Caractéristiques
- Titre : The Substance
- Réalisateur(s) : Coralie Fargeat
- Scénariste(s) : Coralie Fargeat
- Avec : Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid,...
- Distributeur : Metropolitan FilmExport
- Genre : Horreur
- Pays : France, Etats-Unis, Royaume-Uni
- Durée : 2h21
- Date de sortie : 6 novembre 2024
- Acheter ou réserver des places : Cliquez ici
- Note du critique : 8/10 par 1 critique
Six ans après Revenge, la réalisatrice française Coralie Fargeat est de retour avec un second long-métrage, The Substance, avec un casting américain de haut vol (Demi Moore, Margareth Qualley, Dennis Quaid). Présenté au dernier Festival de Cannes, le film a remporté le Prix du Meilleur Scénario.
Un body horror féministe, entre La Mouche et Cendrillon
Après avoir proposé sa version du rape and revenge, Coralie Fargeat nous offre ici un film de body horror très fortement (et ouvertement) influencé par le cinéma de David Cronenberg, mais aussi les contes de fées (en version gore et plus trash) afin de critiquer l’industrie hollywoodienne, qui pousse les actrices vers la porte de sortie passé la quarantaine au profit de jeunes femmes qui seront encouragées à avoir recours au botox, souvent avant même la première apparition de ride.
Le message est clair, pour ne pas dire limpide, mais c’est véritablement la forme très symbolique que celui-ci prend ici qui retient l’intérêt, la réalisatrice développant dans ce second long une imagerie foisonnante et inspirée autour d’une parabole très bien articulée. De telle manière que, là où l’histoire et sa morale auraient pu paraître simplistes et les (très nombreuses) références à des œuvres cultes (La mouche et la partie body horror du cinéma de Cronenberg, The Thing, 2001, Elephant Man, Cendrillon…) too much, le résultat est au contraire puissant et évocateur… quoique non dénué de défauts.
La promesse d’une éternelle jeunesse : Demi Moore au coeur d’un marché faustien
Le premier acte de The Substance se penche sur les affres du personnage d’Elizabeth Sparkle, une actrice, toujours magnifique, mais qui se retrouve soudainement remerciée le jour de ses 50 ans. Incapable de se résoudre à faire le deuil de son succès, associé à l’idée de la jeunesse, elle accepte un curieux marché afin de trouver une « meilleure version d’elle-même » et un « nouveau soi ». Dans une mallette, différentes seringues, dont une, The Substance, contient un étrange liquide – on ne vous fera pas l’insulte de vous expliquer ce que ce produit symbolise.
Après une première injection, Elizabeth accouche littéralement d’une belle jeune femme aux grands yeux bleus, Sue, qui sort de son dos. A partir de ce moment, les deux femmes vont co-exister, tout en étant interdépendantes : lorsque l’une resplendit, l’autre se trouve dans une sorte de coma, et vice-versa. A chaque transition, elles doivent faire une injection de The Substance afin de rester éternellement jeunes et belles. Sauf que toute erreur de dosage pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l’une si l’autre décide de trop en consommer… Ce qui, évidemment, ne manquera pas de se produire.
Un aspect conte de fée trash qui donne de la puissance à la parabole
Après un début de « cohabitation » à peu près équilibré et heureux pour les deux femmes, le deuxième acte montrera une escalade dans la rivalité entre l’une et l’autre, la jeune prenant trop de la vitalité de son aînée, dont le physique se dégrade alors de plus en plus vite, afin de satisfaire aux exigences d’une industrie qui fait d’elle sa nouvelle étoile montante. A mesure que son état se dégrade à vue d’œil et de manière de plus en plus dramatique et spectaculaire, Elizabeth se laisse happer par la jalousie et tente également de prendre le dessus sur sa rivale et de s’en débarrasser.
Si la première partie est intrigante et permet de faire monter progressivement la tension avec un certain sens de la retenue et de l’épure, la seconde est sans doute la plus intéressante, à la fois d’un point de vue dramaturgique, mais aussi dans la symbolique et dans le jeu des actrices, toutes deux très impliquées et étonnantes dans leurs rôles respectifs. Au-delà des références au cinéma de Cronenberg, c’est en effet la dimension contes qui ressort et donne du liant au tout. En effet, dans de nombreux contes et légendes, la femme est représentée à différents âges de sa vie. Si, ici, il n’y a pas de « trinité » comme c’est régulièrement le cas (enfant, femme, vieille femme), la jeune femme et la femme d’âge mûr sont représentées comme étant littéralement une seule et même entité. Comme elles ne peuvent évoluer simultanément au sein du monde, elles se retrouvent fatalement en concurrence, mais cette rivalité de plus en plus sanglante ne peut que faire du mal à toutes deux puisque l’une représente le passé de l’autre et la seconde son avenir.
On passe des références à Cendrillon pour Sue (jusque dans la robe de gala bleue) à celles de la marâtre/sorcière de Blanche-Neige pour Elizabeth – un rôle dans lequel Demi Moore se lâche particulièrement, et se révèle assez touchante dans le côté de plus en plus vulnérable et pathétique de son personnage.
Une réalisation pop, inspirée et maîtrisée
La réalisation de Coralie Fargeat est quant à elle particulièrement inspirée, et davantage maîtrisée que sur Revenge, qui était déjà un bon film de genre à la réalisation pop et aux partis pris esthétiques convaincants, tout en étant plus simple et linéaire, tant narrativement que visuellement. Si ses citations visuelles sont nombreuses et qu’elle reprend même certains plans de films, elle ne se contente pas d’aligner les références et parvient à les intégrer de manière fluide et organique à l’ensemble. Résultat : on les remarque, mais cela ne nous sort pas de l’intrigue à partir du moment où l’on est parvenu à rentrer dans le film et son univers.
En revanche, le dernier acte, volontairement grand guignol, traîne un peu trop en longueur et joue un peu trop sur la satire et la dégradation des corps jusqu’au-boutistes. S’il y a clairement des passages très drôles dans cette dernière partie (Elizabeth/Sue en hybride d’Elephant Man et bébé géant d’Eraserhead s’avançant sur scène sur Ainsi parlait Zarathoustra en traînant derrière elle un membre remplaçant ici l’os de 2001), on a quand même assez rapidement l’impression que Coralie Fargeat rallonge le trip pour son propre plaisir sans que le message du film y gagne quoique ce soit. Et ce n’est pas l’un des derniers plans, rémminiscent de Brazil (entre autres), qui nous fera dire le contraire.
Une belle surprise pour le cinéma de genre français
Malgré cette réserve, The Substance n’en demeure pas moins une excellente surprise dans le paysage du film de genre français, et confirme le talent de Coralie Fargeat, dont nous sommes d’autant plus curieux de suivre l’évolution. Il signe également le retour sur grand écran d’une Demi Moore particulièrement en forme et laisse le talent de Margaret Qualley véritablement exploser, peu de temps après la sortie de Kinds of Kindness.
La jeune actrice passe de la star montante docile et ambitieuse à une véritable machine à tuer, monstre d’égoïsme laissant de plus en plus transparaître une folie la rendant à la fois drôle et effrayante dans la dernière partie. Dennis Quaid, quant à lui, incarne le système patriarcal à l’œuvre derrière l’industrie du divertissement dans toute sa cruauté. Son charisme rend ses apparitions marquantes, malgré un temps de présence à l’écran assez restreint.
Si certains puristes du body horror pourront tiquer sur des clins d’œil et citations un peu trop affichées à la filmographie de Cronenberg, la réalisatrice française se révèle inspirée dans ses choix de mise en scène, mais aussi ses partis pris esthétiques et narratifs, qui permettent au film d’aller au-delà du simple coup de gueule clinquant contre le culte de la jeunesse cultivé par l’industrie du spectacle.