Sorti 9 ans après Le bébé de Bridget Jones, Bridget Jones : Folle de lui de Michael Morris surprend et se distingue clairement du reste de la saga par son temps mélancolique et crépusculaire, présent dès les premières minutes de son ouverture avant la progressive remontée vers la lumière du personnage.
Chaos mondial et deuil impossible
Neuf ans, c’est aussi le temps qu’il s’est écoulé depuis que le Royaume-Uni a voté en faveur du Brexit, et ce qu’il s’est passé dans le monde depuis cette date, ce quatrième film le symbolise à travers l’histoire de Bridget (émouvante Renée Zellweger) devant faire le deuil de Mark Darcy (Colin Firth, qui apparaît à l’écran à travers quelques visions de l’héroïne). Dans Folle de lui, la noirceur de fond est impossible à évincer : non seulement Mark Darcy est mort, mais il a été tué au cours d’une explosion lors d’une mission humanitaire, lui qui, dans les précédents films, avait toutes les allures du super-héros britannique en costard. Elle ne peut que l’imaginer à ses côtés et aux côtés de ses enfants alors qu’elle doit poursuivre son chemin seule.
Cette difficulté face à un deuil semblant impossible transparaît également à travers le personnage du fils de Bridget et Mark, très marqué par la mort de son père 4 ans après les faits, et qui confie à son instituteur avoir peur de l’oublier lors du voyage scolaire où Bridget se rend en tant qu’accompagnatrice. Un camarade de ses enfants lui demande d’intervenir un soir auprès d’un petit garçon peu rassuré, dont la mère a l’habitude de lui chanter du Puccini quand il a peur (clin d’œil à Angelina Jolie dans Maria, sorti à la même période ?) – une musique d’une grande gravité – ce à quoi Bridget répond qu’il devra se contenter d’un tube de Take That. Alors que Le bébé de Bridget Jones s’achevait par le voile de mariée de Bridget s’envolant au vent et symbolisant bonheur et espoir, ici, celui-ci a été remplacé par des ballons de baudruche que Bridget et ses enfants lâchent dans les airs avec des messages pour Mark dans l’au-delà afin de célébrer son anniversaire.
Fin de l’optimisme et survivance de l’espoir
L’optimisme inébranlable d’antan qui définissait la saga semble appartenir au passé. Seul reste de cet optimisme avant la rencontre de Bridget avec le jeune Rockster : Daniel Cleaver (Hugh Grant, particulièrement touchant dans ce dernier film), dont l’article de journal aperçu à la fin du 3, qui annonçait qu’il avait finalement été retrouvé vivant après le crash de son avion, est encadré dans le couloir chez Bridget. Cependant, Daniel a semble-t-il gardé des problèmes de santé importants de cet événement et il apparaît plutôt dépressif tout au long du film. Autre reste d’optimisme, lié à la dimension « conte » et pensée magique de l’enfance et qui annonce que tout se passera bien pour la famille de Bridget : la chouette blanche que la fille de Bridget remarque à l’extérieur de sa chambre au début du film, et qui réapparaîtra à la fin, comme signe que l’espoir demeure mais aussi « approbation » symbolique de Mark, depuis l’au-delà, pour que Bridget puisse refaire sa vie.
Cette chouette est la part de magie restant dans la vie et l’existence, que ses enfants peuvent encore percevoir, elle qui a tellement tenté de les protéger de la dure réalité du monde. Dans le contexte diégétique mais aussi contemporain, elle est ainsi à la fois la part d’enfance, de magie et d’innocence qui persiste dans le monde et en chacun, mais aussi un discret signe de résistance (à commencer par la résistance à un sentiment de défaitisme) à notre époque troublée où le monde se trouve à un carrefour et où tout semble incertain.
Après tout, la chouette n’est pas un symbole innocent. Dans la mythologie gréco-romaine, elle est le symbole d’Athéna, la déesse de la guerre, reconnue pour sa grande intelligence. Dans la culture populaire britannique contemporaine, la chouette blanche est associée pour beaucoup, bien sûr, à Hedwige, la chouette d’Harry Potter – la saga de J.K. Rowling étant une métaphore de la lutte contre le fascisme sous la forme d’un récit initiatique pour la jeunesse. Il est évidemment ironique ou, du moins, quelque peu paradoxal, que l’autrice anglaise soit devenue un symbole réactionnaire suite à une polémique dont il est difficile de parler de manière intelligente et dont l’évolution au fil du temps a beaucoup surpris.
Classe politique et désillusion : le rôle des médias
Cependant, nous vivons des temps compliqués et Le bébé de Bridget Jones (dont le personnage de Jack Quant était un mélange d’Elon Musk et Mark Zuckerberg) portait déjà en lui les paradoxes de notre époque. Ces derniers sont toujours bien présents dans Folle de lui, mais le scénario ne s’appesantit pas dessus, essayant de retrouver un certain élan et surtout une certaine douceur de vivre malgré la douleur.
La violence de l’époque et le rôle que les médias et les journalistes ont à y jouer est néanmoins présent en filigrane, notamment au début du film, où une Bridget arborant de nouveau le pyjama du premier film conseille son amie, animatrice télé chez Actu-Choc, qui doit interviewer en direct la ministre de l’Environnement, qui veut se donner une bonne image alors que ses positions et décisions sont à l’opposé. « Demande-lui pourquoi elle a sucré le crédit d’impôt sur les énergies renouvelables ? Elle va t’embrouiller avec les contraintes économiques et tu la coinces avec les superprofits sur le pétrole. Elle va bugger. Et tu la dézingues avec son soutien au gaz de schiste », jubile la journaliste et productrice, qui a arrêté toute activité professionnelle depuis la mort de son époux. Cette courte scène met bien en avant l’un des paradoxes de notre époque, où la défense du féminisme, de l’écologie ou des droits des minorités n’empêche aucunement les hypocrisies d’une partie de la classe politique, agrandissant le fossé entre celle-ci et la population. A ce titre, Bridget Jones s’impose comme un modèle engagé, ni « woke » ni conservateur, capable d’assumer ses contradictions tout en gardant intégrité et lucidité…
Science ou émotion face à l’indicible ?
Cependant, bien que lucide, l’envie irrépressible de Bridget de protéger ses enfants l’empêche de leur parler honnêtement de la mort, ce qui se ressent aussi sur eux et plus particulièrement son fils. Curieux de nature et intelligent, celui-ci situe physiquement le paradis au-delà de l’atmosphère terrestre dans un devoir de classe et obtient son tout premier C. En réaction à cet « affront », elle lance, à propos de l’instituteur : « c’est un woke antiadhésif ».
Lors de son intervention devant la classe de son fils pour présenter son métier de journaliste, elle ira jusqu’à tenter de pousser celui-ci, M. Walliker (Chiwetel Ejiofor), à reconnaître l’existence de l’âme de manière scientifique afin de soulager son fils, ce qu’il refusera bien évidemment de faire. Mais le petit garçon se trouvera apaisé sur la fin lorsque son enseignant lui expliquera que l’énergie ne disparaît jamais et est simplement relâchée, redistribuée, et qu’il l’encouragera à rendre hommage à son père en chantant une chanson que Mark Darcy aimait lui chanter lorsqu’il était petit lors du spectacle de Noël.
En ce qui concerne la dimension scientifique, le discours final de M. Walliker lorsqu’il avoue son amour à Bridget va dans le même sens, en fin de compte : être scientifique, ce n’est pas être tristement terre à terre ou manquer d’imagination, mais tomber amoureux de la beauté des choses. Il s’agit d’une approche qui ne s’oppose pas, donc, à l’émotion ou à l’émerveillement, au sentiment de sacré. En creux, ce que cela nous dit est que la science ne s’oppose ni à l’émotion et aux choses « invisibles » mais bien réelles que l’on ressent, ni même à la religion. Ce qui est bien évidemment significatif dans le contexte actuel.
Tout le but du film sera de faire prendre conscience à Bridget que la vie ne s’est pas arrêtée à la mort de Mark Darcy et qu’il faut qu’elle réapprenne à vivre pour elle-même et pas uniquement pour ses enfants. Tout en restant ancrée dans le monde, bien sûr, et en continuant à défendre ses convictions. Que ce soit son histoire avec le jeune chien fou Rockster (Leo Woodall) ou celle qui se dessine progressivement avec M. Walliker, le film raconte cette remontée vers la lumière à plus de cinquante ans et, bien sûr, celle de sa famille. Les différences de générations (entre Bridget et son petit-ami d’une vingtaine d’années) est par ailleurs vue de manière positive. « C’est la génération qui demande l’autorisation (d’embrasser) », écrit-elle dans son journal intime après qu’ils aient échangé leur premier baiser. Cette attention est montrée comme charmante et délicate.
Au final, Bridget Jones : Folle de lui (2025) permet de clôturer joliment la saga, tant du point de vue de l’évolution du personnage que de l’évolution du monde entre 2000 et 2025 qui s’en dégage. La situation géopolitique mondiale semble certes désespérée, mais la vie et l’espoir sont toujours bien présents.