Caractéristiques
- Titre : La Mule
- Titre original : The Mule
- Réalisateur(s) : Clint Eastwood
- Avec : Clint Eastwood, Bradley Cooper, Diane Wiest, Allison Eastwood, Andy Garcia...
- Distributeur : Warner Bros France
- Genre : Drame
- Pays : Etats-Unis
- Durée : 1h56
- Date de sortie : 23 janvier 2019
- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Le retour en grâce drôle et touchant de Clint Eastwood
Au cours des années 2000, l’on avait coutume de dire (et de lire) que Clint Eastwood livrait des films crépusculaires, pour ne pas dire testamentaires : Million Dollar Baby (2004) ou encore Gran Torino (2008) pouvaient en quelque sorte être considérés comme l’achèvement d’une longue carrière derrière et devant la caméra, où le mythe se craquelait et laissait apparaître l’homme dans toute son humanité, avec ses faiblesses. On a d’ailleurs longtemps cru que Gran Torino serait le dernier grand rôle de l’acteur puisqu’il n’était plus apparu sur grand écran depuis Une nouvelle chance en 2012. Et puis les années ont passé, l’artiste a continué de réaliser des longs-métrages de moins en moins concluants à quelques exceptions près, si bien que l’on s’est mis à penser que sa filmographie véritable était bel et bien achevée.
Et voilà que débarque La Mule, qui réunit toutes les qualités des meilleures comédies dramatiques : subtil, touchant, grave par moments et irrésistiblement drôle à d’autres. Avec un Clint Eastwood dans le rôle d’un horticulteur de 90 ans vif d’esprit, mais à la démarche claudiquante de petit vieux. L’histoire est inspirée de la vie de Leo Sharp, un vieil homme qui accepta de faire la mule pour le cartel mexicain de Sinaloa grâce auquel il gagna beaucoup d’argent avant d’être arrêté en 2011. Au-dessus de tout soupçon en raison de son âge avancé, il transportait des centaines de kilos de cocaïne dans son pick-up et n’écopa finalement que d’un an de prison en 2014, avant de mourir en 2016. Le film de Clint Eastwood nous montre comment Earl Stone (c’est le nom de son personnage) est engagé par le cartel tandis que l’agent du F.B.I interprété par Bradley Cooper recherche activement son identité à mesure que sa renommée grandit…
Une oeuvre testamentaire d’une infinie tendresse
Le scénario de La Mule est signé Nick Schenk, déjà à l’origine de Gran Torino et cela se ressent : Earl a beau être un vieil homme fort affable avec ses amis et le commun des mortels, les regrets qui l’animent au sujet de sa propre famille, ainsi que certains préjugés racistes dont il n’a pas conscience , le lient indubitablement au anti-héros en quête de rédemption qu’il incarnait dans son film de 2008. La Mule ressemble en quelque sorte à ce que son personnage de Gran Torino aurait pu être à 90 ans s’il avait bien vécu l’après-guerre, et s’il avait travaillé pour des gangsters au lieu de les pourchasser. Le thème de la difficulté des relations père-fille sont de nouveau centrales (bien que cette fois-ci les soucis relationnels sont étendus à toute la famille) et il n’est sans doute pas innocent que le cinéaste ait demandé à sa propre fille, Allison Eastwood, de jouer le rôle de sa fille à l’écran, qui refuse de parler à Earl depuis 17 ans.
Surtout, la thématique du temps qui passe, de la fragilité de la vie, est traitée avec une tendresse infinie et, si la mélancolie est présente, elle n’emporte pas le morceau comme cela pouvait être le cas dans Million Dollar Baby ou Gran Torino. Il y a au contraire un amour de la vie véritable qui transparaît, et une volonté de faire la paix avec le passé, de laisser reposer les vieux démons, qui donnent le sentiment que La Mule est sans doute un film très personnel pour Clint Eastwood, qui a aujourd’hui près de 89 ans. Le voir avancer, vaillant mais tout tremblant comme un papy, a quelque chose d’infiniment touchant, de même que ses échanges avec son ex-femme, dont la drôlerie des punchlines ne fait que davantage ressortir l’amour qui les a autrefois unis avant qu’il ne délaisse les siens.
Et puis, La Mule est également un film incroyablement rythmé, avec un bel équilibre entre action, tension, drame et humour. On ne le dira jamais assez, mais le cinéma de Clint Eastwood est loin d’être dépourvu d’humour, et il le prouve encore une fois avec des scènes qui s’inscrivent parmi les plus drôles de sa filmographie, à commencer par celles où Earl chantonne de vieux standards par-dessus la radio au volant de sa voiture, tout en étant suivi par les gangsters qui le chaperonnent. L’image, d’une belle sobriété, atteste quant à elle une fois de plus du talent du Canadien Yves Bélanger (Big Little Lies, Sharp Objects), qui travaille pour la première fois avec le cinéaste et apporte une certaine douceur à l’ensemble du film.
Pour toutes ces raisons, La Mule nous réconcilie avec Clint Eastwood cinéaste et permet à l’acteur de (probablement) terminer sa carrière devant la caméra sur un rôle fort. Loin de la noirceur de ses œuvres des années 2000, le cinéaste semble ici se délester de ses regrets et livre une œuvre testamentaire d’une tendresse infinie sur la famille et la beauté fragile de la vie, aussi éphémère que les fleurs que son personnage d’horticulteur cultive avec patience.