Caractéristiques
- Titre : Yannick
- Réalisateur(s) : Quentin Dupieux
- Scénariste(s) : Quentin Dupieux
- Avec : Raphaël Quenard, Pio Marmaï, Blanche Gardin, Sébastien Chassagne, Agnès Hurstel, Jean-Paul Solal...
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Genre : Comédie
- Pays : France
- Durée : 1h07
- Date de sortie : 2 août 2023
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- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Un huis-clos caustique à l’intérieur d’un théâtre
Un soir de semaine à Saint-Germain-des-Prés à Paris, du côté d’Odéon. Trois comédiens bien rodés jouent une énième représentation d’un vaudeville lambda dans un théâtre face à un public conquis… Jusqu’à ce que l’un des spectateurs, un jeune marginal inculte en blouson de cuir, Yannick, interrompe la représentation car il trouve le spectacle mauvais et déprimant. Il souffre bien assez au quotidien dans sa triste existence pour éviter qu’on lui en rajoute avec des histoires de femme infidèle. Comme les comédiens et le public le rabrouent et refusent de réagir, le mécontent décide de prendre la salle en otage : il va écrire une pièce de théâtre digne de ce nom et la troupe va devoir se plier à ses directives…
Onzième long-métrage du très prolifique Quentin Dupieux en l’espace de 16 ans, Yannick est également l’un de ses plus courts (tout juste 67 minutes) et l’un de ses plus directs, bien loin des scénarios plus alambiqués de Réalité, du Daim ou encore de Incroyable mais vrai.
Une réflexion humoristique sur la notion de divertissement populaire
Par le parti pris même de son intrigue, ce huit clos pose la question, récurrente au sein de la critique, du divertissement populaire et de l’élitisme culturel. Un spectacle de divertissement véritablement populaire doit-il permettre, comme l’avance le naïf preneur d’otage, de se « changer les idées » à tout prix à la fin d’une journée pas forcément plaisante ? Et, dans ce cas, quels seraient les critères d’une telle œuvre ?
Quentin Dupieux a eu la bonne idée de faire jouer à ses acteurs des comédiens de vaudeville, genre populaire clairement sur-représenté à Paris, où de nombreux théâtres (parmi les 130 salles que compte la ville !) en proposent tout au long de l’année, y compris dans des quartiers assez chics. Admiré quand on évoque les classiques de Feydeau, le genre est ainsi souvent méprisé de la critique ou des spectateurs plus attirés par un théâtre « sérieux », même si ces spectacles n’attirent pas forcément qu’un public véritablement populaire, ce qui est le cas dans le film de Dupieux, où le public, assez représentatif de Saint-Germain-des-Prés, vient voir une représentation cliché d’un couple de la classe populaire qui se chamaille sur scène. Le film pose ainsi la question : qu’est-ce qu’un milieu artistique élitiste peut considérer comme étant « populaire » ?
Choc des classes et malaise
Bien sûr, comme il s’agit d’un film de Quentin Dupieux, cette question est abordée sous l’angle de l’absurde, en poussant les clichés à fond les ballons, Yannick étant une sorte de « white trash » à la française, un marginal isolé dans sa bulle sans tact ni savoir-vivre qui ne sait pas utiliser un logiciel de traitement de texte et à peine allumer un ordinateur. Le réalisateur français joue avec le malaise ressenti par les comédiens et les spectateurs face à ce drôle de personnage, et c’est clairement aussi, au départ, notre réaction face à cet hurluberlu, qui peut rappeler la réaction que l’on peut avoir face aux monologues alcoolisés de certains individus dans le métro, même si ses saillies permettent aussi de mettre en lumière certaines hypocrisies.
Le rôle était difficile et aurait pu se révéler ingrat voire franchement gênant s’il n’y avait eu, d’une part, une qualité d’écriture sans faille (que l’on pourrait rapprocher de celle d’Albert Dupontel par son mélange d’humour caustique et de poésie) et, de l’autre, un acteur à la hauteur de la tâche, qui réussisse à le rendre drôle et humain. Et c’est clairement le cas de Raphaël Quenard, qui rend le personnage tour à tour drôle, pathétique, enfantin, touchant, et assez fin manipulateur par moments.
Du coup, l’épineuse question du choc entre les classes sociales, centrale au sein du film, passe bien. Confronté à ces personnes fort différentes de lui face auxquelles il se sent invisibilisé au quotidien, Yannick brandit une arme qui va lui donner une assurance lui permettant de dire des choses qu’il ne dirait pas en temps normal, que ce soit sur les comportements des uns et des autres ou ce qu’il considère comme étant de l’art et du divertissement.
Des ruptures de ton inattendues
Sur la question de l’art, justement, le film pose la question de la facilité de la critique et sous-entend au départ qu’il est plus facile de critiquer que de créer (ce qui est palpable dans les difficultés de Yannick à écrire quelque chose qui se tient), avant de renverser en partie les choses par la suite puisque la critique n’est pas forcément vide de sens et que les artistes peuvent également se couper du public et de son ressenti s’ils n’y prennent pas garde.
Le cynisme d’une partie du milieu artistique est ainsi exploré à travers le pétage de plomb de l’un des comédiens (excellent Pio Marmaï), qui finit par dire ce qu’il a vraiment en tête à un public médusé lorsqu’il joue du vaudeville tous les soirs. On se rend alors compte qu’il s’agit d’un acteur frustré, qui avait d’autres ambitions, qui s’est retrouvé à jouer du vaudeville par défaut et méprise en réalité les pièces dans lesquelles il joue, voire son public. Hautain et sarcastique, une fois que son ego aura été regonflé par les spectateurs et ses collègues, il se sentira alors investi d’une mission pour terminer de jouer la pièce scénarisée et mise en scène par Yannick.
En ce sens, le film est (en partie) assez optimiste sur la nature humaine, avançant en creux que c’est le manque de communication et de contact entre les gens au quotidien qui nous rend malheureux au sein de notre société. L’esclandre de Yannick redistribue alors les rôles, abolit les frontières par la force et fait que les masques tombent et que les gens se révèlent. Cette seconde thématique ressort dans la seconde moitié du métrage.
Drôle, grinçant et absurde au départ, porté par un casting de grande qualité (Blanche Gardin, Sébastien Chassagne ou Jean-Paul Solal ne sont pas en reste), Yannick sait ménager d’un bout à l’autre des ruptures de ton parfaitement gérées.
Le film parvient ainsi à effectuer un renversement dans son dernier acte pour devenir un film touchant, quoique pessimiste sur notre société. Le personnage de Yannick, drôle mais volontairement gênant au départ, apparaît finalement assez émouvant dans la naïveté enfantine même qui transparaît de ses partis pris scénaristiques et de sa solitude. A tel point que le plan noir final, silencieux, qui intervient à l’issue du dernier rebondissement du métrage, en devient chargé d’une force émotionnelle inattendue.