Caractéristiques
- Titre : Emilia Perez
- Réalisateur(s) : Jacques Audiard
- Scénariste(s) : Jacques Audiard
- Avec : Zoe Saldaña, Karla Sofía Gascón, Selena Gomez, Adriana Paz, Edgar Ramírez et Mark Ivanir.
- Distributeur : Pathé
- Genre : Drame, Comédie musicale, Thriller
- Pays : France, Mexique, Etats-Unis
- Durée : 130 minutes
- Date de sortie : 21 août 2024
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- Note du critique : 9/10 par 1 critique
Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2024, le onzième film de Jacques Audiard, Emilia Perez, a remporté le Prix du Jury et le Prix d’interprétation féminine pour l’ensemble de ses actrices. Dans ce long-métrage magistral, alliant film de gangster, drame et comédie musicale, Rita (Zoe Saldaña), avocate mexicaine surqualifiée et surexploitée, exerce un travail dans lequel elle dépérit à petit feu. Le gros cabinet qui l’emploie est, en effet, plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. C’est alors que Manitas Del Monte, chef de cartel, la recrute pour qu’elle l’aide à réaliser le rêve qui l’habite depuis toujours : devenir une femme…
Une comédie musicale virtuose
Avec ce pitch inattendu, Emilia Perez apparaît immédiatement comme un film inclassable. Dès les premières minutes, des sonorités planantes et électro se font entendre, et la musique ne cessera quasiment jamais, tout au long du long-métrage. Qu’il s’agisse de percussions, de chuchotements en arrière-fond, ou de partitions plus entêtantes, la bande-son est omniprésente et accompagne l’œuvre de manière remarquable. Les compositions de la chanteuse Camille et de son compagnon Clément Ducol ont d’ailleurs reçu le Prix Cannes Soundtrack 2024. Les airs de pop, de musique latino ou encore de rap se succèdent avec brio, et l’ensemble est extrêmement varié et original, marquant malgré tout le film d’une empreinte immédiatement reconnaissable.
A ces mélodies et chansons très efficaces et excellemment interprétées s’ajoutent quelques tableaux de danse époustouflants. Ces séquences sont tantôt surprenantes – toute une rue se mettant à danser autour de la protagoniste, d’une manière à la fois totalement inopinée et incroyablement fluide – tantôt hilarantes. Voir une bande de chirurgiens se mettre à pousser la chansonnette en déplaçant des lits d’hôpital est tout bonnement extraordinaire ! D’autres chorégraphies, créées par le talentueux Damien Jalet, sont au contraire glaçantes, comme la première impliquant Jessi (Selena Gomez), ou la magistrale scène de gala caritatif…
Une œuvre dense et complexe
Ces séquences sont sublimées par une mise en scène virtuose, usant de tous les procédés possibles pour appuyer le propos ou l’émotion recherchés par Jacques Audiard : plans variés, travellings, split screen, caméra subjective, jeux de lumières travaillés… La caméra est extrêmement mobile et sait mettre en valeur chaque instant, parfois au plus près des personnages pour susciter l’empathie, parfois virevoltante pour introduire les tableaux dansés.
Emilia Perez est une œuvre très dense, et sa longueur – peut-être un peu excessive – entraine parfois un léger déséquilibre. Si la première partie du film, excellente, est marquée par un rythme effréné et des scènes qui s’enchaînent tambour battant, la suite n’a pas toujours le même tempo, et les ellipses temporelles qui l’entrecoupent lui confèrent un aspect un peu décousu. Ainsi, là où la plupart des films nous habituent à un climax final, Emilia Perez ne donne pas l’impression de s’achever par un crescendo intense. De même, les parties musicales, très présentes au début du long-métrage, deviennent plus épisodiques dans sa deuxième moitié.
Un film intense et sensoriel
Malgré cette structure inégale, le film demeure toujours passionnant, et mêle plusieurs genres différents – le film de gangsters, le thriller, le drame et la comédie musicale – Audiard empruntant à chacun un registre particulier : les chansons sont pleines d’emphase et de lyrisme, tandis que d’autres scènes sont marquées par un suspense redoutable, et d’autres encore par de l’humour. Par instants, le scénario aborde des thématiques politiques – l’impunité des cartels, la corruption de l’administration mexicaine, les disparitions et homicides liés au narcotrafic – et à d’autres, il se concentre davantage sur l’intime, en traitant notamment la transidentité, la place de la femme et la jalousie au sein du couple.
Il s’agit en tout cas d’un film intense et sensoriel, qui entraîne le spectateur dans des contrées lointaines, du Mexique à la Suisse, en passant par Bangkok, Tel-Aviv, ou encore Londres. Ce dépaysement se ressent jusqu’au choix des langues : les personnages parlent principalement l’espagnol, mais ont également recours à l’anglais, lors des voyages de Rita, ou à travers le personnage de Jessi, ballotée d’un pays à l’autre, mais toujours en quête d’identité et de liberté.
Des actrices flamboyantes
Avec Emilia Perez, Jacques Audiard transmet un message important de tolérance et d’affirmation de soi. Son personnage principal est une femme trans dont la souffrance semble irrémédiable : douleur initiale de ne pas être celle qu’elle désire, renoncement et sacrifices liés à sa transition, doutes persistants quant à son identité… Le réalisateur nous place au plus près de ces questionnements intimes, et sublime par sa caméra des femmes très différentes, aux corps et âges très variés, avec bienveillance et empathie. Des femmes qui montrent leurs émotions à l’écran et n’en sont pas moins fortes. Des femmes perdues qui trouvent un but commun : s’accepter et trouver leur place.
Le casting d’actrices principales déploie à l’écran un talent incroyable : qu’il s’agisse de Zoe Saldaña, terriblement émouvante, aussi intense dans son chant que dans son jeu, de Selena Gomez, féline et rebelle, ou de la douce Epifania (Adriana Paz), moins présente que les autres, mais rayonnante et touchante. Et comment ne pas laisser une place de choix à Karla Sofia Gascón, brillante interprète d’Emilia Perez, qui incarne tour à tour un effrayant Manitas, et une femme tantôt fascinante tantôt rassurante, au charisme envoûtant.
Une quête de rédemption
Toutes les quatre incarnent une volonté farouche de se réaliser : ne plus être l’objet du regard masculin, trouver un sens à sa vie, quitter l’emprise d’un mari violent, expier les crimes de son passé… Cette quête de rédemption, très présente dans le dernier acte, est peut-être la partie la moins convaincante du film, le réalisateur cherchant tellement à mettre son héroïne sur un piédestal, qu’il semble pardonner un peu trop facilement au chef de cartel ses antécédents sanguinaires.
Film inclassable, émouvant, sidérant par sa mise en scène virtuose, Emilia Perez est une œuvre importante, tant par son originalité et son esthétique léchée que par le message de tolérance et de liberté qu’elle transmet. La récompense collective attribuée à ce casting d’actrices fabuleuses est non seulement méritée, mais également symbolique, s’inscrivant avec force dans le combat malheureusement encore nécessaire pour une égalité totale des individus.