[Critique] Daaaaaali ! Un hommage inspiré au maître des surréalistes

Caractéristiques

  • Titre : Daaaaaali !
  • Réalisateur(s) : Quentin Dupieux
  • Scénariste(s) : Quentin Dupieux
  • Avec : Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, Edouard Baer, Jonathan Cohen, Pio Marmaï, Didier Flamand, Romain Duris, Agnès Hurstel...
  • Distributeur : Diaphana Distribution
  • Genre : Comédie
  • Pays : France
  • Durée : 1h18
  • Date de sortie : 7 février 2024
  • Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
  • Note du critique : 8/10

Très prolifique ces dernières années, Quentin Dupieux (trois films sortis en 2022 tout de même !), est de retour avec Daaaaaali !, hommage ouvert au maître des surréalistes sous la forme d’une réflexion absurde et onirique autour de l’art, du cinéma et de l’ego où le réalisateur français invoque l’esprit de l’artiste, sur le fond comme sur la forme.

Une évocation onirique du peintre, visuellement très inspirée

Le film s’ouvre sur une citation directe de son tableau Fontaine nécrophilique (1932), avec le plan rapproché d’un piano percé d’où semble s’écouler une fontaine infinie en plein milieu d’un désert – l’un des paysages préférés de Dali. Le reste du film, qui joue beaucoup sur les ellipses (parfois d’un parfois d’un plan à l’autre), compte de nombreuses références visuelles à certains éléments de son œuvre (paysages, personnages). Il y a aussi beaucoup d’éléments visuels qui tiennent davantage de l’inspiration. Cela se traduit également par un jeu sur la profondeur de champ et la perspective dans la composition des plans, des images montées à l’envers et, bien sûr, des mises en abyme en série façon poupées russes…

Le réalisateur l’a clairement mis en avant lors de la promotion : il voulait à tout prix éviter de réaliser un biopic sur Salvador Dali, mais était davantage intéressé par lui rendre un hommage sincère en montrant comment il a fait de sa vie, mais aussi de sa personnalité et sa manière de communiquer auprès des médias, sa plus grande œuvre. Sur ce plan, c’est tout à fait réussi, et Daaaaaali ! est clairement l’un des meilleurs films de Quentin Dupieux de ces dernières années, très différent dans le ton de ses métrages les plus récents, et plus proche de son Réalité avec Alain Chabat (qui était en partie un hommage à David Lynch), tout en cultivant toujours le goût de l’absurde qu’il affectionne.

edouard baer et anaïs demoustier dans daaaaaali de quentin dupieux

Dali démultiplié, partout et nulle part

Pour lier cette déclaration d’amour artistique à une réflexion stimulante sur l’art, Dupieux fait le choix de raconter l’histoire d’un reportage impossible sur le peintre en suivant le parcours de Judith (Anaïs Demoustier), jeune journaliste mal assurée fraîchement débarquée à Paris et qui rêve de rencontrer Dali afin de l’interviewer et d’en faire le portrait en le suivant dans ses pérégrinations. Malheureusement, de malentendus en annulations, déconvenues et échanges absurdes, elle va avoir le plus grand mal à mener à bien son projet, renforçant son syndrome de l’imposteur. Anaïs Demoustier se révèle d’ailleurs intéressante dans le rôle de la jeune journaliste naïve et idéaliste, alors même que son rôle aurait pu être trop lisse.

Le parti pris de faire jouer Dali par différents acteurs (Edouard Baer, Jonathan Cohen, Gilles Lellouche et Vincent Elbaz) rappelle clairement L’imaginarium du Dr Parnassus de Terry Gilliam (ex-Monty Python, dont l’humour se fait également sentir ici) et rajoute évidemment à la dimension onirique et surréaliste. Le résultat est assez drôle et convaincant, chacun s’appropriant le personnage à sa manière sans que jamais le film perde sa cohérence d’ensemble.

vincent elbaz en voiture dans daaaaaali de quentin dupieux

Satire de l’art contemporain et réflexion sur l’art et l’ego

Quentin Dupieux met également l’accent, à travers le parcours de Judith, sur la dimension satirique du milieu du journalisme et de l’audiovisuel parisien, où les apparences et les egos comptent davantage que la réalité. Cet aspect est principalement amené par le biais de ses échanges avec le producteur avec lequel elle collabore (interprété par un Romain Duris toujours convaincant), qui lui donne des conseils sur sa tenue et l’attitude (aguicheuse) qu’elle devrait adopter selon lui pour parvenir à ses fins, et qui essaie clairement de se faire passer pour plus gros qu’il n’est alors qu’il est fauché. Il commence par caresser la jeune femme dans le sens du poil pour mieux s’en servir avant de la rabaisser de manière méprisante et très hypocrite face à ses échecs avec l’artiste.

Toute la partie avec le récit du rêve enchâssé raconté par le curé, avec des faux réveils en série (puis de fausses fins dans le dernier tiers du métrage) est drôle, permet de jouer avec la perte de repères progressive du personnage de Judith et le principe de la mise en abyme, mais aussi des déplacements oniriques. Cela permet également à Dupieux de lier la personnalité de Dali et son parcours à ceux de Judith en proposant une satire du milieu de l’art contemporain, où l’argent et le marketing (présenté sous forme conceptuelle) priment. Ce qui est très pertinent par rapport à Salvador Dali, artiste de génie mais aussi génie de la communication, parfois considéré comme controversé (au-delà de ses prises de position politiques), qui n’a jamais dissimulé son goût pour l’argent et la communication et qui pouvait aussi, bien avant Andy Warhol, reprendre certains éléments préexistants – comme pour son tarot, œuvre où, si l’on retrouve bien ses dessins et collages surréalistes, il utilise également des morceaux de tableaux classiques, par exemple.

Cette question centrale du culte de la personnalité et du fait de faire de sa vie et sa personne son œuvre permet, avec les doutes du personnage de Judith, d’interroger la question du talent et, surtout, sa perception : celle-ci n’est-elle pas, au fond, au-delà des qualités intrinsèques d’une œuvre, beaucoup une question de confiance en soi ? Un artiste comme Dali, à l’ego surdimensionné, a su se créer une aura charismatique qui lui a permis de tout assumer, par exemple, tandis que Juditb, qui est empêtrée dans ses doutes et cherche la reconnaissance (et donc une approbation extérieure), a du mal à s’imposer et à sortir de sa condition de jeune provinciale sans beaucoup de ressources ni véritable réseau.

Le dernier acte du film, mêlant inspirations de Buñuel et de David Lynch (autres génies surréalistes) à la patte et à l’univers propres à Dupieux, pousse la mise en abyme de plus en plus loin avec beaucoup de brio, jusqu’à un final malicieux fidèle à l’esprit de Dali, et qui achève de faire de Daaaaaali ! une évocation surréaliste fort recommandable (mais aussi inspirante) de l’œuvre et l’esprit de l’artiste provocateur et iconoclaste.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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