Caractéristiques
- Titre : Le Croque-Mitaine
- Titre original : The Boogeyman
- Réalisateur(s) : Rob Savage
- Avec : Chris Messina, Sophie Thatcher, Vivien Lyra Blair, David Dastmalchian, Marin Ireland et Madison Hu
- Distributeur : The Walt Disney Company France
- Genre : Epouvante-horreur, Thriller
- Pays : Etats-Unis
- Durée : 98 minutes
- Date de sortie : 31 mai 2023
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- Note du critique : 6/10 par 1 critique
Quand Stephen King sert de prétexte…
Le Croque-Mitaine n’est pas la première adaptation de la nouvelle The Boogeyman de Stephen King, publiée initialement en 1973 dans le magazine Cavalier, puis dans le recueil Danse macabre de 1978. Un court-métrage de 28 minutes existe déjà, réalisé en 1982 par Jeff Schiro, et disponible – à la demande du réalisateur – gratuitement sur YouTube. Si le synopsis du récit est intrigant, force est de constater qu’il ne se prête pas de manière évidente à une adaptation en long-métrage. On y suit en effet un simple tête-à-tête entre un psychiatre, le Docteur Will Harper (Chris Messina, Birds of Prey), et un homme très perturbé, Lester Billings (David Dastmalchian, The Suicide Squad), qui se présente un jour sans rendez-vous à son cabinet pour lui raconter la mort successive de ses trois enfants, tués par un monstre mystérieux : le croque-mitaine.
Dans le film de 2023, réalisé par Rob Savage (Host), cet entretien en huis-clos bref et énigmatique ne sert que de point de départ à un long-métrage qui prend rapidement une toute autre direction. Lester Billings n’apparaît que dans cette scène unique – qui ne se termine d’ailleurs pas du tout comme la nouvelle de King – et le film se recentre rapidement sur Will Harper et ses deux filles : Sadie (Sophie Thatcher), jeune lycéenne, et sa petite sœur Sawyer (Vivien Lyra Blair), qui viennent de perdre tragiquement leur mère.
Là où la force de la nouvelle réside dans son côté court et percutant, le long-métrage doit au contraire prendre le temps d’installer une atmosphère, des personnages forts et des enjeux, et c’est là que le bât blesse. Rob Savage peine, en effet, à faire de l’arrière-plan de la nouvelle – le Docteur Harper et sa famille – le thème principal de son projet. Le mystère du tête-à-tête et l’ambiance pesante que The Boogeyman parvenait à instaurer se dilue ici dans un long-métrage étiré qui devient rapidement un film à jumpscare des plus classiques.
Film d’horreur ou teen drama ?
Dans Le Croque-mitaine, tout ou presque se passe entre l’école et la maison, deux lieux de choix pour un teen drama, et les thèmes de la famille et de l’enfance prennent rapidement le pas sur l’horreur et le suspense. On suit dans leur quotidien Sadie et Sawyer, qui essayent de se reconstruire après la mort de leur mère. Sawyer n’est plus capable de supporter l’obscurité, ce qui l’oblige à dormir dans une pièce éclairée, et elle ne se déplace jamais le soir sans une grosse veilleuse ronde et lumineuse. Notons que cet accessoire donnera lieu à quelques bonnes idées de mise en scène face au monstre tapi dans l’ombre. Quant à Sadie, elle ne s’entend plus avec ses camarades et ne parvient pas à retrouver sa place au lycée. A mi-chemin entre l’enfance et l’âge adulte, elle oscille entre la peur juvénile et le scepticisme parental face au paranormal, entre l’envie de croire et la tendance à rationaliser.
Le film se concentre également sur la relation qui unit le père et ses filles, et sur la difficulté de communiquer au sein d’une famille, notamment lorsqu’elle vient de vivre un drame. Le deuil et la culpabilité sont au cœur du long-métrage et cette volonté du réalisateur d’y insuffler une certaine mélancolie entraîne un rythme plutôt lent, qui le rapproche parfois davantage du drame que de l’horreur.
Un tel mélange des genres pourrait s’avérer très intéressant si Rob Savage parvenait à provoquer suffisamment d’empathie pour ses personnages. Malheureusement, ces derniers peinent à convaincre pleinement, tant dans leurs émotions que leurs réactions – parfois absurdes – face aux phénomènes mystérieux auxquels ils sont confrontés.
Divertissant mais inégal
Il serait malgré tout injuste de ne pas saluer l’impact très réussi de certains effets horrifiques. La maison, lieu rassurant et refuge par excellence, devient menaçante et de plus en plus sombre au fur et à mesure que le croque-mitaine gagne du terrain. Véritable allégorie du chagrin, il se nourrit de la douleur des personnages et gangrène progressivement les lieux. Paul Graff, directeur des effets visuels, a inventé de toutes pièces une créature numérique effrayante et impressionnante, et Rob Savage a par instants recours à une violence graphique assez jouissive, notamment dans la dernière partie du long-métrage.
Le réalisateur sait jouer avec les peurs enfantines et utilise astucieusement l’ombre et la lumière, ainsi que les arrière-plans inquiétants, grâce au travail du chef décorateur Jeremy Woodward. Ainsi, la mère de Sadie et Sawyer étant une artiste, les murs de leur maison sont ornés de ses œuvres, et notamment de portraits. Le cadre les révèle par instants, tels des monstres prêts à surgir dans le dos des personnages, ce qui crée une sensation de malaise et une menace insidieuse. Rob Savage utilise, par ailleurs, quelques mouvements de caméra bien choisis, comme ce plan présent dans la bande-annonce, où la petite Sawyer vérifie le dessous de son lit, et où la caméra se retourne pour suivre son regard, faisant s’inverser le haut et le bas de la pièce.
Le reste de la mise en scène demeure cependant très classique et, malgré le montage plutôt dynamique de Peter Gvozdas (American Nightmare), le rythme du film est souvent un peu décousu, sans véritable climax. La musique, composée par Patrick Jonsson, est quant à elle très anecdotique, et ne sert globalement qu’à renforcer des jumpscares attendus, dont l’usage constant dans le cinéma d’horreur actuel peut clairement lasser les amateurs du genre.
Le Croque-mitaine est donc un divertissement sympathique, mais très inégal. S’il recèle quelques bonnes idées de mise en scène et s’appuie sur un bon pitch de départ, il ne parvient ni à adapter fidèlement la nouvelle de Stephen King, ni à s’en affranchir pleinement. La proposition finale est donc un film de monstre classique à jump scare qui nous fait plutôt passer un bon moment, mais qui manque malheureusement de personnalité.