[Critique Théâtre] Freedom Club : Cri d’alarme au Théâtre Juliette Récamier

Caractéristiques

  • Titre : Freedom Club
  • Genre : Thriller
  • Ecriture : Nicolas Le Bricquir
  • Musique : Emmanuel Jessua
  • Mise en scène : Nicolas Le Bricquir
  • Avec : Salomé Ayache, Lou Guyot, Ahmed Hammadi-Chassin, Mathis Sonzogni
  • Durée : 1h30
  • Lieu(x) de représentation : Théâtre Juliette Récamier
  • Dates : Depuis le 19 octobre 2025
  • Note : 8/10

Après le succès de Denali, toujours à l’affiche dans le même théâtre, Nicolas Le Bricquir revient avec Freedom Club, un huis clos haletant mené en temps réel dans un entrepôt désaffecté. Ce thriller d’anticipation technologique plonge le spectateur au cœur d’une dystopie contemporaine, où l’urgence dramatique rencontre les dérives du progrès. Entre tension, satire et vertige moral, Le Bricquir signe une œuvre coup de poing qui interroge notre rapport à la technologie et à la liberté.

Un huis clos sous tension

Salomé Ayache, Lou Guyot, Ahmed Hammadi-Chassin et Mathis Sonzogni incarnent quatre personnages enfermés dans un entrepôt après une action spectaculaire qui a mal tourné. Trois amis, devenus figures influentes du monde de la tech et des médias, ont orchestré une attaque symbolique contre Elon Musk : un drone a survolé le milliardaire pour lui larguer un colis d’excréments, image virale aussitôt relayée sur toutes les chaînes d’information. Mais l’opération, menée au nom du Freedom Club, un mouvement militant prônant la fin du progrès technologique, dégénère en prise d’otage…

La mise en scène de Nicolas Le Bricquir fait le choix du huis clos et enferme le spectateur dans un entrepôt décrépit aux vitres opaques, derrière lesquelles filtrent les lueurs de la ville. Un canapé élimé, un lavabo et une vieille télévision – qui diffuse, dos au public, les news d’une chaîne d’actualités – composent ce décor en apparence banal. Pour le compléter, une petite cabine mobile, entrant et sortant de scène, représente la salle voisine où se trouvent les serveurs informatiques utilisés par le Freedom Club. Enfin, au plafond, une horloge numérique égrène les secondes, d’abord comme un simple marqueur du temps, puis comme un outil narratif à part entière.  Le rythme, tendu à l’extrême, épouse celui de la situation : 1h30 sans répit, en temps réel ou presque.

Entre satire et effroi : les dérives du monde moderne

Véritable thriller politique, Freedom Club tend à notre époque un miroir sans concession. Attaque de drone contre Elon Musk, intervention sonore d’Emmanuel Macron, omniprésence des téléphones et casques VR… Tout ramène le spectateur à un présent qu’il ne reconnaît que trop bien. Nicolas Le Bricquir inscrit sa réflexion dans les grands enjeux de notre monde ultra connecté : contrôle des données, pouvoir des géants de la tech, intelligence artificielle prédictive… Entre réalisme politique et paranoïa dystopique, le vertige est parfois troublant et le spectateur ne peut qu’hésiter entre le rire et l’effroi.

Le dramaturge pousse plus loin encore sa réflexion morale : peut-on sauver l’humanité par des moyens condamnables ? Faut-il saboter le progrès pour préserver la liberté ? Derrière la tension dramatique se dessine une angoisse plus diffuse, celle d’un monde où chaque avancée technologique aliène un peu plus l’homme, jusqu’à rendre toute régression impossible. Si cette mise en garde demeure lucide et percutante, elle frôle parfois l’excès. La vision quasi apocalyptique du futur que propose la pièce tend à affaiblir la justesse de son propos initial, pourtant d’une grande pertinence. Pour alléger la noirceur ambiante, Nicolas Le Bricquir glisse quelques touches d’humour bienvenues, portées par Matthieu, l’otage peureux et bavard, dont les réactions maladroites désamorcent par instants la gravité du propos.

Une mise en scène sombre et maîtrisée

C’est par sa créativité visuelle que la mise en scène de Freedom Club impressionne le plus. Tout repose sur un minutieux travail de rythme et de perspective. Le spectateur découvre peu à peu que l’horloge numérique au plafond n’est pas qu’un simple indicateur du temps qui passe, mais aussi un instrument narratif permettant de remonter dans le passé. Ces retours chronologiques révèlent les événements sous un autre angle, donnant au huis clos une dimension presque cinématographique. Les acteurs, quant à eux, alternent avec brio jeu accéléré et ralenti pour incarner ces changements de temporalité, aidés par quelques effets stromboscopiques et de vidéoprojections habiles. Une mécanique parfaitement huilée, tout bonnement saisissante.

Avec sa durée resserrée, Freedom Club maintient une tension quasi ininterrompue, et les effets sonores, la musique et les éclats lumineux participent à cette atmosphère d’urgence où chaque seconde compte. Malgré certains dialogues un peu plus lents, le rythme global reste d’une remarquable efficacité. Ce réalisme brutal, parfois éprouvant, réserve la pièce à un public averti. Les violences physiques et psychologiques, rares au théâtre, peuvent en effet surprendre par leur intensité. Un spectacle qui résonne comme un cri d’alarme, qui secoue autant qu’il stimule la réflexion.

Avec Freedom Club, Nicolas Le Bricquir signe donc une œuvre dense et viscérale, à la croisée du théâtre politique et du thriller d’anticipation. En mêlant tension dramatique, virtuosité technique et réflexion philosophique, il confirme son goût pour les formes exigeantes et immersives. Un spectacle coup de poing que nous vous recommandons chaudement !

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucie Lesourd aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles.

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