision de son regard, son humour et sa bienveillance font mouche. On pourra aussi découvrir les planches d’une histoire de Goscinny dessinée par Jean Giraud (futur Mobius) pour Pilote, les photos de tournage du Viager, admirer les costumes des adaptations live d’Astérix, se prendre en photo avec Astérix et Obélix (des prix seront à remporter sur les réseaux sociaux) et regarder de nombreuses vidéos d’archive.
Les enfants ne sont évidemment pas oubliés puisqu’un petit livret gratuit Idéfix leur sera remis à l’accueil avec des jeux et des énigmes à résoudre tout au long du parcours en faisant appel à leur capacité d’observation. Les adultes désireux d’explorer plus en profondeur les liens de l’auteur avec le cinéma pourront se tourner vers le très beau catalogue de l’exposition, Goscinny et le cinéma : Astérix, Lucky Luke & Cie, très complet, qui propose (entre autres) des entretiens inédits avec Uderzo, Patrice Leconte ou Alain Chabat.
Voilà donc une exposition comme on aimerait en voir plus souvent : originale, dynamique et immersive, mettant à l’honneur bande-dessinée, cinéma d’animation et comédie française pour mieux redécouvrir l’oeuvre d’un auteur incontournable, dont le cinéma est demeuré jusqu’à la fin de sa vie sa plus lancinante « idée fixe ».
Exposition Goscinny et le cinéma, du 4 octobre 2017 au 4 mars 2018 à la Cinémathèque Française, 51 rue de Bercy, 75012 Paris (métro Bercy, lignes 6, 14). Tarifs : 11€ (plein tarif), 8,50€ (tarif réduit), 5,50€ (moins de 18 ans). Ouvert de 12h à 19h les lundi, mercredi, vendredi, de 12h à 21h le jeudi, et de 11h à 20h le week-end. Visites guidées le week-end à 15h30, et ateliers « Animation studios Idéfix » par les étudiants de l’école d’animation Georges Méliès le samedi de 15 à 18h. Cycle de projections Cléopâtre au cinéma du 14 au 27 octobre 2017. Réservation en ligne et informations sur le site de la Cinémathèque.