[Critique] Un raccourci dans le temps : Interstellar pour les préados

Caractéristiques

  • Titre original : A Wrinkle in Time
  • Réalisateur(s) : Ava DuVernay
  • Avec : Oprah Winfrey, Reese Witherspoon, Mindy Kaling, Storm Reid, Chris Pine, Gugu Mbatha-Raw, Zach Galifianakis, Michael Pena...
  • Distributeur : The Walt Disney Company France
  • Genre : Fantastique, Famille
  • Pays : Etats-Unis
  • Durée : 1h50
  • Date de sortie : 14 mars 2018
  • Note du critique : 6/10

Un Disney à la sauce fantasy-SF

Adapté d’un roman de Madeleine L’engle publié en 1963 et devenu un véritable best-seller de la littérature jeunesse aux États-Unis, Un raccourci dans le temps se distingue par son casting féminin de prestige. Oprah Winfrey, Reese Witherspoon (Big Little Lies) et Mindy Kaling incarnent trois divinités venues d’une autre dimension prêtant main forte à une adolescente et son petit frère, partis à la recherche de leur père scientifique porté disparu depuis 4 ans… Avec son affiche haute en couleurs et le look assez kitsch des vedettes féminines, ce nouveau long-métrage des studios Disney a en apparence tout pour effrayer le spectateur adulte égaré. Pourtant, il faut replacer les choses dans leur contexte : le film vise très clairement les ados et (surtout) les préados auquel son message positif est destiné; d’autre part, il rend hommage, dans une certaine mesure, aux films fantasy des années 80 tout autant qu’au Magicien d’Oz de Victor Fleming. 

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© The Walt Disney Company France

Le classique de L. Frank Baum, adapté à la fin des années 30 avec Judy Garland dans le rôle principal possède d’ailleurs un point commun avec le roman de Madeleine L’Engle : il s’agit d’une parabole naïve autour du sentiment d’appartenance auquel nous fait accéder l’amour. En partant de chez elle, Dorothy rencontre des tas d’amis en chemin avant de réaliser qu’elle les connaissait tous déjà (Oz est un rêve qu’elle fait en reconfigurant les éléments de sa réalité durant son sommeil) et qu’il n’y a “rien de tel que chez soi”. Le récit de L’Engle est quelque peu différent, mais l’héroïne effectue là encore un très long voyage pour retrouver le sentiment d’appartenance qu’elle a perdu lorsque son père (Chris Pine) a disparu. Celui-ci étant un éminent scientifique, c’est à lui que l’on doit, dans l’histoire, une sorte de voyage spatio-temporel révolutionnaire qui s’effectue par la seule pensée. Cette dimension de l’intrigue, ainsi que les trois divinités incarnées par les Madame (Madame Qui, Madame Quidam et Madame Quiproquo) sont utilisées par l’auteure afin de tisser une métaphore autour de l’amour qui transcende la distance et le temps au sein d’un récit initiatique somme toute assez classique, même s’il était assez original à l’époque, puisqu’on comptait alors peu d’héroïnes dans la littérature de science-fiction, fut-elle pour enfants.

Des aventures pleines de fantaisie et de bons sentiments

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© The Walt Disney Company France

Disney a choisi de tout miser sur cette dimension symbolique, faisant d’Un raccourci dans le temps une sorte d’Interstellar pour préados – toutes proportions gardées. Car c’est bien en prenant pour fréquence l’amour (si si !) que les personnages ont la possibilité de se téléporter à l’envie d’une dimension et d’un monde à l’autre. Cela donne le ton de l’ensemble. A partir de là, soit on est allergique à toute esquisse de bons sentiments et on rebrousse très vite chemin, ou on se laisse tenter si l’on a gardé une âme d’enfant et dans ce cas, on peut être séduit par certaines qualités de l’oeuvre. Ainsi, si le message et sa portée ont tendance à être un peu trop surlignés (notamment dans les dialogues de la conclusion, qui pourra prêter à sourire), le film d’Ava DuVernay apparaît dans l’ensemble assez touchant et, surtout, plein de fantaisie.

Qu’il s’agisse de l’interprétation toute en malice de Reese Witherspoon ou d’une séquence très Technicolor au milieu des fleurs, Un raccourci dans le temps réserve de jolis moments, tout à fait plaisants. Alors certes, on pourra regretter que le premier monde où arrivent les héros ressemble de prime abord à un fond d’écran Mac, ou encore que certains effets spéciaux manquent de finesse, mais force est de constater que le film se laisse regarder sans déplaisir, tant que l’on accepte que l’on ne fait pas forcément partie du public visé. Surtout, on est agréablement surpris de voir la réalisatrice de Selma insuffler une personnalité véritable à des scènes-clés, comme l’arrivée dans le premier monde, filmée de manière assez brute et très sensorielle, en rupture avec le style habituel des films Disney en live action, de facture plus classique, carrée. Ces passages nous font d’ailleurs regretter le fait que ce style ne soit pas davantage présent d’un bout à l’autre de cette aventure inter-spatiale. Toujours est-il que ces ruptures de ton interviennent toujours aux bons moments.

Un message d’empowerment pour le jeune public

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© The Walt Disney Company France

La cible étant les préados, que pourront retirer les jeunes spectateurs d’Un raccourci dans le temps ? Sans surprise, on trouve un message d’empowerment qui se trouve renforcé par le fait que l’héroïne est une jeune métisse. Meg se compare beaucoup à ses camarades de classe branchées et ne s’aime pas beaucoup, elle l’élève rebelle et en apparence terne. D’où le choc qu’elle éprouve quand un beau garçon s’intéresse à elle sans se soucier de sa “réputation”. De ce côté-là, le film ne fonctionne pas très bien, sans doute parce-que l’acteur interprétant Calvin, son “amoureux”, est très lisse et ne dégage pas grand chose, même si le scénario tente de lui donner de l’épaisseur en lui inventant un père autoritaire et abusif. De manière générale, l’intrigue montre comment Meg va apprendre à gagner en assurance en se faisant confiance et en revendiquant ce qu’elle considère comme des défauts. Il est donc question d’affirmation et, si ce thème aurait pu être illustré de manière plus éloquente par moments au sein du film, il est traité avec une certaine justesse dans l’ensemble.

Les relations parents-enfants, mais aussi frère-soeur occupent par ailleurs une place centrale et pourront interpeller les adolescents dont les parents ont divorcé. Difficile en effet de ne pas voir dans cette histoire de père mystérieusement disparu la métaphore de l’éloignement de l’un des deux parents du foyer, même si les parents de Meg sont très amoureux. C’est d’ailleurs de ce côté-là que le film se révèle le plus pertinent, lorsque Meg et son petit frère (impressionnant Deric McCabe) retrouvent enfin leur père et lui expriment ce qu’ils ont pu éprouver en son absence. Si le petit Charles Wallace est à ce moment-là possédé, le message sous-jacent est assez clair et parle de manière assez incisive du sentiment d’abandon que peuvent ressentir les enfants lorsque l’un des parents quitte le toit.

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© The Walt Disney Company France

Ainsi, si Un raccourci dans le temps n’est pas exempt de défauts (loin s’en faut), il saura parler au jeune public (à partir de 10-11 ans) et faire sourire une partie des adultes les accompagnant grâce à une réalisation soignée, des références à de grands classiques du cinéma SF tels que Le village des damnés ou Les femmes de Stepford, et une fantaisie qui a ici le visage de Reese Witherspoon. La grande prêtresse des médias US Oprah Winfrey, dont on vous parlait du livre de cuisine récemment, quant à elle, tient de manière satisfaisante son rôle de mère sagesse tandis que Mindy Kaling patine un peu en déesse qui ne s’exprime que par citations philosophiques, lesquelles sont à peu près toutes américaines. Malgré les effets spéciaux assez kitsch et la manière de bien surligner le message sur la force de l’amour, on ressort de ce nouvel opus plutôt charmés par la dimension attachante de l’ensemble. Un plaisir coupable honnête.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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