Alors qu’Une Pluie Sans Fin, récemment couronné du Grand Prix du Festival international du Film Policier de Beaune 2018, sort en salles le 25 juillet 2018, nous avons pu rencontrer son réalisateur, Dong Yue. Une véritable découverte, puisqu’il s’agit de son premier film, et déjà une œuvre forte…
Culturellement Vôtre : Une Pluie Sans Fin est votre premier film. Il est difficile d’obtenir des informations sur votre parcours, pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Dong Yue : Je suis diplômé d’un Master en prise de vue, à l’Académie du cinéma de Pékin, en 2006. Donc, ma formation initiale est celle d’un chef opérateur. J’ai été plus spécialisé dans la technique et puis, à l’issue de cette formation, entre 2006 et 2010, j’ai travaillé en tant que chef opérateur, sur des films qui n’ont pas connu de grands succès. Et j’ai constaté, pendant ces quelques années, que je n’avais pas le moyen de m’exprimer réellement, en me concentrant uniquement sur le travail de l’image. Il faut dire que je ne suis pas tombé sur des projets très épatants, du coup j’ai remis en question cette carrière qui me tendait les bras.
De 2010 à 2012, je me suis cherché. Il fallait que je retrouve un centre d’intérêt, pour le cinéma. Au bout de cette quasi inactivité, en 2012, j’ai constaté que je voulais devenir réalisateur, c’était évident. Mais je ne savais pas par où commencer, et je n’étais pas dans un réseau particulier. Pas de contacts qui auraient pu me permettre d’accéder à cette profession. Et puis, en 2012, il y a eu du changement : on m’a proposé des petits projets. Des publicités, des films institutionnels. Du coup, sur ces travaux d’ampleur limitée, moins importants que de la fiction, j’ai pu être autonome, travailler comme réalisateur à part entière, et ça m’a été très utile.
Je vais vous raconter une anecdote. En 2010, j’ai accepté un travail, pour réaliser un clip, commandé par un grand patron d’un important groupe pharmaceutique. Ce dernier avait une maitresse, une chanteuse. Donc, il lui paie cette vidéo (rires). Il m’a confié la réalisation. Ce monsieur me donnait tout le temps des contraintes, des indications, pas toujours pertinentes, ni très professionnelles. Mais j’étais tout de même très heureux de pratiquer le métier de réalisateur.
Culturellement Vôtre : Une Pluie Sans Fin est un peu à la croisée des cultures. On peut y voir un peu de Seven, un peu de Memories Of Murder. Un peu d’Asie et d’Occident. Était-ce quelque chose qui vous tenait à cœur ?
Dong Yue : C’est mon premier long métrage. J’ai travaillé de façon très spontanée, et instinctive. En tant que simple cinéphile, je me suis inspiré de films que j’ai aimé. Dont, effectivement, Seven et Memories Of Murder. Aussi, au niveau de l’image, je m’inspire des Frères Coen, de David Fincher. Quant à l’esprit, l’écriture, deux films m’ont beaucoup servi : Vertigo, d’Alfred Hitchcock, et Conversation Secrète, de Francis Ford Coppola. Je dois aussi citer Jacques Lacan, le psychanalyste français.
Culturellement Vôtre : Une Pluie Sans Fin est aussi puissamment social. Le sujet de la rétrocession est-il encore dans toute les têtes ?
Dong Yue : Non, pas vraiment. La rétrocession a eu lieu voilà quelques décennies, ce n’est plus un sujet. Mais, en 1997, l’année où se situe l’intrigue du film, c’était tout autre chose. C’était quelque chose qui pouvait nous paraître très extraordinaire, et même excitant.
Culturellement Vôtre : Les acteurs sont brillants. Comment les avez-vous dirigé ? Ont-ils participé à la caractérisation de leurs rôles ?
Dong Yue : Prenons l’exemple du comédien principal, monsieur Duan Yihong, c’est un comédien de formation académique. C’est à dire qu’il est dans cet état d’esprit, cette école qu’on peut qualifier d’Actor Studio. Lui a fait beaucoup de préparation, y compris en allant jusqu’à l’immersion, sur les lieux de tournage, bien avant que celui-ci ne débute. Ensuite, sur le plateau, on a passé beaucoup de temps à échanger. Le but était de faire très peu de prises. Idem pour les séquences d’action, pour lesquelles nous répétions beaucoup, pour peu de prises. Nous avions aussi un directeur d’action, qui nous donnait des gestes clés, afin que tout soit plus crédible.
Culturellement Vôtre : Autre belle satisfaction, la photographie, ce qui paraît dorénavant très logique à la vue de votre formation initiale. Pouvez-vous nous en dire plus à propos de votre travail avec le chef opérateur ?
Dong Yue : Comme il s’agit de mon premier film, le producteur voulait mettre en place des équipes très expérimentées, pour m’épauler. Du coup, il m’a proposé un premier chef opérateur, originaire de Hong Kong. Quelqu’un de très connu, très installé, qui a remporté trois fois le Prix de la meilleure Photographie au Festival de Hong Kong. Donc, nous avons été ensemble aux repérages et, tout du long, j’ai senti qu’il n’était pas réellement investi dans ce projet. Du coup, j’ai fait l’effort d’aller vers lui, de créer des conversations, des discussions, sur le travail de la photographie, sur le film. Mais j’ai senti qu’il n’était pas enthousiaste. Donc, un jour, je lui ai donné rendez-vous dans un café, pour en parler. C’était notre dernière rencontre, et elle n’a pas duré plus d’une demie heure. À l’issue de cette conversation, j’ai décidé de changer de chef opérateur. Lui était très surpris. J’ai prévenu mon producteur, qui était très surpris à son tour. Il devait se demander si je n’étais pas devenu fou, si je ne m’écroulais pas sous la pression de la préparation. Mais je lui ai bien expliqué mes pressentiments, et ma méfiance envers quelqu’un qui n’était pas investi dans le projet. Cela représentait un danger potentiel. Le producteur a finalement accepté mon choix.
Il a donc fallu trouver un nouveau collaborateur. Ce fut assez difficile. J’étais persuadé qu’il fallait quelqu’un originaire de la Chine continentale. Quelqu’un de jeune, passionné par ce travail. Par l’intermédiaire d’amis, j’ai rencontré un jeune chef opérateur, nommé Cai Tao, qui n’avait qu’un seul film à son actif, un remake chinois de Douze Hommes en Colère. C’était une œuvre qui ne comportait pas beaucoup de défis techniques, mais j’ai senti qu’il s’agissait de quelqu’un qui avait des idées, et de la motivation. Je vais vous confier quelque chose : je ne suis qu’à moitié satisfait du résultat. Le tournage a duré 64 jours, et le premier mois était très satisfaisant. Mais, dans le second mois, il s’est déconcentré, et j’en suis moins content. Il y a des raisons personnelles à ce changement d’attitude. Et, aussi, le fait de tourner sous la pluie, en continu, ça a eu un fort impact psychologique sur l’équipe technique. Une bonne partie de l’équipe sombrait dans la dépression, tout comme les personnages du film. Si le tournage avait duré encore plus longtemps, il est probable que les gens auraient basculé dans la folie et le désespoir (rires).
Culturellement Vôtre : Justement, et pour finir, combien de litres d’eau ont été déversés sur le plateau ?
Dong Yue : C’est incalculable ! Rendez vous compte, 90% des scènes utilisent de la pluie artificielle. On attendait de véritables averses uniquement pour les plans plus larges, pour lesquels on ne pouvait pas tricher…
Propos recueillis par Mickael Barbato. Nos remerciements à monsieur Dong Yue, pour sa disponibilité. Ainsi qu’aux équipes de Wild Bunch et Mensch Agency.