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[Critique] La Fille d’Albino Rodrigue : un film âpre mais sensible

Caractéristiques

  • Titre : La Fille d’Albino Rodrigue
  • Réalisateur(s) : Christine Dory
  • Scénariste(s) : Christine Dory, Lise Macheboeuf
  • Avec : Galatea Bellugi, Emilie Dequenne, Samir Guesmi et Romane Bohringer.
  • Distributeur : ARP Sélection
  • Genre : Drame
  • Pays : France
  • Durée : 93 minutes
  • Date de sortie : 10 Mai 2023
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 7/10

Plongée au cœur d’une famille dysfonctionnelle


Quinze ans après son premier long-métrage Les Inséparables, Christine Dory revient avec La Fille d’Albino Rodrigue, inspiré d’un fait divers et servi par un casting majoritairement féminin, avec Emilie Dequenne (Close)et Galatéa Bellugi dans les rôles principaux. Rosemay, jeune fille de 16 ans, est placée en famille d’accueil et ne rend visite à ses parents biologiques que pendant les vacances. Lors de l’un de ses retours, elle attend vainement son père à la gare et ne le trouve pas non plus à la maison. Sa mère, Marga, entretient le mystère sur cette disparition, se montrant évasive puis mentant de plus en plus effrontément à sa fille. Rosemay va alors tenter de comprendre ce qui s’est passé…

Malgré ce synopsis énigmatique, Christine Dory n’entend pas traîter son film à la manière d’un polar. Elle s’intéresse davantage à la progression mentale de son héroïne qui, malgré son manque de repères et de confiance en elle, va peu à peu apprendre à faire confiance à son intuition. Rosemay est un personnage difficile à cerner : on ne saura jamais vraiment la raison de son placement en famille d’accueil et, avec la disparition de son père, elle se retrouve confrontée au secret et au mensonge de Marga. Très fuyante, insupportable et culpabilisante, cette dernière se comporte avec égoïsme et désinvolture, se moquant totalement du mal-être de sa fille.

Christine Dory dit s’être intéressée à la « banalité du mal » à travers cette femme qui instrumentalise les autres et semble dénuée de toute morale et de tout amour filial. Aucun dialogue n’est possible entre la mère – effrayante, mais également tristement quelconque, se cachant derrière de nombreuses expressions toutes faites – et sa fille, souvent mutique mais attentive. Alors que la famille semble être l’obsession de tous, le long-métrage nous la représente déconstruite, toxique et conflictuelle. Tout n’est que non-dits et déceptions. Rosemay peine d’ailleurs à s’intégrer auprès de ses parents adoptifs (Samir Guesmi et Romane Bohringer) et rejette toute nouvelle personne pouvant lui apporter de l’affection.

Une mise en scène sobre mais signifiante

image galatea bellugi albino rodrigue la fille
|Copyright ARP Sélection

Comme le suggère son titre, le film se concentre quasi exclusivement sur le personnage de Rosemay. Galatéa Bellugi est de quasiment tous les plans, et la caméra est au plus près de son personnage et ses émotions. On ne suit les autres personnages que lorsqu’ils entrent dans le champ de vision de la jeune fille. Préférant l’observation à l’action, Rosemay est souvent discrète et passive, et la réalisatrice adopte par mimétisme une mise en scène tout en sobriété, avec une caméra plutôt fixe.

Cependant, le choix des cadres est toujours signifiant. Ainsi, pour marquer la confrontation entre Marga et sa fille – dont la ressemblance physique est par ailleurs assez bluffante – Christine Dory oppose l’immobilité de Rosemay au mouvement perpétuel de sa mère. Alors que le visage de Galatéa Bellugi est souvent filmé en gros plan, Marga est toujours lointaine, fuyante, dans l’encadrement d’une porte ou d’un miroir. Mère et fille se retrouvent rarement dans le même cadre, et quand elles le sont, l’une tourne le dos à l’autre. La mise en scène appuie donc subtilement le propos et souligne leurs difficultés de communication. Christine Dory fait également s’affronter deux modèles de famille : la famille d’accueil à laquelle elle réserve des plans larges – la ferme devenant un lieu de guérison et de liberté pour Rosemay – et la famille biologique pour laquelle les plans resserrés sont privilégiés, suggérant l’étouffement et l’enfermement dans ce foyer étriqué.

La direction d’acteurs précise de Christine Dory met enfin en valeur le talent des deux actrices principales. Galatéa Bellugi et Emilie Dequenne livrent une partition très juste, la première tout en subtilité et la seconde très convaincante grâce à son jeu brut et sans manières.

Âpreté et sensibilité

image emilie dequenne albino rodrigue la fille
Copyright ARP Sélection

La Fille d’Albino Rodrigue est donc avant tout un film de personnages. Néanmoins, ces derniers ne sont pas tous aimables, et la protagoniste elle-même se révèle souvent froide et distante. Elle ne s’ouvre qu’à de rares instants, auprès notamment de son frère Manuel (Matthieu Lucci) ou de la petite Sosha (Elsa Hyvaert) qui intègre après elle la famille d’accueil. Cette réserve proche de l’austérité se ressent dès les premières images du film, et dans son affiche même, assez sombre, représentant le visage fermé de Rosemay devant un paysage gris et triste.

Les décors sont choisis pour accentuer cette impression de froideur et de morosité. Christine Dory a cherché dans la région Grand-Est un environnement proche de celui où elle a grandi, une banlieue industrielle et minière. Cette toile de fond hétéroclite et impressionnante rebute un peu et rappelle le contexte social modeste des personnages. Même si ces derniers ne semblent pas souffrir de problèmes d’argent récurrents, la réalisatrice suggère ainsi leur manque d’éducation et de références, et pointe du doigt la difficulté de repousser le déterminisme social. A l’image du sujet et des personnages, la mise en scène se veut simple et directe, avec une utilisation très réduite de la musique et une présence importante de dialogues. Ces derniers se révèlent souvent bruts et spontanés et, même s’ils n’apportent pas toujours les réponses escomptées, ils confèrent à ce film un peu âpre une sensibilité opportune.

Avec La Fille d’Albino Rodrigue, Christine Dory choisit de traiter le thème de la disparition d’une manière très particulière. Loin de suivre les codes du polar et du thriller, elle accorde aux personnages une place centrale et met en scène leurs difficultés à communiquer au sein d’une famille dysfonctionnelle. Même s’il semble par instants un peu froid et âpre, le long-métrage convainc grâce à sa mise en scène subtile et à l’interprétation tout en nuances de ses deux actrices principales.

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucie Lesourd aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles.

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